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12 / 12 / 2016 | 49 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Cette langue des signes qui questionne notre rapport au travail

Les premières assises nationales de l’inclusion professionnelle et de la diversité qui se sont tenues du 6 au 8 octobre 2016 portaient sur la place des sourds dans le monde du travail. Le besoin d’échanger était fort entre les 250 participants, qu’ils soient sourds, chercheurs, représentants d’entreprise ou les trois à la fois. L’ambiance pleine d’énergie dépassait le constat de la souffrance invisible des sourds au travail.

D’un côté, la Fédération nationale des sourds de France (FNSF) qui prend pleinement conscience de la place du travail dans les discriminations vécues par ses membres. De l’autre, une équipe de chercheurs qui se penche sur l’employabilité des sourds. Ces résultats de recherche d'images pour « FNSF » premières assises sont le fruit d’une convergence dans les préoccupations du terrain et de la recherche sur la base d’un constat : celui de la souffrance invisible des sourds au travail sur fond d’isolement et de frustration dans l’accès à l’information.

« Nous retrouvons notre ADN dans cette initiative qui vise à faire échanger les chercheurs avec les acteurs concernés. Le regard porté sur les salariés sourds éclaire l’organisation du travail dans son ensemble. La prise en compte des difficultés qu’ils rencontrent profitent à tous des salariés », souligne Claire Edey Gamassou, co-directrice du GESTES, partenaire de ces premières rencontres. C’est l’occasion d’annoncer que le réseau scientifique pluridisciplinaire sur les conditions de travail, créé grâce au soutien de la région Île-de-France, allait devenir un groupement d’intérêt public national.

Portées en première ligne par le Centre d’analyse et d’intervention sociologique (CADIS) et la FNSF, ces assises nationales de l’inclusion professionnelle et de la diversité qui se déroulaient à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ont été l’occasion d’un riche partage de pratiques très diversifiées entre grandes et petites entreprises.

Des approches diversifiées de la diversité

« Nous avons mis en place un groupe de travail avec 14 sourds et un intervenant du CHU de Grenoble, afin de travailler sur la prévention de la désinsertion professionnelle. C’est aussi une façon de rompre l’isolement tandis que deux salariés sourds animent comme ambassadeurs des réunions de sensibilisation. L’internationalisation du groupe a considérablement modifié les conditions d’emploi des sourds », précise Régine Coubes, intervenante en santé au travail (IPRP) chez Schneider Electric, qui entend cultiver une approche pluridisciplinaire. D’où la collaboration, « pour mieux comprendre », avec Sophie Dalle-Nazébi, sociologue et anthropologue rattachée au laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales de l’Université de Toulouse III. Sophie Dalle-Nazébi a réalisé l’étude « emploi et expérience professionnelles des sourds en milieu ordinaire » (EEPSO) menée entre 2011 et 2012 avec Sylvain Kerbourc’h, sociologue rattaché au CADIS, et qui allait servir de pont avec la FNSF.

Chez Visuel LSF, un organisme de formation spécialisé, seuls 5 des 12 salariés entendent. La langue de travail de tous est la langue des signes française (LSF). « Ce n’est pas une question de pouvoir mais je tiens à savoir tout de ce qui se passe dans l’entreprise pour garder le contrôle et ne rien perdre. Je rappelle régulièrement cette règle pour qu’aucun des salariés ne se sente isolé », revendique Rachid Mimoun, responsable sourd de cette société qui forme les sourds comme les entendants. L’organisation du travail est bien ficelée : « Mon assistante n’est pas là pour assurer les traductions », précise le patron qui avoue que des césures dans les relations de travail sont parfois nécessaire, notamment au moment de la pause déjeuner car « manger entre sourds est moins fatigant ».

À la crèche des jardins d’Hortense de Bordeaux, un tiers des 30 places est réservé aux enfants sourds. Sur les 15 salariés, deux sont sourds. « Il faut se discipliner dans la communication mais c’est profitable à tout le monde. Cela sous-entend de ne pas hésiter à dire quand on n’a pas compris », explique Dany Billes, la directrice. À la bibliothèque Chaptal de Paris, l’ensemble des salariés entendants a été formé à un premier niveau de maîtrise de la langue des signes et 40 % des 20 salariés sont reconnus handicapés, dont 3 pour surdité, dans cette bibliothèque qui constitue l’un des 5 pôles sourds de la ville de Paris. « Un bibliothécaire sourd peut tout faire sauf répondre au téléphone. C’est une question d’aménagement de l’espace. Nous pouvons demander sans limites un service de traduction mais cela sous-entend une bonne capacité d’anticipation car il faut compter 10 jours pour réserver », témoigne Anne-Laurence Gautier, directrice adjointe de cette bibliothèque. À noter qu’un traducteur ne peut travailler plus de deux heures avec une pause de 15 minutes. Pour Solène Nicolas, rédactrice indépendante de l’Arbre à Com’, le budget traduction est de 2 600 € par an (le plafond de prise en charge) et doit être optimisé. « Il faut sélectionner les réunions les plus importantes et faire en sorte que chacun ne parle pas en même temps. Respecter les tours de parole amène à s’écouter davantage. C’est profitable pour tout le monde », explique celle qui s’occupe de la communication de SurdiFrance.

Reconnaître le rôle du management

Les organisations du travail s’adaptent, à l’image de la Poste où des circuits uniques sont proposés aux sourds alors qu’ils sont normalement réservés aux plus expérimentés. La Poste informant préalablement les habitants des tournées concernées qu’un postier sourd passera désormais. « Le soutien des managers est essentiel. Il y a ceux qui prennent le temps de récapituler sur un grand tableau toutes les informations importantes de la journée », illustre Marie-Laure Langouët, auteur d’une recherche de licence « chef de projet handicap et emploi », à la Poste. La question du rôle du management apparaît comme un point clef. « C’est du temps masqué pour les managers qui jouent le jeu. Il faut que cela soit reconnu et pris en compte afin de forger des pratiques pérennes », estime Nora Barcham, présidente sourde de la commission handicap du CE national d’Orange, qui emploie 80 sourds et qui propose à tous les salariés de se former à la LSF. Pour Alexandra Poli, directrice du CADIS, « la diversité reste finalement assez étrangère aux normes managériales. Il y a un décalage entre le discours et la réalité ».

Cette plus grande appropriation par le management de la diversité passe par une compréhension des codes sociaux des sourds. Selon Marie-Laure Saurel, consultante en accessibilité, « il faut conjuguer les codes sociaux des sourds avec ceux des entendants, sans oublier ceux de l’entreprise. Les sourds sont plus directs dans la communication ». Cela se retrouve à l’écrit. « Les correspondants entendants n’imaginent pas le considérable effort que cela sous-entend pour un sourd de répondre à un e-mail. C’est un travail de patchwork, d’assemblage de structures produites par les entendants. C’est une illustration de la différence énorme qu’il y a entre le travail prescrit et réel des sourds », explique Sophie Dalle-Nazébi.

La recherche autour de la langue et du geste inspire des démarches artistiques comme celle qui consiste à mettre des sourds et des musiciens en contact pour créer. « On ne parle pas de handicap mais on organise la communication avec des petits papiers qui vont ensuite à la poubelle. Cela permet d’appréhender les usages de ces écrits d’intermédiation jetable à l’heure des échanges numériques », considère Pierre Schmitt, doctorat en anthropologie sociale à l’EHESS. Avec plus de 6 000 spectateurs en 50 représentations de « Parlez plus fort », la dernière création d’IVT fonctionne plutôt bien. Les choses pourraient encore aller mieux. L’un de nos techniciens sourds n’a pas pu avoir son diplôme en écurie d’incendie et assistance, du fait d’une épreuve sonore alors que notre théâtre est équipé de signalisation lumineuse. C’est un barrage qui na pas lieu d’être », dénonce Jennifer David Lesage, co-directrice d’IVT, un théâtre de 185 places qui produit, diffuse et accueille des spectacles dans un esprit de laboratoire de recherche. « On intervient souvent à la demande de salariés sourds dans des situations dégradées », reconnaît Benoît Blandin, consultant sourd associé à Nadia Jourdy, entendante et tous deux spécialisés en accessibilité. Que dire de ces directions qui ne financent un service de traduction qu’au moment de l’entretien de licenciement ? Ou de ces entreprises dans lesquelles les sourds voient systématiquement les stagiaires devenir leurs supérieurs. Et Serge Volkoff, ergonome, ancien responsable du Centre de recherches sur l’expérience, l’âge et les populations au travail (CREAPT) de conclure en synthèse des interventions : « La solution qui consiste à faire travailler des sourds en environnement bruyant ignore la réalité des chocs acoustiques. Le développement du travail de nuit ne doit pas non plus ignorer que les sourds mettent en place des stratégies visuelles. La surdité est déjà un travail en soi. Raison de plus pour développer les capacités d’entraide sans considérer cela comme du temps improductif. Seul le travail soutenable est inclusif ».

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