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28 / 09 / 2010 | 11 vues
Emmanuelle Heidsieck / Membre
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Fichiers AGIRC-ARRCO et épargne retraite : attention au mélange des genres

Alors que les institutions de prévoyance qui gèrent les caisses de retraite complémentaires en répartition AGIRC et ARRCO développent de plus en plus des produits d'épargne retraite en capitalisation et font même un lobbying efficace pour que la réforme des retraites facilite leur essor dans les entreprises, on peut s'interroger sur la compatibilité de ces deux activités. Nombre de syndicats, comme la CFE-CGC, la CGT et la CFTC, considèrent ainsi que la commercialisation de ces plans en capitalisation type PERCO ou « article 83 » nuit à la consolidation de la répartition.

  • La question prend même une dimension éthique et politique, si ce n'est juridique, quand on se demande si ces institutions de prévoyance utilisent les fichiers de leurs adhérents aux caisses de retraite AGIRC et ARRCO pour vendre leurs produits en capitalisation. Le font-ils ? Ont-ils le droit de le faire ?

Le grand flou de la « désimbrication informatique »

Les réponses des principaux intéressés ne permettent pas de trancher avec certitude, laissant une bonne marge de flou. Elles confirment, en tout cas, que nombre d'acteurs et même d'opérateurs s'inquiètent de ce mélange des genres. Résumant l'état d'esprit général, Pierre-Yves Chanu, membre CGT du Conseil d'orientation des retraites (COR), remarque ainsi : « Vers le tournant des années 2000, les évolutions de la protection sociale complémentaire ont débouché sur la création de groupes de protection sociale, les GPS, qui ont des activités dans le champ concurrentiel comme la prévoyance et l'épargne retraite et une mission d'intérêt général comme la gestion de l'AGIRC-ARRCO, ce qui n'est pas simple ».   

En théorie, il y a tout de même un principe d'interdiction d'utiliser les fichiers AGIRC-ARRCO pour vendre des produits d'épargne retraite. Comme l'explique Patrick Poizat, administrateur CFTC aux fédérations AGIRC et ARRCO, : « On veille en tant qu'administrateurs à ce que les groupes n'utilisent pas les fichiers. C'est un sujet de grande préoccupation ». Effectivement ces fédérations sont soucieuses et, outre ce principe d'interdiction qu'elles ont posé, elles ont obligé les groupes à s'engager dans un processus dit de « désimbrication informatique », c'est-à-dire de scission entre les fichiers relevant des activités concurentielles et celles relevant de l'intérêt général. Une opération qui semble prendre du temps et qui pourrait être achevée fin 2011.

    Cela dit, une fois posé le principe, le dossier est loin d'être clos. D'une part parce que les moyens de contrôle sont limités : « On ne peut être derrière chaque groupe de protection sociale et vérifier ses mailings » note ainsi Bernard Devy, secrétaire confédéral FO, chargé des retraites qui souligne que « même si les conseils d'administration de l'AGIRC et de l'ARRCO s'y opposent, les groupes sont en capacité d'avoir les fichiers ».

Stratégies de contournement

« Le risque existe » juge la présidente CFE-CGC de la CNAV, Danièle Karniewicz. Concrètement, il y a aussi des moyens de contourner l'interdiction. Par exemple, « ils utilisent les fichiers qu'ils se sont constitués en prévoyance » ajoute Bernard Devy. Mais la ficelle ne manque pas de gêner certains : « Il y a un risque de confusion car fichiers AGIRC-ARRCO, fichiers prévoyance, c'est un peu les mêmes fichiers, ils se croisent et ils sont tous gérés par le même groupe » considère Pierre Cellot, directeur du développement du groupe Mornay, qui affirme que son groupe n'utilise pas les fichiers de la retraite par répartition. Et celui-ci d'affirmer : « nous, on se l'interdit, de manière à ce que les produits en capitalisation ne viennent pas remettre en cause l'assiette de la masse salariale sur laquelle repose la répartition ».

Un autre biais que redoute Danièle Karniewicz consiste à passer par le conseil personnalisé : « Avec la réforme actuelle, les assurés vont pouvoir aller voir leurs caisses à partir de 45 ans et faire un point d'étape sur leurs droits acquis, sans doute aussi sur les possibilités de les faire évoluer par des surcotes et, qui sait, par de l'épargne retraite ». Enfin, c'est surtout par le canal des plateformes internet que l'interdiction d'accès aux fichiers va probablement perdre tout aspect coercitif. Car les groupes lancent des sites avec des espaces personnalisés. Ce sont donc les adhérents eux-mêmes qui sont en position d'être demandeurs.

  • Ainsi, le groupe Malakoff-Médéric qui va lancer prochainement sa gamme de produits en capitalisation en partenariat avec la CNP a développé un site pour les individus baptisé « TOUTM » qui va permettre à chaque adhérent de faire le point sur sa retraite. Il pourra : « Télécharger son relevé annuel de points AGIRC-ARRCO; évaluer le montant des pensions de retraite lors de son départ; et être guidé dans ses démarches de préparation à la retraite ». Le tout avec « nos simulateurs et nos offres, en santé, prévoyance, retraite ».


    On le voit,  la « désimbrication » est une chose, la réalité en est une autre. « Ce qui me déplait, c'est que les commerciaux de ces groupes vont dans les entreprises et démontrent que l'AGIRC-ARRCO n'est pas en capacité de faire face à ses engagements. A partir de là, ils placent leurs produits. Alors même qu'ils gèrent l'AGIRC et l'ARRCO...» confie Bernard Devy. « Là où les groupes de protection sociale prennent un risque terrible, c'est que non seulement ils entament la retraite par répartition mais qu'en plus ils conduisent les adhérents vers l'insécurité avec ces produits en capitalisation. Ils sortent de la mission sociale qui leur a été confiée » affirme Pierre Cellot, pourtant lui-même cadre-dirigeant de l'un de ces groupes. Une vision critique partagée par Henri Sterdyniak, économiste spécialiste des retraites à l'OFCE,: « C'est une trahison grave de proposer de la capitalisation alors qu'on gère la répartition. Les groupes de protection sociale jouent contre leur camp ou plutôt ont changé de camp. Ils considèrent que cela rapporte de faire de la capitalisation. On peut gagner des sommes folles et on est un financier, pas un simple gestionnaire de caisse de retraite. Ces évolutions sont dangereuses ».

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