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Canal+ : était-il nécessaire de sortir le fouet pour redresser le groupe ?
À l’heure où Bertrand Meheut passe la main sur une partie de son pouvoir opérationnel, nous sommes tentés de dresser un premier demi bilan en demi-teinte…
Sur le plan économique, pas mal…
Au regard de l’état du groupe il y a 11 ans, on peut dire que le travail a été fait et bien fait. De 5 milliards d’euros de dettes, le groupe a dégagé l’an dernier 700 millions d'euros de bénéfices nets. Nous revenons de loin : en 2002, le pire était tout proche. Si l’activité centrale de Canal+ comme soutien aux industries culturelles françaises avait été de moindre importance, il n’est pas sûr que le groupe serait sorti de cette impasse aussi simplement.
C’est en effet toute l’industrie cinématographique qui aurait été bouleversée et au-delà, l’ensemble de l’industrie audiovisuelle. Pire, le seul champion européen de la télé en crypté aurait pu sombrer, laissant le champ libre aux intérêts étrangers et notamment anglo-saxons…
Mais, pour sauver le soldat Canal, les options étaient multiples. Dans le cas présent, Bertrand Meheut a été totalement soutenu par son actionnaire Vivendi Universal.
- Trois éléments fondamentaux expliquent le redressement du groupe.
Le premier et le plus important d’entre eux, c’est la recapitalisation par notre actionnaire Vivendi à hauteur de 3 milliards d'euros. Le chèque signé par vivendi permettra à Canal de se sortir de cette très mauvaise passe, alors que le déficit atteignait le chiffre d’affaires…
Le second élément a été la vente d’actifs importants et l’externalisation de nombreuses activités. Parmi ces actifs Canal + technologies, l'un des fleurons mondiaux de la haute technologie. Canal+ technologies employait à l’époque plus de 700 ingénieurs et techniciens. Dans cette entreprise de haute technologie, on fabriquait les systèmes de contrôle d’accès et les systèmes d’interactivité nécessaires à la commercialisation de nos décodeurs. Les marchés étaient mondiaux : Europe, Inde, Chine et peut être Amérique...
- Canal + technologies a été bradée à Thomson, dépecée : un drame technologique, humain, financier.
Autre actif bradé (mais pouvait-on résister à l’époque ?), notre filiale italienne Telepiu. La vente à notre ennemi d’alors, Rupert Murdoch, avec lequel nous étions en procés aux États-Unis. Une filiale italienne qui venait enfin d’être redressée grâce aux efforts colossaux de centaines de salariés français, alors que cette entreprise commençait à dégager des bénéfices, et puis patatras ! Une vente au rabais : autre gâchis économique et humain…
De très nombreuses filiales étrangères ont ainsi été vendues, nous coupant irrémédiablement d’un développement international bien engagé, un positionnement que nous n'avons jamais depuis réussi à retrouver.
Des activités internes ont été à cette époque externalisées ; de l’informatique, on en mesure encore les dégâts aujourd’hui, ou encore des activités de production...
Sans oublier la vente du siège de la société, le bel immeuble blanc du quai André Citroën, voulu par André Rousselet et dessiné par Richard Meier, un grand architecte américain. La Caisse des Dépôts a racheté le bâtiment pour y installer une annexe du Ministère de la Justice. De ces externalisations datent dans certains secteurs ; la désorganisation chronique du groupe que nous ressentons encore aujourd'hui, notamment côté distribution.
Reconnaissons dans cette action stratégique, une constante de notre PDG…
En répondant à l’une de nos questions en 2002, concernant sa vision du groupe, « je le vois bien adossé à un pôle en clair… ». Il ne s’en souvient pas ou fait semblant, nous oui. Déjà, à l'époque, n’est-il pas normal pour un breton barreur de prévoir le gros temps et de connaître le port d’arrivée ? Un classique pour un patron d'entreprise, mais enfin... Le rachat de TPS, la simplification administrative du groupe, l'achat des chaînes Bolloré, le développement en Pologne, le développement du Studio Canal...
Nous pouvons aisément parier que Xavier Couture, le prédécesseur de Bertrand Meheut après le départ de Pierre Lescure, n’aurait pas fait mieux…
Malgrè cela, un certain nombre de choix stratégiques ou d'organisations restent incompris. Distribution, technique, service Clients, des décisions qui ont parfois incontestablement affaibli la superstrucure.
L'une d'entre elles concerne notre relation complexe avec les autres activités opérationnelles du groupe Vivendi.
- Nous faisons aujourd'hui plus d'affaires avec Free qu'avec notre cousine SFR. Un comble quand Free devient le concurrent violent de SFR. Mais il est des secrets et des rancœurs qui dépassent la logique industrielle...
Un résultat social irrémédiablement décevant
Après l'économique et le stratégique, le social et là, ça coince. Un bilan en demi-teinte...
Incompréhensible pour beaucoup. Comment et pourquoi Bertrand Meheut, ce Breton modéré et bon teint, a-t-il laissé dériver une politique sociale aussi contraignante ?
Était-il nécessaire pour redresser le groupe, de sortir le fouet ? Il y a sur cette question une incompréhension qui parcoure verticalement et horizontalement toutes les couches sociales de l’entreprise, et l'une d'entre elles en particulier : la représentation du personnel. Que de dégâts, que de chasse aux sorcières, que d’invectives, d’incompréhensions, de blocages inconsidérés !
Nous sommes évidemment persuadés qu’une autre politique sociale était possible. Mais Bertrand Meheut a certainement considéré qu’il fallait « remettre l’entreprise au travail » et pour ce faire, seule la manière forte le permettrait. Selon nous, cela a été une funeste erreur car les drames individuels et collectifs n’ont cessé de se développer dans de nombreux secteurs du groupe, essentiellement rive gauche de la Seine. Nous y sommes encore !
Il y avait moyen de faire autrement.
Il est temps. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux une politique de refondation sociale que nous allons accompagner avec volonté et détermination. Nous pensons qu’il est d’un intérêt vital pour l’entreprise de redonner du souffle aux 4 000 salariés alors que certains n’en peuvent plus, sont fatigués, s’en vont ou désespèrent. L’explosion du mal-être est en partie issue de cette indéniable dégradation de la relation sociale et managériale. Il est incompréhensible de laisser ainsi dériver le paquebot alors que le groupe se porte bien. Les conséquences sur les salariés sont visibles et parfois inquiétantes. Il est urgent de redresser la barre sur ce terrain.
La politique sociale d’un groupe comme le nôtre, une entreprise résolument tournée vers la modernité, ne peut s’appuyer sur des concepts erronés fussent-ils à première vue de bon augure. Car au cœur de cette stratégie se trouve un mal qui ronge sans bruit la superstructure. Il n'est pas visible à l’œil nu ou au premier venu. Mais certains collaborateurs (parmi lesquels les représentants du personnel) savent à quel point certains entreprises sont atteintes dans leur chair…
Ce n’est pas faute d’alerter, mais rien n’y fait. Pour notre syndicat, ne pas avoir su convaincre est un échec. Pourtant, durant les sept dernières années, nos actions ont souvent été curatives alors que nous privilégions le préventif. Aurions-nous dû laisser filer des situations individuelles dramatiques pour une prise de conscience plus rapide ? Nous ne le pouvions pas et nous ne le ferons jamais.
C’est donc la face la plus grise de l’action de ces dix dernières années, un résultat irrémédiablement décevant, souvent un gâchis humain, une perte de compétences trop importante...
Est-il trop tard ? Espérons que non, mais il est temps et urgent d’ouvrir ce chantier.
Hardi les gars, vire au guindeau...
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