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21 / 04 / 2017
Didier Cozin / Membre
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Formation, éducation et apprentissage : la situation est bien plus grave qu'on ne le dit

Même si les candidats à l'élection présidentielle font assaut de propositions pour ranimer cette jeune maladie que l'on nomme « formation », les solutions proposées par les uns et les autres prouvent que la mesure des blocages éducatifs qui asphyxient notre pays n'est pas prise.

La formation est à l'arrêt depuis des dizaines d'années en France.

Pour des raisons culturelles, politiques et sociologiques, la France n'est pas un pays qui a le goût d'apprendre. Si à la fin du XIXème siècle la IIIème République a inventé l'école laïque, gratuite et obligatoire, c'est bien parce que des résistances nombreuses existaient (la première étant celle des paysans qui avaient besoin de bras enfantins pour aider au travail des champs).

  • Après la Seconde Guerre Mondiale, l'économie devait être reconstruite et notre pays s'est appuyée sur son éducation nationale pour entreprendre un formidable effort de remise à niveau (plan Langevin-Wallon, multiplication des collèges, renouvellement des enseignements, généralisation de l'enseignement secondaire, montée en puissance des universités etc.).
  • La formation professionnelle est restée durant toutes ces années une pauvre parente de l'éducation initiale (appelée « promotion sociale » ou « école de la deuxième chance ») et les lois successives de 1971 (loi Delors), de 2004 (loi pour la formation tout au long de la vie), de 2009 ou de 2014 ne sont jamais parvenues à universaliser une formation professionnelle marginale, tournée vers la seule adaptation au poste de travail ou orientée vers le personnel le plus qualifié.

Au XXIème, siècle la formation a changé de nature.

Si pendant des siècles on apprenait durant l'enfance, on exerçait un métier sur le tas et pour la vie. Aujourd'hui, alors que l'économie de la connaissance irrigue toute la société, on n'apprend plus pour la vie ; la connaissance n'est plus un stock de connaissances qu'on capitaliserait durant l'enfance via un diplôme mais un flux continue de techniques, d'informations et de compétences qu'il faut gérer tout au long de la vie (et même au-delà de la vie professionnelle).

Les modèles éducatifs de notre société restent conformistes (le diplôme comme viatique durant une vie entière, industriels, chacun sa case et son statut immuable) et conformistes (l'ascenseur social ne peut plus fonctionner si les avantages sont acquis sans remise en cause ni renouvellement des compétences).

Depuis des années (avec une accélération en ce début de XXIème siècle), notre pays développe des dispositifs technocratiques qui visent (tous) à côté de la cible.

Les Français aiment la division du travail et même si, dès la fin des années 1970, Michel Crozier a posé que l'on ne change pas une société par décret, nous pensons que la sophistication d'une règlementation ou d'un dispositif de formation permettra d'atteindre un jour le nirvana national (ça marche enfin pour tout le monde).

  • Le DIF a été un échec alors qu'il était le dispositif le plus intelligemment pensé (par des acteurs du terrain) parce que les employeurs, les syndicats et les salariés n'ont pas joué le jeu (ils ont attendu la fin du dispositif pour se dire qu'ils auraient dû l'utiliser pendant ses 10 ans d'existence).
  • Le CPF (piètre imitateur du DIF) a été un échec instantané (et durable) parce qu'il a ajouté de la complexité et des faux-semblants dans une univers de formation qui reste d'abord une comédie du social.

Les 11 candidats à l'élection présidentielle ne connaissent pas la formation et ne savent pas pourquoi la situation est bloquée.

Les blocages de la formation professionnelle

a) Les blocages du travail : dans un pays où beaucoup de salariés ne s'investissent pas dans leur travail, se méfient de leur employeur et pensent qu'ils ne sont pas reconnus, la formation ne peut pas prendre son envol : on se forme parce qu'on a confiance, qu'on se projette dans l'avenir et que le système vous envoie des signaux positifs à votre engagement personnel et professionnel.

b) La réduction du temps de travail : intervenue en l'an 2000, tout le monde semble avoir oublié que cette réduction (qu'on peut approuver ou remettre en cause) était aussi destinée à trouver du temps pour se former (se former donc sur son temps libre). 

Les RTT réduisent notablement les possibilités de formation sur le temps restant au travail (le travail est plus concentré, sans temps morts) et comme les salariés refusent encore dans leur grande majorité de consacrer leur temps libre à leur formation, la confrontation sociale sur le temps des formations ne trouve aucune issue dans les entreprises.

b) Les coûts des apprentissages : on n'apprend pas tout seul (sauf quelques rares et méritants autodidactes autonomes et engagés) et l'accompagnement des apprenants (que ce soit en formation présentielle ou distantielle) est un vrai métier qui nécessite engagement, humanité et une grande technicité.

La formation n'est pas gratuite mais personne ne veut payer.

Les salariés estiment souvent que leur formation ne devrait rien coûter car ils ont été habitués à ne rien payer durant leurs études (même au-delà de 20 ans, ce qui reste une exception dans le monde).

Les employeurs pensent la formation comme une charge, un coût externe qu'il faut réduire le plus possible pour rester rentable. La réforme de la formation de 2014 a d'ailleurs réduit leur effort financier (passé de 1,6 % à 1 % de la masse salariale).
En France, on paye donc 10 fois plus pour les vacances du personnel (les congés payés qui coûtent près de 14 % de la masse salariale) que pour la formation et l'éducation (1 %, voire 0,55 % dans les PME).

Apprendre, c'est être responsable et engagé.

Aucun dispositif de formation ne fera plus de miracle en France, les blocages administratifs, sociaux, financiers sont tels qu'il ne faudra rien attendre d'une nouvelle règlementation si elle ne pose pas des règles simples, généralisées et compréhensibles pour tous.

1) La formation (sauf exception) doit se dérouler sur le temps libre des travailleurs. Chaque Français dispose en moyenne de 22 heures de temps libre par semaine. Nous pouvons parfaitement utiliser 20 % de ce temps (4 heures par semaine) pour apprendre. Il restera encore du temps pour d'autres activités (peut être moins enrichissantes) que la formation.

2) Les travailleurs doivent payer en partie pour leur formation (comme ils paient pour leur restauration ou leurs vacances).
Les employeurs devant aussi être associés à la formation (la formation est une négociation et un dialogue social), elle n'a de portée que si elle peut servir au travail et servir aussi l'employeur, en payant une partie de cette formation.

Sans paiement conjoint de la formation, ni les salariés ni les employeurs ne se sentiront concernés ou impliqués par la formation.

L'un des candidats à la présidentielle propose de transférer les cotisations de chômages des salariés vers la CSG, ce pourrait être l'occasion unique de ne pas consacrer ces sommes libérées au pouvoir d'achat (vieille notion dépassée des 30 glorieuses) mais au pouvoir d'apprendre (celui qui apprend mieux et plus pourra travailler mieux et gagner plus).

La formation tout au long de la vie doit être relancée mais aucune réforme n'apprendra à la place des Français.

La formation tout au long de la vie est le seul horizon éducatif accessible au XXIème siècle, cette formation tout au long de la vie (qui est un concept mondialisé inventé au Canada dès les années 1960) ne peut se déployer dans un cadre technocratique, conformiste et calé sur les siècles passés (via une Éducation nationale en forme de mammouth).

Il ne faut pas libérer les travailleurs (vieille rengaine marxiste) mais les apprentissages en France, sortir des conformismes, de l'inflation bureaucratique et de la fabrication d'usines à gaz qui ne servent qu'une minorité de gens. 

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