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Faiblesse des salaires et renforcement des inégalités de revenus en France
En matière de justice sociale, il est très préoccupant de voir les inégalités de revenus se creuser. C’est malheureusement ce que l’on constate en France. En effet, au cours des dix dernières années, le niveau de vie moyen [1] des 10 % de Français les plus riches a augmenté de 27 %, alors que celui des 10 % les plus pauvres n’a augmenté que de 13,7 % (observatoire des inégalités). En moyenne, le revenu des Français les plus riches est 6,6 fois supérieur à celui des plus pauvres, contre 6 fois il y a dix ans.
Pour comprendre l’origine de ces inégalités il faut bien regarder la composition des revenus de deux populations. Ceux des plus riches sont composés en bonne partie des revenus financiers et des revenus du patrimoine. Ce type de revenus a considérablement augmenté ces dix dernières années, suivant l’exceptionnelle croissance de la rentabilité des investissements financiers : les revenus financiers ont progressé de 30,7 % entre 1998 et 2005, contre 5,3 % pour les salaires. De leur côté, les revenus fonciers ont augmenté de 16,2 % selon Michel Husson, économiste à l’IRES.
Concernant la population la moins aisée, les revenus sont quasi-exclusivement constitués de salaires. Or, l’économiste Pierre Concialdi, de l’IRES, a constaté que la part du travail dans le PIB était à son niveau le plus bas depuis 60 ans, vers la fin des années 2000. Entre 1982 et aujourd’hui, la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué de 9,5 points. L’évolution du partage de la valeur ajoutée au sein des entreprises a donc un effet direct sur les inégalités de revenus. Certaines études notent même une compression salariale. Une étude de l’INSEE de 2009 a conclu sur le fait que le revenu salarial en euros constant (hors effet de l’inflation) a stagné sur une période longue entre 1978 et 2005. Selon cette étude, en 27 ans de croissance économique, le salaire médian (hors inflation) est resté le même. Les salaires ont effectivement augmenté, mais pour une partie seulement de la population. Pour l’autre partie, ils ont diminué. Toujours selon cette étude, cette population dont le revenu réel a diminué est constituée de jeunes et de salariés à temps partiel. Pour les jeunes, c’est la durée et le temps de travail qui expliquent le décrochage, tandis que chez les plus âgés travaillant à temps partiel, c’est le taux de salaire qui a diminué.
La déréglementation du marché du travail est l’une des causes de cette évolution asymétrique des salaires. Comme le note l’OCDE, le développement des emplois atypiques, des emplois à durée déterminée et des emplois à temps partiel a pour effet de creuser les disparités salariales. Remarquons au passage que cette même organisation a toujours recommandé à ses membres de « flexibiliser » leur marché du travail pour lutter contre le chômage.
Cette politique a fabriqué des « salariés pauvres », sans pour autant faire baisser significativement le chômage. En France, on estime qu’il y a entre 900 000 et 2,2 millions de ces salariés pauvres.
En outre, le marché du travail est organisé de telle manière que les inégalités salariales perdurent. Le fait de débuter à un faible salaire ou à temps partiel pèse sur la carrière selon l’INSEE. Les jeunes, notamment ceux qui sont peu qualifiés, sont ainsi les plus touchés. Cela s’explique par le fait que leur taux d’emploi et leur salaire à l’embauche sont très sensibles à la conjoncture.
La trappe à inactivité, qui était le credo des stratégies de déréglementation du marché du travail depuis les années 1990, s’est muée en une trappe à pauvreté des salariés jeunes et peu qualifiés.
La part du capital boursier [2] dans le PIB en 1980 était de 7 à 8 % ; en 2007 il était de 100 %. Cette formidable croissance de la capitalisation boursière s’est traduite mécaniquement par l’explosion des dividendes. Mais cette masse des dividendes distribués n’est pas créée ex nihilo. Elle vient de la productivité dont la croissance rapide, ces dernières années, est le reflet de la pression du marché financier sur les entreprises. Cette pression exercée par les actionnaires contraint les entreprises à une course permanente à la productivité. On connaît le résultat de cette course : une très forte croissance de la productivité, dont la plus grosse part est transférée vers la rémunération du capital. Ce transfert au détriment du travail et de l’investissement est estimé entre 129 et 190 milliards d’euros en France.
Mais ce système ne pas peut pas tenir sans un mécanisme incitatif à la productivité.
Ainsi, on récompense notamment la prise de risque. Il en résulte une politique salariale débridée qui consiste à indexer une partie du salaire sur les résultats de l’entreprise. C’est le cas pour les cadres mais aussi et de plus en plus pour les non-cadres. La substitution partielle du salaire par les primes et l’intéressement illustre parfaitement cette politique salariale, politique que l’ORSEU a pu observer dans plusieurs grandes entreprises. Cette modification des modalités de la rémunération se fait au détriment des faibles salaires. Avec ce mécanisme, le salaire est devenu plus que jamais une variable d’ajustement au résultat de l’entreprise et plus généralement à la variabilité du cours de son action. Combien d’entreprises qui réalisent des profits et distribuent des dividendes ont licencié des salariés afin de faire baisser leur masse salariale ? Combien d’entre elles ont exigé une baisse des salaires contre le maintien de l’emploi en France ? L’entreprise Continental, qui a défrayé la chronique, n’est pas un cas isolé en la matière. Les accords dits « donnant-donnant » se multiplient.
Tout récemment, le gouvernement a annoncé une nouvelle mesure. En effet, une loi pourrait être votée afin que soit versée une prime aux salariés, dans les entreprises de plus de 50 salariés qui distribuent des dividendes. C’est un coup de pouce au pouvoir d’achat, notamment dans le contexte actuel, marqué par une rapide inflation et le tassement des salaires.
Mais constatons que l’élément déclencheur de cette prime est l’accroissement des dividendes distribués. Elle ne concernera donc qu’une petite partie des salariés, ceux des grandes entreprises dont les dividendes sont en hausse. Deux choix peuvent être menés concernant cette prime : A) les entreprises qui seraient tentées de court-circuiter la prime en choisissant de maintenir le même montant de dividendes distribué les deux dernières années. Dans ce cas, elles ne seront pas dans l’obligation de verser la prime puisqu’elles n’ont pas augmenté le dividende distribué en 2010 ; B) celles qui feront un tout autre choix en augmentant les dividendes d’un montant beaucoup plus important que celui de la prime. Dans ce cas, l’inégalité de revenus entre les salariés et les actionnaires s’accroît considérablement.
Tout compte fait, cette mesure ne fera pas reculer les inégalités dans le partage de la valeur ajoutée. Elle crée même une frustration chez les salariés qui n’en bénéficieront pas. Seule une négociation nationale crédible sur la question du partage de la valeur ajoutée pourrait amener à fixer des règles justes et stables. Cette négociation serait difficile à mener dans la mesure où elle déborderait la seule question des salaires et s’élargirait inexorablement à d’autres sujets tels que le coût salarial, la protection sociale, le temps de travail, l’investissement etc. Elle prendrait du temps mais elle aurait le mérite d’établir un cadre réglementaire stable pour les années à venir.
[1] Revenu moyen corrigé de l’inflation après impôt et prestations sociales.
[2] Le capital boursier correspond à la valeur des actions définie par le marché boursier. Cette valeur fluctue avec les résultats de l’entreprise et la stratégie d’investissement poursuivie : une acquisition, par exemple, dope l’action. De la même manière, une réorganisation suivie d’un PSE a souvent le même effet.
Le partage inégal de la valeur ajoutée
Pour comprendre l’origine de ces inégalités il faut bien regarder la composition des revenus de deux populations. Ceux des plus riches sont composés en bonne partie des revenus financiers et des revenus du patrimoine. Ce type de revenus a considérablement augmenté ces dix dernières années, suivant l’exceptionnelle croissance de la rentabilité des investissements financiers : les revenus financiers ont progressé de 30,7 % entre 1998 et 2005, contre 5,3 % pour les salaires. De leur côté, les revenus fonciers ont augmenté de 16,2 % selon Michel Husson, économiste à l’IRES.
Concernant la population la moins aisée, les revenus sont quasi-exclusivement constitués de salaires. Or, l’économiste Pierre Concialdi, de l’IRES, a constaté que la part du travail dans le PIB était à son niveau le plus bas depuis 60 ans, vers la fin des années 2000. Entre 1982 et aujourd’hui, la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué de 9,5 points. L’évolution du partage de la valeur ajoutée au sein des entreprises a donc un effet direct sur les inégalités de revenus. Certaines études notent même une compression salariale. Une étude de l’INSEE de 2009 a conclu sur le fait que le revenu salarial en euros constant (hors effet de l’inflation) a stagné sur une période longue entre 1978 et 2005. Selon cette étude, en 27 ans de croissance économique, le salaire médian (hors inflation) est resté le même. Les salaires ont effectivement augmenté, mais pour une partie seulement de la population. Pour l’autre partie, ils ont diminué. Toujours selon cette étude, cette population dont le revenu réel a diminué est constituée de jeunes et de salariés à temps partiel. Pour les jeunes, c’est la durée et le temps de travail qui expliquent le décrochage, tandis que chez les plus âgés travaillant à temps partiel, c’est le taux de salaire qui a diminué.
La déréglementation du marché du travail fabrique des salariés pauvres
La déréglementation du marché du travail est l’une des causes de cette évolution asymétrique des salaires. Comme le note l’OCDE, le développement des emplois atypiques, des emplois à durée déterminée et des emplois à temps partiel a pour effet de creuser les disparités salariales. Remarquons au passage que cette même organisation a toujours recommandé à ses membres de « flexibiliser » leur marché du travail pour lutter contre le chômage.
Cette politique a fabriqué des « salariés pauvres », sans pour autant faire baisser significativement le chômage. En France, on estime qu’il y a entre 900 000 et 2,2 millions de ces salariés pauvres.
En outre, le marché du travail est organisé de telle manière que les inégalités salariales perdurent. Le fait de débuter à un faible salaire ou à temps partiel pèse sur la carrière selon l’INSEE. Les jeunes, notamment ceux qui sont peu qualifiés, sont ainsi les plus touchés. Cela s’explique par le fait que leur taux d’emploi et leur salaire à l’embauche sont très sensibles à la conjoncture.
La trappe à inactivité, qui était le credo des stratégies de déréglementation du marché du travail depuis les années 1990, s’est muée en une trappe à pauvreté des salariés jeunes et peu qualifiés.
Les entreprises sont-elles responsables ?
La part du capital boursier [2] dans le PIB en 1980 était de 7 à 8 % ; en 2007 il était de 100 %. Cette formidable croissance de la capitalisation boursière s’est traduite mécaniquement par l’explosion des dividendes. Mais cette masse des dividendes distribués n’est pas créée ex nihilo. Elle vient de la productivité dont la croissance rapide, ces dernières années, est le reflet de la pression du marché financier sur les entreprises. Cette pression exercée par les actionnaires contraint les entreprises à une course permanente à la productivité. On connaît le résultat de cette course : une très forte croissance de la productivité, dont la plus grosse part est transférée vers la rémunération du capital. Ce transfert au détriment du travail et de l’investissement est estimé entre 129 et 190 milliards d’euros en France.
Mais ce système ne pas peut pas tenir sans un mécanisme incitatif à la productivité.
Ainsi, on récompense notamment la prise de risque. Il en résulte une politique salariale débridée qui consiste à indexer une partie du salaire sur les résultats de l’entreprise. C’est le cas pour les cadres mais aussi et de plus en plus pour les non-cadres. La substitution partielle du salaire par les primes et l’intéressement illustre parfaitement cette politique salariale, politique que l’ORSEU a pu observer dans plusieurs grandes entreprises. Cette modification des modalités de la rémunération se fait au détriment des faibles salaires. Avec ce mécanisme, le salaire est devenu plus que jamais une variable d’ajustement au résultat de l’entreprise et plus généralement à la variabilité du cours de son action. Combien d’entreprises qui réalisent des profits et distribuent des dividendes ont licencié des salariés afin de faire baisser leur masse salariale ? Combien d’entre elles ont exigé une baisse des salaires contre le maintien de l’emploi en France ? L’entreprise Continental, qui a défrayé la chronique, n’est pas un cas isolé en la matière. Les accords dits « donnant-donnant » se multiplient.
La prime du gouvernement : un feu de paille !
Tout récemment, le gouvernement a annoncé une nouvelle mesure. En effet, une loi pourrait être votée afin que soit versée une prime aux salariés, dans les entreprises de plus de 50 salariés qui distribuent des dividendes. C’est un coup de pouce au pouvoir d’achat, notamment dans le contexte actuel, marqué par une rapide inflation et le tassement des salaires.
Mais constatons que l’élément déclencheur de cette prime est l’accroissement des dividendes distribués. Elle ne concernera donc qu’une petite partie des salariés, ceux des grandes entreprises dont les dividendes sont en hausse. Deux choix peuvent être menés concernant cette prime : A) les entreprises qui seraient tentées de court-circuiter la prime en choisissant de maintenir le même montant de dividendes distribué les deux dernières années. Dans ce cas, elles ne seront pas dans l’obligation de verser la prime puisqu’elles n’ont pas augmenté le dividende distribué en 2010 ; B) celles qui feront un tout autre choix en augmentant les dividendes d’un montant beaucoup plus important que celui de la prime. Dans ce cas, l’inégalité de revenus entre les salariés et les actionnaires s’accroît considérablement.
Quel autre choix qu’une négociation nationale ?
Tout compte fait, cette mesure ne fera pas reculer les inégalités dans le partage de la valeur ajoutée. Elle crée même une frustration chez les salariés qui n’en bénéficieront pas. Seule une négociation nationale crédible sur la question du partage de la valeur ajoutée pourrait amener à fixer des règles justes et stables. Cette négociation serait difficile à mener dans la mesure où elle déborderait la seule question des salaires et s’élargirait inexorablement à d’autres sujets tels que le coût salarial, la protection sociale, le temps de travail, l’investissement etc. Elle prendrait du temps mais elle aurait le mérite d’établir un cadre réglementaire stable pour les années à venir.
[1] Revenu moyen corrigé de l’inflation après impôt et prestations sociales.
[2] Le capital boursier correspond à la valeur des actions définie par le marché boursier. Cette valeur fluctue avec les résultats de l’entreprise et la stratégie d’investissement poursuivie : une acquisition, par exemple, dope l’action. De la même manière, une réorganisation suivie d’un PSE a souvent le même effet.
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