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15 / 11 / 2016 | 87 vues
Max Masse / Membre
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Le bien-être au travail est-il compatible avec le management public ?

Le pôle fonctions publiques de la mutuelle AG2R La Mondiale organise une conférence intitulée « le management public est-il compatible avec le bien-être au travail ? », le 18 novembre 2016 à Paris.

Considérant que les conditions de travail et les styles de management influent fortement sur le bien-être dans les organisations et donc sur la santé des collaborateurs, les mutuelles du pôle fonctions publiques proposent d’approfondir le lien entre le management et bien-être au travail en posant trois questions/

  • De quels leviers disposent les managers pour agir sur les conditions de travail de leurs équipes et donc leur santé ?
  • Comment sensibiliser et former les managers à ces notions dans la fonction publique ?
  • Comment intégrer ces questions dans les pratiques managériales?

Pourquoi ne pas inverser la question ?

Il semble tout à fait judicieux que le management s’interroge sur sa capacité à créer du bien-être au travail. Toutefois, la notion de « bien-être au travail » fait appel à la subjectivité du rapport que les gens entretiennent d’une manière générale avec leur travail et du regard singulier qu’ils portent sur les activités qu’ils exercent dans un contexte particulier qui regroupe à la fois des dimensions professionnelles, privées et personnelles. On pourrait dire que, dans l’opinion, le « bien-être au travail » est une projection et une aspiration personnelle.

Dans un article (3) que je conseille à ceux qui s’interrogent sur ces questions, Vincent Grosjean et Sandrine Guyot nous précisent que cette notion est englobante et fait référence à un sentiment général de satisfaction et d’épanouissement dans et par le travail et non à la seule absence de pathologies, de maladies ou de handicap. Le bien-être met l’accent sur la perception individuelle des situations et des contraintes de la sphère professionnelle dont le sens pour chacun a des conséquences physiques, psychologiques, émotionnelles et psychosociales.

Pour l’Institut national de la recherche et de la sécurité (INRS), l’approche du bien-être au travail vise à construire les conditions organisationnelles de performances respectueuses de la santé des salariés favorisant la préservation de leur motivation et de leur implication à long terme.

On peut alors se demander comment ces conditions d’organisent entre les objectifs de performances collectives et individuelles ? Mais on peut également faire face à une alternative : pour qu’un travail de qualité soit produit de façon satisfaisante pour quelqu'un, faut-il questionner/évaluer la qualité du bien-être ou lé qualité du management ?

À titre de coopération conflictuelle (Clot) avec les intervenants de la conférence, je propose dans ces quelques lignes d’inverser le questionnement sous la forme : « le bien-être au travail est-il compatible avec le management public ? »

Mesure et démesure du bien-être au travail

Considérant que l’on ne peut pas mesurer directement le bien-être au travail, Victor Waknine, fondateur du cabinet Mozart Consulting propose, par un effet miroir et par contraste, de mesurer le mal-être au travail (non-disponibilité, non-engagement), le bien-être au travail se comprenant donc à travers un indice calculé via la somme des taux de mal-être au travail.

L’indice de bien-être au travail (IBÊT) est un outil dont le fondement idéologique est que l’enjeu crucial est d’appréhender la relation de confiance entre employeur et employé, afin de valoriser l’engagement du capital humain (4). Pour cela, l’indice calcule les sous‐performances éventuelles de l’organisation travers le calcul des taux de mal-être au travail de l’entreprise. Le bien‐être au travail est donc évalué en creux : IBÊT = 1 – indices de mal-être au travail (soit les IMÊT). L’indice a la particularité d’être le seul indice à ne s’appuyer que sur des mesures objectives, issues des données sociales internes, principalement le bilan social.

Via cette approche, il s’articule bien avec un certain nombre d’obligations légales du bilan social, du rapport RSE, du DUERP etc.

Les IMÊT capturent les éléments suivants : d’une part la disponibilité, via l’absentéisme pour maladie ordinaire et les arrêts de travail et, d’autre part l’engagement, via le taux de sorties forcées et le taux de désengagement (grèves etc. - voir détails en annexe). Les constituants de l’indice ont été choisis pour leur comparabilité nationale avec d’autres organisations et secteurs. Un outil complémentaire le management de la qualité de vie au travai (MQVTl) peut compléter l’analyse.

Il examine le contenu du  travail, l’environnement physique de  travail, l’organisation du travail, la réalisation et le développement professionnel, la conciliation entre vie au travail et vie hors travail, les relations sociales et professionnelles.

L'une des grandes valeurs de l’IBÊT consiste, à mon sens, à apporter un repère quantitatif en amont pour l’état des lieux et pour fixer des objectifs et en aval pour la mesure des résultats. De manière non accessoire, l’IBÊT permet également de rassurer les logiques gestionnaires pour lesquelles les 6 critères Gollac peuvent relever d’un certain ésotérisme.

Selon Victor Waknine, ce vaste projet pour parvenir à ses fins doit mobiliser l’ensemble des parties prenantes des entreprises : actionnaires, dirigeant, comité de direction, responsables RH et managers en vue d’un épanouissement collectif. Je partage enfin avec lui que c’est la recherche de la qualité du travail « bien faire son travail » qui fait la qualité de vie au travail, qui favorise le bien-être au travail dans les entreprises (5) et qu’il existe différents chemins pour réussir ce continuum.

Mais on pourrait également lui demander pourquoi il ne cherche pas plutôt à évaluer le management en partant des sous‐performances éventuelles de ce management au travers du calcul des taux de dysfonctionnements directs et indirects de l’entreprise. On ne cherche plus alors les indices de souffrance au travail pour trouver le bien-être mais les indicateurs et critères de management bienveillant, agile et positif permettant de produire ce bien-être.

Du bien-être des uns au management par les autres ?

D’une certaine manière, on retrouve initialement et de façon récurrente cette logique qui consiste à faire porter à la personne au travail la responsabilité de sa situation, que ce soit le stress (et le risque de souffrance) ou le bien-être au travail (et la perspective d’une réalisation et d’une forme de bonheur). Dans les deux cas, la personne est considérée comme victime ou comme bénéficiaire d’un état qui dépend de facteurs complètement hexogènes à la fois à ce qu’elle est et à la nature et la qualité du travail qu’elle produit ; le collectif est ainsi complètement occulté alors que c’est par lui que les questions doivent se poser et les réponses se chercher.

Toutefois, il est certain, à l’instar de la qualité de vie au travail, que les démarches de recherche de bien-être au travail ont le mérite d’inverser la tendance du « lamento mortifère » des risques ou troubles psychosociaux au bénéfice d’une vision systémique (positive, prospective et durable) qui englobe à la fois des dimensions de performances, compétitivité, rentabilité et une prise en compte des travailleurs comme des êtres humains. Mais à la condition que cette recherche de bien-être ne s’arrête pas à un changement sémantique mais bien à un changement de paradigme.

Simultanément, comment les incertitudes et la complexité de cet hypothétique bien-être au travail auquel aspireraient les travailleurs pourraient-elles être compatibles avec la rationalité, les contraintes et les exigences du management ?

De l’encadrement des uns pour le bien-être par et pour les autres

Mais en est-il de même dans la fonction publique pour ce qui concerne le bien-être au travail ? On peut initialement formuler l’hypothèse qu’il existe un parallélisme de forme entre secteur privé et secteur public, en considérant que toute personne au travail souhaite s’engager et en attend une forme d’épanouissement. En revanche, les notions d’efficience et de performances ne possèdent-elles pas des caractéristiques singulières dans la fonction publique dès lors qu’il est question d’intérêt général, de valeurs, de bien commun, de service rendu à des usagers, des citoyens, des contribuables ? Le rapport au temps est-il le même dès lors qu’il s’agit de service public ?

La notion de santé globale comporte certes une approche physique, mentale et sociale dans le collectif de travail mais ne comprend-elle pas une dimension sociétale sous-jacente essentielle : la volonté de participer à la construction d’un bien commun, la singularité d’un engagement adressé à un tiers demandeur, un certain rapport à l’altérité ? On pourrait ici rappeler Georges Canguilhem repris par Yves Clot : « Je me porte bien dans la mesure où je suis capable de porter la responsabilité de mes actes (autonomie), de porter des choses de l’existence (créer, fabriquer) et de créer entre les choses des rapports qui n’existeraient pas sans moi ». Autrement dit, c’est cette capacité pour chacun d’être à l’origine des choses, d’influencer sur son propre environnement et sa propre vie.

Dans ces conditions et par incidence, il n’est vraiment pas garanti que dans un ministère, une collectivité, un hôpital, un établissement public, un service, un groupe de travail etc., le bien-être général, s’il existe, résulte de la simple addition des bien-être individuels et se mesure avec des indicateurs quantitatifs de mal-être au travail. Par voie de conséquence, on peut accepter l’idée qu’il n’existe pas un bien-être au travail mais des bien-être au travail qui ne sont que la conséquence d’enjeux qui se situent ailleurs et entre autre dans les décisions des dirigeants et la capacité des dirigeants à les déployer.

Par ailleurs, on oublie quasi systématiquement et dit de façon un peu triviale que le « bien-être au travail », c’est pour tout le monde : y compris l’encadrement. Mais qui sont les encadrants aujourd’hui ? Quel projet global porte leurs actions ? Quel sens peuvent-ils leur donner ? De quelle chaîne de cadres disposent-ils pour les déployer ? À quels niveaux exercent-ils leur activité ? Quelles sont leurs marges de manœuvre ? N’oublions pas, par exemple, que :
  • pour un préfet de région, un directeur régional des affaires culturelles (DRAC) est un cadre de proximité ;
  • l’encadrement des directions départementales interministérielles dépend de plusieurs ministères et voit le périmètre de ses activités remis en cause régulièrement ;
  • les reconfigurations organisationnelles liées à la réforme de l’administration territoriale de l’État produisent un fait sans précédent : c’est l’ensemble de la chaîne d’encadrement qui est violement touchée dans une logique où une fois quelqu'un désigné à la tête de la pyramide, tout le monde est prié de descendre d’un cran directement ou indirectement dans l’organigramme (6).
Nous jetterons un voile pudique sur les études RH demandée par le ministère de la fonction publique (7), notamment en matière de santé au travail. En effet, comment faire grief aux acteurs de terrain, d’une part, de la relative qualité de ces études alors qu’ils ont eu moins de 6 semaines pour les réaliser et que, d’autre part, les projets d’organigrammes devaient être conçus dans le même temps sans qu’il soit possible de véritablement travailler leurs incidences sur le travail ? Les études ont été réalisées mais nous mesurerons au fil des mois leurs effetts sur les gens, leur travail et la qualité du service rendu.

Dans ce sens, nous avons regretté avec Pascale Pracros (8) la non-signature du projet d’accord-cadre sur la qualité de vie au travail que je considère comme une erreur historique ayant interrompu le processus lancé par les partenaires sociaux grâce à l’accord majoritaire du 20 novembre 2009 relatif à la santé et à la sécurité du travail dans la fonction publique, puis à l’accord du 20 octobre 2013 relatif à la prévention des risques psychosociaux. Il est nécessaire aujourd’hui de trouver un nouveau souffle et la recherche du bien-être au travail peut en constituer une piste si elle s’appuie prioritairement sur la recherche d’un travail de qualité.

Une responsabilité collective au plus haut niveau

Avec le franc-parler qu’on lui connaît Henri Lachmann (9) énonce très régulièrement dans ces conférences deux phrases choc : « le poisson pourrit par la tête » et « le premier responsable RH d’une entreprise, c’est le dirigeant ». Il martèle que l’implication et la guidance du dirigeant constitue l’élément fondamental du bien-être et de l’efficacité.

Au regard de ce qui précède, n’est-ce pas au niveau de l’État-employeur et de sa responsabilité sociale (pour ses agents) et sociétale (pour les usagers) que se situe le juste niveau pour penser, organiser et mettre en œuvre des mesures qui favorisent à la fois le bien-être des collectifs de travail et des concitoyens ? Mais alors une pensée stratégique peut-elle animer une approche globale de la santé, sécurité, sureté, environnement et de leurs risques afférents dans le système multi-référentiel du travail ?

C’est bien au niveau de l’État qu’il est nécessaire d’agir pour qu’il se positionne en employeur dirigeant et donc responsable de la santé au travail, des conditions de travail et de la qualité du travail et pas seulement en tant que prescripteur « descendant » de nouvelles procédures, ou organisations sans tenir compte des conséquences et des effets en cascade pour les dirigeants et leurs agents. Il est également nécessaire que les ministères et leurs dirigeants et les collectivités et leurs élus lisent les rapports qu’ils demandent et en tirent des enseignements immédiats. Pour autant, dès mars–avril 2012, l’École de la GRH de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a intitulé ses dixièmes rencontres professionnelles : « un enjeu pour les ressources humaines et managériales : construire la responsabilité sociale de l’État‐employeur » (RSEE). À n’en pas douter, c’est la construction de cette responsabilité en amont qui dirigera les actes de management en aval.

N’est-ce pas l’opportunité d’assumer une rupture avec l’approche historique et culturellement très marquée de la prévention des risques professionnelle et de l’hygiène et sécurité (l’agir sur) et de travailler à une co-construction collective de la santé au travail (l’agir pour et avec) en revisitant le cadre de référence des différents niveaux de prévention. De manière pragmatique et inductive, le caractère singulier et universel de la santé au travail n’offre-t-il pas une réelle occasion d’investir la RSEE dans les trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière) ? Faut-il séparer management, travail et service rendu et faut-il séparer managers, agents et usagers alors qu’ils font partie du même système dans lequel chacun a une fonction, un rôle et une place ?

Si, dans la fonction publique, nous pensions plutôt gouvernance et parties prenantes et partage de responsabilité ? Si les négociateurs des accords de 2009 et 2013 et du projet d’accord de 2015 avaient été des précurseurs ? Si la majeure partie des conditions était déjà remplie pour co-construire un plan santé au travail singulier dans la fonction publique française pour les prochaines années ? Si le Réseau des écoles de service public (RESP) était en capacité de prendre le relais pour intégrer les questions de santé-travail dans ses dispositifs, programmes et modules ?

Avec K. Boras nous pensons qu’une réflexion innovante et prospective est nécessaire sur ce sujet d’actualité : la santé au travail dans la fonction publique française comme clef d’entrée de la responsabilisation globale (10) et comme vecteur de bien-être pour l’ensemble des parties prenantes (acteurs et actants).

Le bien-être au travail serait donc compatible avec le management public pour peu que l’État-employeur fasse son projet du premier et donne de véritables axes d’action et des moyens humain, budgétaire et matériel au second.

(1)    http://www.fonctionspubliques.ag2rlamondiale.fr/bulletin-dinscription-en-ligne/#
(2)    http://www.fonctionspubliques.ag2rlamondiale.fr/contribution-de-m-hugues-perinel/
(3)    Grosjean, V. Guyot, S., « Bien-être et qualité de vie au travail, risques psychosociaux : de quoi parle-t-on ? » La revue technique de l’INRS, n° 2142. janvier/février/mars 2016, pp. 6-9.
(4)    Fabrique Spinoza, Guide pratique des outils de mesure du bien-être au travail, novembre 2013.
(5)    Groupe Apicil, https://www.youtube.com/watch?v=t9DObxBw1Zs
(6)    Nous pourrions également parler du personnel dans les préfectures, qui vivent des mobilités à la fois à titre fonctionnel et géographique sauf que ce sont des agents de catégorie C dont beaucoup ne sont pas culturellement préparés et n’ont pas été accompagnés professionnellement à ce type d’évolution ; a fortiori quand elle est imposée.
(7)    Circulaire fonction publique du 9 septembre 2015 relative à l’accompagnement de la réforme territoriale de l’État : études d’impact et plans ministériels d’accompagnement RH.
(8)    Max Masse et Pascale Pracros, « La négociation de la QVT dans la fonction publique : état des lieux et avancées possibles », Revue des conditions de travail, n° 4, mai 2016. pp. 123-131.
(9)    Henri Lachmann, Larose, C. Pénicaud, Rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail, 2010.
(10)                       K. Boras, Max Masse, Santé – Travail, une porte d’entrée vers la responsabilité sociale de l’État-employeur ?, Éditions e-Quickreads, 2016.

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La clé réside dans le fait de placer l'organisation au centre de la réflexion. Fort de ce constat est né un programme de recherche ambitieux et innovant pour la prévention du stress et de la fatigue. http://www.mobility-improveyourway.com/