Organisations
Garantie jeunes : tout n'est pas réglé
Par El-Mahdi Khouaja, doctorant en économie au LEST
Dans sa nouvelle version, l’article 23 du premier chapitre du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, instaure la généralisation du dispositif « garantie jeunes » et l’ouverture de ce droit à « à tous les jeunes souscrivant à un contrat d’engagements réciproques, lorsqu’ils ne sont ni étudiants, ni en formation, ni en emploi, qu’ils vivent hors du foyer de leurs parents ou au sein de ce foyer sans recevoir de soutien financier et que leurs ressources sont inférieures à un seuil ».
Ce dispositif est expérimenté depuis octobre 2013 et bénéficie d’un financement européen [1], il consiste en l’accompagnement d’un jeune (âgé de 18 à 25 ans) par un référent de la mission locale, sous forme d’un contrat précisant d’un côté les actions engagées pour faciliter l’insertion professionnelle (ou sociale et professionnelle) du jeune (entretiens individuels, ateliers collectifs, des mises en situation professionnelle à travers des stages, des propositions d’emploi ou d’apprentissage…) et d’un autre côté, l’obligation pour ce jeune de participer aux activités proposées afin de pouvoir bénéficier d’une allocation financière mensuelle de 461,72 €. Ce contrat est conclu pour une durée maximale d’un an, renouvelable une fois si l’objectif d’insertion professionnelle n’est pas atteint.
La généralisation de ce dispositif et son extension à la tranche d’âge des 16-18 ans interviendrait alors que l’expérimentation en cours n’a pas encore été évaluée. Mais nous savons aujourd’hui que trois ans après son lancement, le dispositif n’a touché qu’une partie du public visé, estimé à 900 000 jeunes : en son état actuel, l’objectif de 100 000 jeunes accompagnés en fin 2017, annoncé par le Premier Ministre lors de la clôture de la conférence sociale (juillet 2014) risque de ne pas être atteint : car seulement 35 000 jeunes ont été accompagnés à ce jour. En même temps, la feuille de route de la « grande conférence sociale pour l’emploi » fixait un objectif chiffré sans préciser si l’ambition est d’accompagner 100 000 jeunes (soit 11 % du public cible) annuellement ou seulement atteindre ce chiffre en effectifs cumulés fin 2017. La capacité de financement de ce dispositif dépendra fortement de l’estimation du nombre de bénéficiaires.
Par ailleurs, 6 % des jeunes âgés de 16 ans et 10 % de ceux qui ont 17 ans ne sont pas scolarisés [2]. Soit plus de 96 000 jeunes qui, s’ils ne travaillent pas et s’ils sont issus d’un milieu modeste, accroîtront l’effectif des bénéficiaires potentiels de ce dispositif. De plus, ce diapositif va concurrencer un autre dispositif : le contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS), créé en 2005 et proposé par le même opérateur : la mission locale. Il concerne les jeunes précaires, âgés de 18 à 25 ans et qui peuvent prétendre à une rémunération n’excédant pas 450 € par mois.
L’empilement des dispositifs risque d’entraîner une illisibilité de l’offre, une surcharge de travail pour le seul opérateur engagé à ce jour (mission locale).L’empilement des dispositifs risque d’entraîner une illisibilité de l’offre, une surcharge de travail pour le seul opérateur engagé à ce jour (mission locale). L’institutionnalisation de ce dispositif pour l’ensemble du territoire se traduira par une charge financière que le budget actuel de l’État ne serait pas capable de supporter, compte tenu des choix budgétaire actuels. Dans un récent rapport, la Cour des Comptes chiffre le coût total de la garantie jeunes à 360 millions d'euros au minimum pour 100 000 jeunes. Dans l’hypothèse d’une suppression du CIVIS dont le coût est estimé à 240 millions d'euros, l’engagement financier de l’État demeure déficitaire et nécessitera « un redéploiement des financements affectés actuellement à d’autres dispositifs ». En réalité, le gouvernement table sur une montée en puissance du dispositif pour accompagner 200 000 jeunes d’ici fin 2017, la ministre du Travail avouant que le dispositif n’a pas pour vocation d'être universel vu qu’il ne touchera qu’une partie de son public cible [3]. En fait le coût financier de l’accompagnement de 200 000 jeunes durant 12 mois s’élèvera à 1,1 milliard d’euros si l'on considère seulement l’allocation financière versée aux bénéficiaires. En comptant les crédits d’accompagnement accordés par l’État aux missions locales (1 600 € par jeune), le coût total s’élèvera à 1,5 milliard d’euros.
Concernant les modalités de l’accompagnement du jeune, le processus repose fondamentalement sur l’engagement de ce dernier et sur sa capacité à mettre en pratique l’apprentissage théorique pour trouver une solution de formation ou d’emploi. On parie de la dynamique de groupe pour aider le jeune à acquérir, pendant 6 semaines et à temps complet, « des codes et des règles de l’entreprise, le développement de projets collectifs, l’auto-évaluation et la valorisation des compétences pour gagner en confiance en soi, ou l’accès à l’autonomie au quotidien ». Cette période est suivie par des « expériences professionnelles multiples et sous toutes leurs formes : stages, emplois aidés, formations, immersions, parrainages etc. ». Le mode contractuel du dispositif précise les modalités de l’offre mais passe sous silence le retour attendu de la part du jeune, en dehors d’un suivi régulier des heures d’accompagnement. Globalement, cette question renvoie aux modalités de mise en œuvre de ce dispositif (conditions d’accès, nature des engagements, durée, montant de l’allocation et les conditions de sa suppression) qui restent à définir par décret.
Enfin, si la finalité du dispositif était d’apporter une aide à l’insertion des jeunes, les travaux de Gomel et al. (2013) sur l'effet d’un accompagnement intensif des jeunes bénéficiaires du dispositif CIVIS montrent que ce type d’accompagnement n’est pas « le remède miracle contre le chômage des jeunes » : le résultat dépend fortement du niveau de la demande du marché du travail qui favorise, dans un contexte de crise économique, les jeunes les plus diplômés (Barret et al., 2014). Le dispositif « garantie jeunes » n’est pas un cursus diplômant, sa valeur ajoutée serait « bridée » par un problème de fonctionnement d’un marché de travail qui ordonne une « fil d’attente » et l’accès selon le niveau de diplôme.
À l’incertitude qui accompagne l’efficacité de ce dispositif, nous savons que la garantie jeunes est loin d’être le dispositif universel et accessible à tous les jeunes. Si l’objectif est de permettre qu'une partie des jeunes sortent de la précarité, il risque de ne pas atteindre les jeunes les plus exposés, éloignés des circuits institutionnels. Comme pour le RSA, l’objectif de 200 000 jeunes accompagnés d’ici fin 2017, sous-entend que le gouvernement fait le pari du non-recours et compte manœuvrer les critères d’éligibilité et les modalités d’accompagnement, qui seront définis par décret.
[1] La garantie jeune fait partie de l’initiative emploi jeune (IEJ) lancée par la Commission européenne pour proposer des solutions aux jeunes sortis du système éducatif. En 2014-2015, une enveloppe de 620 mililons d'euros a été accordée à la France pour financer les dispositifs de lutte contre le chômage des jeunes, dont 75 millions d'euros consacrés à la garantie jeune.
[2] Taux de scolarisation par âge en 2013. Source : www.insee.fr.
[3] Déclaration de la ministre lors d’un entretien accordé à la station de radio Europe1 le 15 mars 2016.
Dans le prolongement de leur prise de position collective sur le projet de loi sur le travail, des économistes et des sociologues du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail apportent des éléments d'analyse plus spécifiques des enjeux de ce projet de loi, à partir de leur domaine de recherche et d'expertise.
- Le droit du travail est-il trop contraigant ? L'accès au droit dans les TPE.
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- Le dialogue social en entreprise : l'illusion de négociations gagnant-gagnant.
- La précarité peut-elle faire projet de société ?
- Le dispoitif garantie jeune : un effet d'annonce ?
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- L'insertion des jeunes sur le marché du travail.
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