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Des formations sur le socle des compétences seront-elles un jour possibles ?
Après un an d’attente, le socle des compétences, esquissé dans la loi du 5 mars 2014, a enfin été officialisé (décret n° 2015-172 du 13 février 2015, relatif au socle de connaissances et de compétences professionnelles).
Au delà des retards (près d’un an de retard) et des tergiversations en formation, on peut se demander si en 2015 il sera effectivement possible de se former ou si le socle restera virtuel, une promesse sociale intenable que personne n'aurait dû prendre au sérieux.
Quelle est l'urgence en formation ?
Résumons en quelques repères ce dossier à tiroirs et chausse-trappes multiples.
- Depuis le début de la crise, en 2008, notre pays a perdu plus de 500 000 emplois.
- Ces postes de travail perdus étaient pour beaucoup occupés par des travailleurs peu ou non qualifiés.
- Près de 200 000 jeunes sortent désormais tous les ans sans aucun bagage éducatif de l'école.
- Les chômeurs de longue durée, jeunes, seniors et non qualifiés représentent aujourd'hui près de 2 millions de personnes éloignées de l’emploi.
- Enfin, près de 22 % des adultes en France ont un faible niveau de qualification. C’est l'un des plus mauvais résultats de tous les pays étudiés par l’OCDE.
La promesse de formations faciles à mettre en œuvre
En février 2014, une loi réformant la formation a donc été votée. Cette loi semblait présenter une réelle avancée pour les travailleurs non ou peu qualifiés : le droit de se former sur un socle minimal des compétences (défini par décret).
Des formations sur les savoirs de base enfin accessibles, sans restriction, dans le cadre du compte personnel de formation des salariés (donc sur les 120 heures de DIF cumulées par nombre de salariés depuis 2004).
- En mai 2014, une commission (le COC) a énuméré les 7 compétences du socle (communiquer en français, calcul de base, informatique usuelle, travail en équipe, apprendre à apprendre...).
- Le 16 décembre, le CNEFOP a officiellement défini le socle des compétences, tel qu'il devait paraître sous forme de décret avant la fin de l’année.
- Fin janvier, le décret a pris du retard pour d’obscures raisons administratives.
- Le 15 février enfin (daté du 13 février), le décret sur le socle est paru au Journal Officiel.
Depuis le 16 janvier 2015, tout salarié peut donc en théorie demander et obtenir une formation sur son socle des compétences.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Avec ce feuilleton interminable du socle des compétences, les salariés en mal de formation ne sont pas au bout de leur peine.
Les salariés sont désormais renvoyés à d’autres échéances, d’autres reports avec une certification à venir : « Le socle de connaissances et de compétences professionnelles fera l'objet d'une certification, sur proposition du COPANEF chargé de définir ses modalités de délivrance. Cette certification s'appuiera sur des référentiels précisant les connaissances et les compétences visées, les conditions d'évaluation des acquis, et permettant de prendre en compte les spécificités sectorielles. Cette certification sera recensée à l'inventaire élaboré par la CNCP ».
Si l'on comprend bien, en cette mi-février 2015, les centaines de milliers de travailleurs non ou peu qualifiés qui souhaitaient utiliser leurs heures de DIF pour se former devront encore attendre de longs mois (ou années) en espérant un jour qu'un financeur quelconque, employeur, OPCA ou Pôle Emploi, pourra organiser leur départ en formation (s'ils parviennent à conserver un travail jusque là).
L'impression de vivre dans un pays qui appuie simultanément sur l'accélérateur et le frein.Une question mérite d'être posée à cet « instant de la réforme » : de qui se moque-t-on ? La réforme de la formation vise-t-elle réellement à permettre à des travailleurs de se former ou ne sert-elle qu’à se réunir afin de discourir du sexe des anges ou des attributions de diverses commissions ?
On a désormais l’impression que lors du vote de la loi du 5 mars 2014, notre pays s'est payé de mots et qu’il a prôné un socle des compétences sans avoir le courage ou les moyens financiers de s'atteler à ce chantier.
Pourra-t-on encore longtemps continuer ainsi à « promener » les travailleurs non qualifiés ? Quel intérêt avons-nous à laisser s’enkyster les problèmes plutôt qu’à les traiter ?
Notre pays peut-il ainsi se contenter de discuter, de réunir des commissions, de réaliser des rapports puis de voter des lois qui débouchent sur le néant, l'insécurité et la désespérance sociale ?
Ces problèmes d'insuffisantes qualifications seront-ils un jour sérieusement traités en France ?
On peut en douter tant la machine administrative, paritaire, législative semble être devenue folle, tourner à vide en animant une factice et convenue mélopée réformatrice.
Il est facile de prétendre, que plus tard (en 2020 ou peut-être en 2025), tout ira mieux, que le temps permettra de roder les dispositifs et de trouver les financements, qu’il faudrait simplement faire confiance aux institutions de notre pays pour valoriser ses compétences et ses talents.
Une formation reportée, c'est toujours une chance, tant collective qu'individuelle, de perdue.
Les formations non réalisées en 2015 ne le seront pas plus en 2016. Les financements seront encore plus ardus à trouver, la conjoncture sans doute encore dégradée et les formations plus difficiles à mettre en œuvre.
Soit le socle des compétences démarre dans les prochaines semaines, bousculant la languissante et mal engagée réforme de la formation, soit cette réforme est condamnée (comme toutes les autres) à terminer sa trajectoire dans les oubliettes règlementaires et sociales de notre pays, étouffée par l'impuissance conjuguée à la suffisance d'une société incapable de changer.