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Guy Novès peut-il être licencié par la Fédération française de rugby ?
Après la rupture de contrat entre le joueur de football Patrice Evra et l’Olympique de Marseille au mois de novembre, voici une tout aussi médiatique rupture de contrat dans le milieu du sport. Selon les médias couvrant l’affaire, le sélectionneur de l’équipe de rugby Guy Novès serait convoqué à un entretien préalable au licenciement. Ses deux adjoints seraient dans le même cas. De nombreuses questions se posent en lisant les informations ou analyses contradictoires.
Guy Novès a été embauché le 31 mai 2015 en tant que sélectionneur de l’équipe de France de rugby par la Fédération française de rugby (FFR). Cette dernière est une association de type loi 1901, donc de droit privé. Bien que représentant la France sur les stades tant en France qu’à l’étranger et reconnue d'utilité publique, ce n’est pas un organisme de droit public. Le contrat liant Guy Novès à la FFR est un contrat à durée déterminée (CDD), pour une durée de 4 ans.
La loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 (dite loi Braillard) a établi un nouveau type de contrat pour les sportifs et les entraîneurs. Ces dispositions ne s’appliquent qu’aux contrats signés à partir du 28 novembre 2015 et aux contrats à durée déterminée en cours (sous prétexte de recours de contrat d’usage) renouvelés à partir du 27 novembre 2015. Dans le cas présent, il s’agit donc d’un contrat ancienne formule, dit d’usage.
La durée du contrat excède la limite de 18 mois indiquée par l’article L1242-8 du Code du travail. Elle excède également la limite de 36 mois prévue par l’article L1242-8-1, prévu pour les CDD à objet défini. La durée de ce contrat est donc une anomalie.
Le 27 décembre 2017, l’employeur a rendu publique, par communiqué de presse, la nomination du successeur de Guy Novès.
Existe-t-il un motif de rupture dans le cas présent ?
« Les résultats sportifs ne peuvent être constitutifs d’une faute grave ». Pour rompre un contrat à durée déterminée, il faut un motif, qui peut être :
- l’accord des parties,
- la faute grave,
- ou l'inaptitude médicalement constatée.
Oui, le motif existe et, dans le cas présent, c’est la faute grave qui est reprochée au salarié, sur la base des résultats de l’équipe. Or, selon Jean-Jacques Bertrand, avocat de joueurs et entraîneurs, « les résultats sportifs ne peuvent être constitutifs d’une faute grave. Un coach a une obligation de moyens et non de résultat : il lui appartient seulement de tout mettre en œuvre pour la bonne marche de son équipe ». Ce motif n’est donc pas suffisant pour permettre de rompre le contrat de travail. Sauf à prouver que l’entraîneur n’a pas tout mis en œuvre pour obtenir les résultats escomptés…
La rupture, pour un CDD, se nomme « rupture anticipée de contrat à durée déterminée », non licenciement, et encore moins « limogeage », terme inconnu en droit du travail.
Le fait que Guy Novès soit en CDD change-t-il quelque chose ?
Oui, car autant la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi sur le travail » ou « loi El Khomri », que les ordonnances de la « loi sur le travail 2 » n’ont touché en profondeur à la procédure de rupture individuelle du contrat de travail. Seule la notification du licenciement pourra se faire en deux fois, permettant à l’employeur de préciser les motifs si le salarié le lui demande.
Dans le cas présent, la subtilité vient du fait que le salarié étant en CDD, il ne reçoit pas une lettre de licenciement mais une lettre de rupture anticipée de son contrat de travail. Il semble donc que cette lettre ne soit pas affectée par les évolutions récentes du droit du travail.
Si le salarié avait été en CDI, l’employeur aurait pu rompre le contrat pour faute simple et pas obligatoirement pour faute grave. Dans le cas où le juge du travail, saisi par le salarié, ne retient pas la faute grave, alors l’employeur devra verser le restant du salaire brut restant jusqu’à la fin du contrat [article L 1243-4 du Code du travail], sous la forme de dommages et intérêts. L’employeur assume ainsi proportionnellement le risque lié à une durée importante d’un contrat précaire. En revanche, l’indemnité légale de fin de contrat n’est pas due en raison de l’inapplicabilité de cette mesure aux contrats d’usage. La convention collective, elle, peut le prévoir, éventuellement à un taux différent.
Et inversement car il y aura, comme pour les salariés en CDI, un entretien préalable pendant lequel l’employeur exposera les motifs le menant à envisager la rupture et il recueillera les explications du salarié. Lors de l’entretien préalable, les 3 salariés pourront se faire assister soit par un membre du personnel non mandaté, soit par un élu du personnel (la dernière élection professionnelle au sein de la FFR a eu lieu en 2015).
Un entretien préalable débouche-t-il irrémédiablement sur une rupture de contrat ?
Non car l’entretien a pour but de permettre au salarié de présenter à l’employeur les éléments en sa faveur. De plus, l’entretien est suivi d’un délai d’une journée pour permettre à l’employeur de prendre sa décision hors d’un moment de tension. Mais dans la quasi-totalité des cas, le salarié quitte l’entreprise.
L’annonce du remplacement avant même l’entretien préalable est une faute de l’employeur.
Trois licenciements en même temps : licenciements collectifs ?
Non, ni en théorie, ni en pratique. Les entretiens préalables seront individuels et non collectifs. Les lettres de rupture également.
L’annonce du remplacement était-elle légale ?
Non, l’annonce du remplacement avant même l’entretien préalable est une faute de l’employeur. Cela prive l’entretien préalable de son objet, qui est de recueillir les observations du salarié, pour ensuite permettre à l’employeur de prendre sa décision. Cela peut même être vécu par le salarié comme vexatoire.
De plus, si l’employeur a déjà affecté le remplaçant à son poste, le salarié ne peut plus exercer sa fonction. Il s’agit d’une faute grave de l’employeur, celui-ci ne respecte plus le contrat de travail, qui doit être exécuté de bonne foi. Le salarié peut donc, à l’image de la prise d’acte pour les salariés en CDI, rompre son contrat de travail immédiatement, sans attendre la convocation à l’entretien préalable, en invoquant la faute grave de l’employeur.
Être convoqué par lettre recommandée est-il vexatoire ?
Non, l’employeur doit convoquer par écrit (que ce soit par lettre simple, par lettre recommandée, Chronopost ou par exploit d’huissier). Le recommandé permet de prouver l’envoi de la convocation et de certifier sa datation.
En revanche, annoncer le remplacement avant même l’entretien et la notification de la décision et rendre publique la rupture et les motifs ne sont pas indolores pour le salarié, ce que n’ont pas manqué de relever certains commentateurs.
Guy Novès touchera-t-il des indemnités ?
Si l’employeur rompt le contrat de Guy Novès, que celui-ci saisit le juge du travail et que ce dernier rejette la qualification de faute grave, le salarié touchera, sous forme de dommages et intérêts, l’équivalent de son salaire brut qu’il aurait perçu jusqu’à la fin de son contrat, plus les congés payés. À cela, il faut éventuellement ajouter des dommages et intérêts distincts pour procédure vexatoire. Il n’y aura pas d’indemnité de licenciement car il n’y a pas de licenciement et les dommages et intérêts compensent la rupture anticipée.