L’herbe n’est pas plus verte ailleurs sur la prévention du stress
Pas question de s’endormir sur les lauriers d’un accord de prévention du stress qui donne droit à un affichage sur la liste verte du Ministère du Travail. C’est avant tout une « erreur » de code couleur qu’a commise Xavier Darcos quand il a pris le risque de classer les entreprises de plus de 1 000 salariés ayant signé soit un accord de fond sur la prévention du stress, soit un accord de méthode ou plus simplement un plan d’action « concerté ». Le vert peut en effet être interprété comme un « circulez, il n’y a rien à voir », ce que conteste formellement le Ministère.
Loin d'être un flop pour le Ministère
Rares ont été les entreprises, comme Coca-Cola, qui se sont fendues d’un communiqué dès la mise en ligne de la liste verte pour se réjouir d’y être présent. Plus virulentes, mais pas plus nombreuses, ont été les réactions de certaines directions des entreprises qui se sont retrouvées sur la liste rouge pour n’avoir engagé aucune action de prévention. Le Ministère n’a alors pas tardé à retirer de la circulation les listes orange (en cours de négociation) et rouge. Deux listes qui ne risquent pas de réapparaître alors que la liste verte pourrait persister. Elle continuerait même à s’enrichir, affirme-t-on du côté de la Direction Génétale du Travail (DGT). Mais rien ne permet de prendre connaissance des nouveaux venus, pas plus que des sortants, sur une liste qui compte un peu plus de 300 entreprises.
- La mise sur un même plan d’un accord de fond, d’un accord de méthode ou d’un plan d’action unilatéral ne serait pas un problème pour la DGT. Des plans d’actions tiendraient tout autant la route que des accords de fond, assure-t-on du côté du Ministère.
Près de 70 % des entreprises de la liste verte s’engagent sur des plans d’actions, « concertés avec les IRP et les délégués syndicaux », selon la formule consacrée. Une part de ces plans d’actions s’explique par le souci de certaines directions d’aller vite sans avoir à gérer la contrainte de la négociation d’un accord. Notamment au niveau de l’agenda. Mais certains syndicats ne l’entendent pas ainsi. Chez ASF, les syndicats réclament la négociation d’un accord de fond après celle d’un accord de méthode, tandis que la direction privilégie la piste du plan d’action. Une autre part de ces plans d’actions peut aussi s’expliquer parce que les syndicats refusent de négocier au regard des propositions de leur direction, comme cela a souvent été le cas sur la question des mesures en faveur de l’emploi des seniors.
Des accords à l'épreuve du terrain
En attendant, des syndicats ne se privent pas de dénoncer les limites de certains accords sur les conditions de travail, comme dans les caisses régionales du Crédit Agricole. « Cet accord vise avant tout à accompagner les grandes restructurations. Il n’a jamais été question que la pression sur les objectifs soit traitée. En Centre Loire, on compte déjà trois accidents du travail après des entretiens professionnels. Une enquête conduite par l’Anact en 2009 sur un échantillon annonce que 70 % des personnes estiment que les conditions de travail sont favorables. Nous avons demandé une analyse contradictoire de ces résultats », lance Philippe Ringuet, délégué syndical FO du Crédit Agricole. Le groupe des caisses régionales du Crédit Agricole a un temps été sur la liste verte. Ce n’est plus le cas... Pas d’explication sur le site « travailler mieux » du Ministère. L’objectif de cette liste consistait bien à faire réagir tant les directions que les syndicats, affirme le Ministère du Travail.
Même les syndicats signataires d’accord de fond ou de méthode ne se privent pas de souligner les inévitables décalages entre les engagements théoriques et la réalité des pratiques. À la Fnac par exemple, où l'accord de méthode vise à intégrer les risques psychosociaux dans le document unique de prévention, la CFE-CGC précise que certains CHSCT ont été oubliés ou que des cadres n’ont pas toujours été autorisés à participer aux groupes d’échanges.
« C’est visuel mais cela n’apporte pas grand-chose » - Gilbert Brokmann, CFE-CGC Thales
La direction concède un décalage de 20 % par rapport à la méthodologie théorique. Chez Thales, l’accord sur la qualité de vie au travail qui a donné une place sur la liste verte a été signé par tous les syndicats, sauf la CGT. C’est dans ce cadre que la direction propose désormais un tableau de bord pour suivre l’avancement de toute une série de chantiers : actions de reconversion, VAE, tutorat, mobilité interne volontaire, promotion de la mobilité au service du développement professionnel... Le niveau d’avancement de chacune des actions est symbolisée par une pastille de couleur : rouge (non réalisée), orange (partiellement réalisé), violet (majoritairement réalisée), vert (totalement réalisée) et jaune (non significatif). « C’est visuel mais cela n’apporte pas grand-chose. Nous avions demandé des indicateurs sur l’évolution des taux d’absentéisme, de la mobilité ou encore des visites médicales spontanées sur une période d’au moins deux ans et nous les attendons toujours. Ces futurs indicateurs doivent devenir de véritables outils de pilotage », précise Gilbert Brokmann, le responsable CFE-CGC du groupe Thales. L’idée étant que les indicateurs soit suivis chaque trimestre. Un accord est forcément évolutif. « La direction avait attribué une enveloppe de 20 000 euros pour réaliser des expertises CHSCT. Mais depuis le drame de Châteaubourg (suicide d’une salariée le 23 octobre 2009), la direction a accepté le principe d’un nombre illimité d’expertise », ajoute Gilbert Brokmann. Entreprise & Personnel va ainsi conduire un audit sur Thales Angénieux tandis que Technologia est déjà intervenu sur l’activité Thales Solutions. Des expertises qui concernent de petites unités car c’est là que les partenaires sociaux ont identifié les risques les plus importants. Et pendant ce temps-là, l’Anact va auditer la nouvelle méthode d’évaluation jugée potentiellement déstabilisante. L’accord a en outre modifié l’organisation de la médecine du travail puisque qu’un poste de médecin coordinateur a été créé au niveau du groupe afin de faciliter les échanges entre les différents services de santé au travail.
Ne pas confondre vitesse et précipitation
« Il n’y a pas de vérité à attendre d’un indicateur. C’est avant tout la matière première qui doit permettre aux partenaires de discuter » - Frédéric Agenet, Direction EADS. Chez Schneider Electric, il était hors de question de se presser pour signer un accord en perspective d’être sur la liste verte. « Notre principale revendication porte sur le périmètre d’application des mesures. Nous avons beaucoup d’établissements qui comptent moins de 1 000 salariés. Ils doivent être couverts », explique Dominique Jacquot, délégué CFE-CGC du groupe qui n’est pas encore sur la liste verte. Et pourtant Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, a porté le rapport ministériel « Bien-être et efficacité au travail » rendu public mercredi 17 février.
Chez EADS aussi, on n’a pas accéléré le rythme. L’accord de fond a été signé le 8 avril dernier. Le groupe est passé de la liste orange à la liste verte. L’originalité de l’accord tient dans a mise en place d’un diagnostic de vulnérabilité annuel qui repose sur deux types d’indicateurs. Des indicateurs généraux sur l’absentéisme, la fréquence des accidents du travail... et des indicateurs médicaux recueillis par les médecins du travail dans le cadre de l’enquête Evrest. Voilà qui devrait permettre d’identifier trois niveaux de vigilance : normal, renforcée et prioritaire. C’est la commission de prévention du stress (direction et CHSCT) qui définira les priorités. « Il n’y a pas de vérité à attendre d’un indicateur. C’est avant tout la matière première qui doit permettre aux partenaires de discuter. Rien n’est figé. Chaque société pourra définir ses propres indicateurs. L’important, c’est de commencer », explique Frédéric Agenet, le directeur des relations sociales et des ressources humaines du groupe EADS.
Les guides pleuvent
Le Ministère explique que tous les accords et plans d’actions sont épluchés pour rendre public une synthèse qualitative des mesures en juin. Voilà une histoire de listes qui a été un véritable appel d’air pour les intervenants extérieurs, venus de tous les horizons. Au point que le Ministère planche sur une charte de déontologie et de méthodologie qui s’imposerait aux prestataires intervenants dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux. L’occasion d’éviter des méthodes pseudo-scientifiques et des approches exclusivement individuelles. « Il nous appartient de guider les entreprises dans leur choix », affirme Hervé Lanouzière, conseiller sur les risques psychosociaux au Ministère du Travail. Pas question, en revanche, de mettre en ligne une liste de prestataires qui auraient été en quelque sorte labellisés par le Ministère.
Le sujet est d’importance puisqu’en parallèle l’INRS, en partenariat avec les CRAM, se prépare à publier un guide sur « comment choisir son prestataire en prévention des risques psychosociaux. L’Anact voulait co-signer le guide mais cela n’a pas été possible sous prétexte que l’organisme paritaire intervient via son réseau sur des missions de conseil facturées. Même les inspecteurs du travail ont récemment reçu un guide sur les grandes lignes méthodologiques d’une intervention sur le sujet des risques psychosociaux. L’occasion pour Jean-Denis Combrexelle, patron de la direction générale du travail d’annoncer que « c’est une première en Europe et que cela ne manque pas d’interroger nos voisins ».
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