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22 / 12 / 2016 | 145 vues
Pascal Jean / Membre
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Disparition de l'avis d'aptitude : la médecine du travail n'est pas une médecine assurantielle

Réflexions sur la « modernité » de l'article 102 titre V de la loi travail, à propos de l’aptitude.

L'aptitude délivrée par les médecins du travail dont la mission est « exclusivement préventive » est une protection juridique « médicale » de l'emploi des salariés et de leur capacité médicale à exercer un travail dans le cadre du secret médical.

En cas de problème de santé avec le travail, l'emploi du salarié est couvert par cette aptitude médicale jusqu'à ce que le médecin du travail en constate le contraire.

Démonstration

Jusqu’à présent, selon la loi, exprimée par la jurisprudence, un employeur ne peut licencier un salarié nouvellement embauché s’il n’a pas eu sa visite médicale d’embauche pour détermination de l’aptitude à l'emploi.

Par extension, si un employeur considère que l'état de santé de l'un de ses salariés pose un problème à son entreprise, il doit prendre avis auprès du médecin du travail afin que celui-ci statue à nouveau sur l'aptitude au regard des nouveaux éléments qui lui sont fournis.

Si le salarié est à nouveau déclaré apte avec aménagements éventuels, ce dernier n'a pas à craindre que son employeur le licencie en raison de son problème de santé car sinon celui-ci tomberait automatiquement sous le coup d'une discrimination pour état de santé attestée par le certificat d’aptitude.

À compter de janvier 2017, la nouvelle loi institue la disparition de l'avis d'aptitude.

Par conséquent, en l'absence de cet avis qui n'est plus légalement obligatoire, en cas de problème de santé chez un salarié posant des difficultés à l'employeur, rien n'oblige plus ce dernier à demander un avis médical auprès du médecin du travail. L'employeur a toute latitude pour décider comment il va résoudre ses difficultés avec son salarié malade, y compris en lui signifiant qu'il ne fait plus l'affaire en raison de ses insuffisances.

Ce sera désormais au salarié (nouvel article L4624-1 fourre-tout), de tout mettre en œuvre en amont de son éventuel licenciement (et comment peut-il prévoir que sa pathologie va mettre son emploi en péril ?), pour demander à son médecin du travail (s'il y pense car il ne l'aura le plus souvent jamais rencontré) de bien vouloir établir les recommandations visant à lui permettre de poursuivre son activité professionnelle malgré ses nouvelles vulnérabilités.

Mais avec la simple prescription de recommandations rédigées par le médecin du travail, non assorties d'une « aptitude à l’emploi au poste si… », l'employeur n'a pas plus de raison de considérer son salarié « apte à poursuivre sa tâche professionnelle ».

Car même si le salarié est reconnu comme « non inapte si » des aménagements de poste sont réalisés, il ne répond plus aux attentes des conditions de travail stipulées dans le contrat de travail et comme aucune aptitude n'oblige plus juridiquement l'employeur à maintenir son salarié en poste, il lui suffit d'attester par écrit, de son impossibilité à respecter les recommandations du médecin du travail, quel que soit le motif (y compris économique), pour qu'il ait légitimité à le licencier.

Dans ces conditions, il n'a même plus besoin d'obtenir la prononciation d'une inaptitude par le médecin du travail. Plus rien ne l’y contraint, si ce n’est le risque, dorénavant dépendant de la décision des prud'hommes d’être reconnu coupable de discrimination en raison d’un état de santé.
  • Mais pour cela, il faudra que le salarié, doublement fragilisé par sa santé et par son licenciement prenne encore une fois l'initiative, avec ses petits moyens, de saisir le tribunal des prud'hommes pour tenter d'y prouver, en révélant ses vulnérabilités (atteinte au secret médical = non-respect de la vie privée) que c'est en raison de celles-ci que son employeur l'a licencié abusivement (malgré ses capacités restantes, si celles-ci avaient été constatées par le médecin du travail etc).
  • S’il est débouté de sa démarche, c’est lui qui devra payer les frais engagés par la procédure (avocat, médecin expert), a contrario de la gratuité actuelle via l’inspection du travail.

Voici l'un des aspects de la modernité de l'article 102 de la nouvelle loi sur le travail.

On est passé de la protection médicale de l'emploi par les médecins du travail, interface médico-juridique neutre et indépendante, à la revendication des salariés auprès des prud'hommes pour le respect de leur santé au travail.

C'est pourquoi il n'est plus possible de s'incliner à nouveau devant ce foisonnement de raisonnements erronés et/ou fallacieux voire diffamants, qui ont notamment consisté à dire que l'aptitude en médecine de prévention devait disparaître car elle réaliserait une sélection des salariés.

Si c'est effectivement le cas en médecine de contrôle, ce n'est absolument pas le cas quand on est un médecin préventeur bien formé et conscient de ses rôles.

Or cette fois, la loi dite « El Khomri » va plus loin car avec sa demande masquée (art. L4624-2) de ne pas établir une action de « prévention d'altération de la santé des travailleurs du fait des conditions de travail » mais véritablement de « sélection des salariés », pour certains métiers qui seront « décrétés juridiquement à risques », elle veut faire du médecin de prévention, un médecin de contrôle autorisé dans ces cas-là seulement à délivrer un avis d'aptitude.

En dehors du fait que le Conseil d'État a déjà statué en 2006 qu'un médecin de prévention ne pouvait être à la fois un médecin de contrôle, on s'étonne que les promoteurs de l'abandon de l'aptitude de la commission Issindou-Fantoni, ces derniers prétextant que les médecins du travail n'auraient jamais les moyens de garantir pour l'employeur un état de santé stable de ses salariés, n’aient pas vu la contradiction absurde d'avec le fait que, s'agissant de métiers à risque, l'aptitude deviendrait tout à coup pertinente.

Les médecins du travail sont des médecins de prévention et non de contrôle du respect de certains critères d'inclusions dans une activité professionnelle ; cela, c'est de la médecine assurantielle.

En prévention, l'aptitude atteste, qu’à un instant T, il y a adéquation entre l'état de santé du salarié et les conditions de travail auxquelles il est soumis, dans le sens où cette adéquation n'altèrera ni sa santé, ni celle des tiers. Sa finalité en est la préservation de l'emploi dans le respect de la santé et non le filtrage avant embauche.

C'est par conséquen, un art dont la démarche intellectuelle est à l'opposé de la médecine de contrôle, démarche qui pour être efficace, pertinente et responsabilisante, requiert, à la différence de la médecine curative (colloque singulier sans employeur), des prérogatives juridiques « justes » pour obtenir l’indispensable confiance de nos « patients ».

Or, dans le contexte où la notion d'aptitude protectrice de l'emploi au poste aura disparu, toute recommandation, aménagement, demande de reclassement, convocation etc. aura pour simple effet de « révéler » à l'employeur que le salarié concerné présente un problème de santé pouvant affecter son travail.

Si cela contribue à la perte de son emploi, nos écrits n’ayant plus aucun véritable caractère contraignant pour le maintien en emploi, la confiance sera rapidement perdue.

Conclusion


Avec cette loi, le pouvoir légal de protéger l'emploi des salariés du point de vue médical, afin de préserver la santé des salariés, tant dans sa dimension professionnelle que sociale, confié en 1946 aux médecins du travail avec l'outil juridique de la visite d'aptitude, est désormais supprimé.

Rendu marginal et simplement consultatif, notre rôle est anesthésié et devient contre-productif.

Considérant que les salariés ont un rapport « synallagmatique » avec leur employeur, les promoteurs de cette loi justifient ainsi que chaque salarié défende sa santé au travail seul.

Dans cette même logique, la loi nous éloigne des salariés espaçant les visites de consultation clinique. Déjà, les propositions de séminaires de formations pour nous exhorter à passer de « l'individuel au collectif » pullulent, pour le motif du PST3, prétextant que seule la prévention primaire serait efficace pour améliorer le sort des salariés rendus vulnérables par la vie.

C'est malheureusement absurde et erroné car c’est évidemment en partant des constats de la clinique individuelle, avec des salariés-patients confiants, que se construisent les actions pertinentes sur le collectif mais également que sont dépistées précocement de nombreuses pathologies, totalement ignorées et sous-estimées par cette loi, qui abandonne ainsi la veille sanitaire actuelle.

Paradoxalement, la prévention de la désinsertion professionnelle et le maintien dans l’emploi (éminemment liés à la clinique) nous sont servis comme si c'étaient des nouveautés à privilégier.

Mais si le législateur veut réellement nous permettre de venir efficacement en aide à nos salariés-patients rendus vulnérables, il faut commencer par rétablir les conditions de la confiance.

Pour cela, il serait fondamental que les décrets à venir établissent, par exemple, qu’en cas d'éventuel contentieux pour un problème de santé au travail, le salarié qui saisit son médecin du travail soit juridiquement considéré « à risque (de perdre son emploi) » et qu’obligation soit faite d’obtenir préalablement à toute action auprès des prud’hommes un « avis d’aptitude » rédigé par le médecin du travail, seul véritable spécialiste de ces questions.

Rendu obligatoire et délivrée par le médecin du travail du salarié et de l’entreprise, l’avis constitue alors un document qui officialise juridiquement le caractère médical du contentieux en délivrant un diagnostic d'aptitude et non de simples recommandations (*).

Neutre et objectif, responsabilisant employeur, salarié et médecin du travail, respectueux du secret médical, notre avis peut ainsi contribuer à la possibilité pour le salarié de faire valoir ses droits au respect de sa santé au travail, sans qu'il ait forcément à en passer par un référé des prud’hommes. Il permet de regagner sa confiance.

Dr P. A. Jean, le 7 septembre 2016, membre d'un collectif de médecins du travail d'Île-de-France.

(*) Il faut se rappeler qu'initialement les mesures 21 et 22 des 50 propositions de simplification de la loi Macron, consistaient à vouloir considérer le « 1 millions d'avis d'aptitude avec réserve que nous déclarons annuellement, comme de véritables inaptitudes ». Cette fois, il n'y a plus d'avis d'aptitude ...

 

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3- La réponse que vous faites à M. HAMON m'empêche de comprendre votre logique. Alors qu'il cite l'article qui maintiendra l'avis d'aptitude obligatoire pour certains risques uniquement (décrétés par le Conseil d'Etat), ce qui valide l'idée pourtant largement controversée que l'aptitude consisterait à effectuer une sélection de salariés "adaptés" aux exigences des postes auxquels on les destine, vous semblez approuver cet article. En effet, vous semblez considérer, seul contre l'opinion de la majorité des syndicats professionnels, qu'il ne s'agit pas d'une demande de sélection et estimez qu'il est possible de pouvoir évaluer les risques pour la santé des salariés avant leur embauche sans même connaître leurs conditions de travail, vous plaçant ainsi en totale contradiction avec votre propre définition de l'aptitude pour laquelle vous n'ignorez pas la différence entre travail prescrit et travail réel. [A ce propos aucun des articles proposés par cette loi ne résout la problématique de l'accès aux conditions de travail des salariés intérimaires ou des SSII, pourtant essentiel à notre exercice pour pouvoir apprécier objectivement leur environnement professionnel. ] Il est par ailleurs peu déontologique voire diffamant de sous-entendre que des confrères (lesquels?), continueront -malgré cette réforme- de prononcer des inaptitudes "inadaptées" en raison de leur mauvaise interprétation "supposée habituelle" des textes. D'où sort cette affirmation? De quelles preuves disposez vous? Ce qui est vrai en revanche, c'est que dans l'immense majorité des cas d'inaptitude, les salariés eux-mêmes souhaitent ainsi pouvoir préserver leur santé en quittant l'entreprise tout en conservant leurs droits. Ce qui est vrai également, pour m'occuper moi-même (entre autres), de la plus grande association nationale de personnes handicapées, c'est que le taux de chômage chez les travailleurs handicapés a augmenté de plus de 120% depuis la crise financière de 2008 et cela malgré les incitations faites aux employeurs, l'aide des SAMETH et de l'AGEFIPH, de nos ergonomes et de nos avis d'aptitude. Et je sais aujourd'hui leur immense inquiétude à la lecture de cette loi et leurs actions permanentes auprès des différentes assemblées pour se prémunir du pragmatisme économique et judiciaire qui sous-tend toutes ces réformes. Celles-ci, adossées au nouveau dogme que chaque salarié est acteur de sa santé (relayé par des rancœurs anachroniques contre un paternalisme mandarinal qui a vécu depuis longtemps et/ou des médecins culpabilisés qui croient devoir s'excuser d'avoir à assumer des responsabilités), permettent ainsi sournoisement de le rendre responsable s'il est malade au travail et donc d'en assumer seul les conséquences (voir la palme d'or 2016, qui se passe en Angleterre aujourd'hui où ce dogme sévit depuis de nombreuses années pour améliorer les comptes sociaux ...). Ce qui est vrai enfin, c'est qu'en confiant aux Directions de SIST en 2011, la gestion de la Santé au Travail, l’État a institutionnalisé un énorme conflit d'intérêts, comme si l'on décidait de confier aux fabricants de tabac la prévention du tabagisme. A méditer en allant voir le film "La Sociale" qui retrace l'histoire de la création de la Sécurité Sociale" dans une France à genoux mais volontariste pour tendre vers l'égalité en droits de tous face à la maladie, aux accidents du travail et maladies professionnelles, à la natalité et à la vieillesse, ou en relisant l'analyse sociologique de Pascal MARICHALAR "La médecine du travail sans les médecins? Une action patronale de longue haleine (1971-2010)" ou encore tout simplement en prenant conscience que le chômage ne cessant d'augmenter, parallèlement aux déficits, pour les responsables politiques impuissants à enrayer cette ascension, il est désormais prioritaire d'optimiser la rentabilité des entreprises quitte à leur donner carte blanche.