Handicap : la Cour des comptes remet en cause l'utilité de l'AGEFIPH et du FIPHFP
Dans un référé rendu public, la Cour des comptes se montre particulièrement critique concernant la gestion de l'Association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHP) et va même jusqu'à s'interroger sur le maintien ou non de ces structures.
Effet ciseau
Tout le monde sait bien (et nous l'avons déjà évoqué dans ces colonnes) que le fonctionnement de l’AGEFIPH et du FIPHFP repose sur un modèle économique qu'il convient de repenser. En effet, au fur et à mesure que l’insertion des handicapés progresse, les ressources de ces organismes, fondées sur la contribution des employeurs qui ne remplissent pas leurs obligations d’emploi, se réduisent inévitablement, alors que les dépenses continuent d'augmenter ou ne diminuent pas dans les mêmes proportions, ce qu'il est convenu d'appeler « l'effet ciseau ».
Les organismes ont intégré ces problèmes depuis un certain temps et mènent actuellement une réflexion sur ces sujets. Pur autant, la Cour, dans son référé adressé en décembre au Premier Ministre et à la secrétaire d'État chargée des handicapés, ne fait pas dans la dentelle. Que l'on en juge !
Conclusions de la Cour
Dans ses conclusions, elle considère que « la gestion de l’AGEFIPH et du FIPHFP, coûteuse et mal maîtrisée, est confrontée à une impasse financière. De surcroît, la valeur ajoutée des deux organismes, dans la mise en œuvre de la politique d’insertion professionnelle des handicapés, paraît faible . Ces constats expliquent que les résultats de cette politique soient insuffisants ; ils mettent en évidence la nécessité d’une refondation ».
« Au total, les constats établis par la Cour invitent à ne pas limiter la réflexion engagée sur l’AGEFIPH et le FIPHFP à un simple changement de modèle de financement de nature à garantir leur pérennité. Il convient de s’interroger également sur l’utilité même de ces fonds et sur le bien-fondé des principes qui sous-tendent leur action ».
« Dans la fonction publique, l'existence du FIPHFP n'est ni la garantie d'une politique publique appropriée, ni celle d'une sanctuarisation des crédits afférents. Une évaluation devrait donc être engagée sur l’intérêt de maintenir ce fonds ou bien de privilégier des mécanismes d'affectation directe de crédits pour financer les actions prioritaires ».
« De même, dans le secteur privé, le positionnement de l'AGEFIPH et sa complémentarité avec les dispositifs de droit commun (tels que ceux du service public de l’emploi) doivent être clarifiés. Sa mission devrait être recentrée sur les actions qui ne pourraient être prises en charge que par un tel fonds spécifique ».
En découlent quatre grands axes de recommandations :
- redéfinir les objectifs de la politique d'insertion professionnelle des handicapés à partir d’une analyse précise des besoins ;
- déterminer le financement nécessaire de cette politique sur le long terme et fixer en conséquence les modalités de la contribution à la charge des employeurs privés et publics ;
- évaluer l'intérêt de maintenir le FIPHFP plutôt que, par exemple, mettre en place des mécanismes d’affectation directe de crédits ;
- recentrer l'AGEFIPH sur des missions spécifiques, établies en complémentarité avec les dispositifs de droit commun.
Évidemment, les critiques qu'elle formule ont immédiatement suscité de vives réactions de la part des différents acteurs concernés.
L'AGEFIPH prend acte.
Pour sa part, l'AGEFIPH indique dans un communiqué du 8 janvier, « prendre acte des recommandations qui nourriront utilement la démarche de transformation qu’elle a d’ores et déjà engagée à travers le plan stratégique dont elle s’est doté en février 2017 ».
L'AGEFIPH souligne que : « les actions engagées dans le cadre de son plan stratégique trouvent un écho dans ces recommandations ».
Elle entend s'inscrire pleinement comme actrice de la convention pluri-annelle multipartite de mobilisation pour l’emploi des handicapés (2017-2020) signée le 16 novembre dernier et qui pose des objectifs en matière de coordination et de renforcement des politiques d’accès à l’emploi et de maintien dans l’emploi des handicapés ».
Elle rappelle aussi qu' « en 2018, l’AGEFIPH continue de rénover son offre d’intervention, au regard des évaluations déjà menées, en l’adaptant à l’évolution des politiques publiques en matière d’emploi et de formation et aux besoins des handicapés et des entreprises, notamment, comme le suggère la Cour, en simplifiant l’accès à ses prestations et aides financières pour mieux prendre en compte la situation des handicapés, améliorer leur lisibilité et faciliter leur mobilisation. Il s’agit d’ailleurs d’en renforcer la complémentarité avec les dispositifs de droit commun.
Il est aussi prévu d’agir plus directement en direction des entreprises en internalisant à l’AGEFIPH leur accompagnement, la mise à disposition de ressources méthodologiques et l’animation des acteurs de l’entreprise.
Cette offre d’intervention se veut également plus aisément renouvelable car évaluée en continue et en phase avec les attentes des travailleurs handicapés et des entreprises ».
Concernant le financement de la politique emploi-handicap, l’AGEFIPH est également dans l’attente du rapport de la mission IGF-IGAS relatif au modèle économique des deux fonds, lequel devrait apporter des propositions concrètes sur ce sujet.
Dès à présent, le FIPHFP et l’AGEFIPH travaillent en étroite synergie dans le cadre d’une convention de coopération ayant pour objectif de renforcer à la fois la rationalité et la cohérence entre les actions des deux fonds.
Les missions spécifiques de l’AGEFIPH sont construites en complémentarité avec le droit commun. Le plan stratégique de l’AGEFIPH est centré sur cet enjeu majeur. Dans un souci d’efficacité accrue, il vise à repenser globalement son offre d’interventions, ce que mentionnent les magistrats de la Cour des comptes. Les aides financières, l’accompagnement méthodologique et le soutien apporté par l’AGEFIPH aux travailleurs handicapés ainsi qu’aux entreprises sont centrés sur la compensation du handicap et sur la mobilisation des dispositifs en matière, d’emploi et de formation ouverts à l’ensemble des chômeurs et des travailleurs ».
FO dénonce un référé à charge
De son côté, la confédération FO affirme, dans un communiqué de ce jour, son soutien au paritarisme et à l'AGEFIPH.
L'organisation syndicale rappelle que « suite à sa mission de contrôle menée en 2016, la Cour des comptes a rendu public ce 8 janvier 2018 un référé sur l’AGEFIPH (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées dans le secteur privé) et le FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique), totalement et injustement à charge ».
Elle dénonce le ton utilisé par la Cour à l’encontre de l’AGEFIPH, qui sanctionne à la fois sa gestion (alors que le budget est contenu depuis plusieurs années), la collecte de la contribution des employeurs (dont l’État s’est débarrassée) et l’absence de l’État dans le pilotage de l’institution (absence voulue par le législateur au profit d’un paritarisme spécifique).
Expliquant que la trajectoire financière des deux fonds aboutit à une impasse financière, la Cour remet tout simplement en cause l’existence même de l’AGEFIPH et du FIPHFP.
Pour justifier son point de vue, elle évoque une offre d’interventions dont la portée stratégique serait mal définie.
La Cour conclut en demandant, pour le secteur privé, de clarifier le positionnement de l’AGEFIPH et sa complémentarité avec les dispositifs de droit commun.
Or, l’AGEFIPH n’a pas attendu les conclusions de la Cour des comptes puisque, dès début 2016 et avec l’ensemble des organisations syndicales, patronales et associatives membres, un gigantesque travail de refondation de son intervention a été engagé, lequel s’est traduit par le vote à l’unanimité d’un plan stratégique en février 2017.
Ce plan a commencé à se déployer dès fin 2017 et sa mise en œuvre se poursuit en 2018 par la refonte des aides, prestations et accompagnements.
Nous y avons renforcé le positionnement de l’AGEFIPH en complémentarité du droit commun, et son action au plus près des bénéficiaires, handicapés et entreprises.
Nous attendons maintenant la publication imminente du rapport IGAS/IGF sur l’AGEFIPH et le FIPHFP, qui devrait faire des propositions, que nous espérons constructives, en matière de financement de la politique emploi-handicap et de modèle économique des deux fonds.
Force Ouvrière :
- affirme que l’action de l’AGEFIPH reste indispensable au développement de l’emploi des handicapés en milieu ordinaire de travail ;
- affirme son attachement à l’AGEFIPH et au paritarisme ;
- affirme qu’une société plus « inclusive » passe par des outils et dispositifs spécifiques, tels que l’AGEFIPH en matière d’emploi, consacrés à la compensation du handicap et des incovénients liés aux situations de handicap.
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