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Victoires à la Pyrrhus des syndicats du commerce
D'un côté, les syndicats du commerce font des recours judiciaires (Séphora...) ou exercent leur droit d'opposition (Monoprix...) et obtiennent gain de cause. Mais il s'agit de « victoires à la Pyrrhus » car elles sont obtenues sans les salariés, voire contre leur volonté. Au risque d'éloigner définitivement le syndicalisme des entreprises.
Ces « victoires », dont la dernière en date est la décision de la Cour d'Appel de Paris du 10 octobre, fragilisent un peu plus l'implantation syndicale et des représentants du personnel dans les entreprises, mais paradoxalement rendent service aux entreprises qui doivent se poser très concrètement les modalités de leurs relations avec leur personnel.
Victoire apparente des syndicats du commerce au prix de la défaite (provisoire) du syndicalisme d'entreprise
Consultant en relations sociales auprès des directions mais aussi auprès de représentants du personnel dans les entreprises, j'ai été frappé de ces images de permanents syndicaux faisant face à de jeunes salariés sous les ors du Palais de Justice de Paris. Alors que ces permanents syndicaux sont censés représentés les salariés, le lien était manifestement rompu avec ceux censés être leurs mandants et le débat avait déserté le lieu de travail pour le prétoire.
Certes, ces syndicats se revendiquent de l'intérêt général (qui serait de ne pas travailler le dimanche et après 21h00 dans le commerce) mais nous savons tous que ces évolutions, même avec la gauche au pouvoir, vont se poursuivre. Très rapidement et dès la remise fin novembre du rapport de Jean-Paul Bailly, la loi va élargir les possibilités d'ouverture et laisser le soin aux accords d'entreprise d'en préciser les modalités (volontariat, rémunération majorée...).
Ainsi donc, le débat sur l'ouverture du dimanche et après 21h00 va reprendre dans les entreprises entre salariés, direction et représentants du personnel. Il y a fort à parier que ces élus du personnel trouveront des accords avec leur direction et que de nombreux délégués (tous syndicats confondus) les négocieront activement et les signeront des deux mains.
Car telle est la réalité du monde du travail aujourd'hui : il existe une coupure profonde entre les élus du personnel sur les lieux de travail et les appareils syndicaux de branche (les fédérations professionnelles) ou confédéraux. L'époque où au coup de sifflet les délégués « rameutaient » les équipes derrière les banderoles est révolue. Comme dans toute la société (et les syndicats n'y échappent pas), les individus s'autonomisent et veulent prendre leur destin en main.
Ceci, les directions d'entreprise vont devoir le prendre en compte. C'est en ce sens que les syndicats du commerce pourraient paradoxalement rendre un précieux service aux entreprises et aux salariés. Mais à quelles conditions ?
« Je voudrais bien mais je peux point » est trop souvent la complainte des DG et des DRH que je rencontre dans mes activités de consultant en relations sociales, tandis que celle de mes clients élus du personnel ou représentants syndicaux en entreprise serait plutôt : « qu'est-ce je peux faire pour que ça marche ? ».
Les cinq conditions d'un dialogue au service des performances
- Le partage des gains et la transparence sur les informations économiques
Le contentieux autour de l'ouverture dominicale et après 21h00 vient nous le rappeler : le but fondamental d'une entreprise est de gagner de l'argent en rendant service à ses clients, ce qui permet de payer ses salariés et d'en embaucher de nouveaux.
Nos permanents syndicaux seraient bien avisés d'aller dans les entreprises interroger sur ce point les salariés qui vont perdre leur complément de rémunération et ceux qui vont être privés de leur emploi « du dimanche et du soir », dont de nombreux jeunes finançant leurs études.
Dans ce cadre, les directions doivent prendre l'habitude de constamment informer les salariés sur la santé économique de l'entreprise et pas seulement au comité d'entreprise. Ces informations doivent être largement portées à la connaissance des salariés, réserve naturellement faite de ce qui mettrait l'activité en cause.
Mais qui dit partage des informations oblige aussi au partage des gains et des pertes issus des ralentissements conjoncturels, comme prévus par les accords de maintien dans l'emploi notamment pour les pertes et par les accords NAO, intéressement, participation etc. pour les gains.
- Générer de la confiance parmi ses élus et son personnel
Sur la base de ces informations, un chef d'entreprise doit toujours clarifier ses intentions tout en acceptant le conflit. Le corps social avance et progresse en s'opposant, mais ces oppositions ne doivent pas mettre en danger l'entreprise. Les enseignes de la grande distribution ont une assise économique puissante, mais quelle entreprise ou quel établissement peut aujourd'hui s'offrir le luxe de perdre 20 % de son chiffre d'affaires faute de dialogue entre les parties ? Aucun. Il faut le dire clairement : l'entreprise ne peut plus être le terrain de jeux ou l'enjeu de batailles idéologiques. Conflit et discussions exigeantes sont légitimes, mais doivent ne pas perdre de vue l'intérêt collectif du maintien et du développement.
- Faire émerger une représentation du personnel professionnalisée
Les élus du personnel et les représentants syndicaux sont aujourd'hui largement laissés à eux-mêmes, sans aucun soutien ou appui de leurs syndicats. Ils se démènent comme ils peuvent et comme ils savent et pour beaucoup avec loyauté et honnêteté, la corruption ne les concerne pas. Mais la bonne volonté ne suffit pas et les besoins de formation et d'accompagnement sont criants. Il incombe aux directions et aux comités d'entreprise de co-financer les formations de ces élus de manière à faire émerger des élus du personnel compétents et crédibles devant des salariés de plus en plus exigeants avec leur direction comme avec leurs institutions représentatives du personnel. Les salariés ne se mettront pas plus derrière des élus « fantoches » que derrière des élus « radicalisés ».
- Utiliser tous les canaux de dialogue et flux d'information
Le dialogue et les relations sociales ne doivent pas se réduire au « dialogue social » encadré par le Code du travail. Les directions doivent aussi promouvoir le dialogue et leurs échanges directs avec les salariés, le dialogue entre managers et élus du personnel, le dialogue entre élus du personnel et salariés, le dialogue entre managers, directions... L'entreprise dialoguante ne peut se réduire à un « dialogue cornérisé » au comité d'entreprise ou en négociations obligatoires.
Enfin, l'ANI du 11 janvier 2013, transposé dans la loi du 14 juin, fait un pas de plus vers le droit conventionnel avec la promotion des accords de méthode et des accords de maintien dans l'emploi. Cette porte entrouverte doit être poussée grâce à de véritables négociations d'accords d'entreprise avec suivi de leur mise en œuvre. Signer un accord c'est bien mais veiller ensemble à sa mise en application est un facteur qui doit permettre de faire converger direction, salariés et représentants du personnel vers les mêmes objectifs de performances économiques et sociales.
- Tirer profit des « ouvertures » législatives récentes