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08 / 10 / 2009 | 6 vues
Claude Emmanuel Triomphe / Membre
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Suicides, restructurations et santé des personnes

En 1999, une médecin du travail de la région grenobloise, employée par France Telecom, avait déjà soulevé devant moi nombre de troubles de santé occasionnés par les – déjà – nombreuses réorganisations de l’opérateur. À l’époque, elle se heurtait à l’indifférence de tous, y compris de la plupart de ses collègues. Il y a 18 mois, un syndicaliste CGC, co-fondateur du bulletin « Orange stressée » détaillait devant un panel d’experts européens la diversité des souffrances des salariés du même opérateur et expliquait le déni incompréhensible que lui opposait le management de ladite entreprise. Au printemps 2009, avec ces mêmes experts, nous publiions et remettions à la Commission européenne un rapport complet (HIRES) sur les effets des restructurations d’entreprises en matière de santé des personnes.

Ce lien entre santé et restructurations a été jusqu’à présent largement ignoré ; il constitue un domaine dans lequel peu de mesures ont été prises et qui n’a guère suscité d’intérêt, tant au niveau de la recherche que du public. Notre rapport démontre combien la santé peut devenir un problème crucial avant ou pendant une restructuration, problème qui doit être traité par l'entreprise mais aussi par les autres acteurs sociaux ou publics.

Qu’y disons-nous ?


D’une part, que les restructurations et réorganisations sont devenues un phénomène récurrent auquel sont confrontées toutes les sociétés européennes car ils impliquent des changements organisationnel importants : fermetures, réductions d’effectifs, externalisations, « offshoring », sous-traitance, fusions, délocalisations, mobilités internes ou tout autre réorganisation interne complexe.

D’autre part, qu’en dehors de leurs effets sur l’emploi et en raison de ces derniers, les restructurations ont également un  impact important sur la santé des salariés partants ou « survivants », des organisations et des territoires : détresse psychologique, dépression et angoisse mais aussi troubles du sommeil, diminution de l’estime de soi, problèmes musculo-squelettiques, voire suicides.

Des études nordiques font également état de surmortalité des salariés exposés aux fermetures d’entreprises. Qu’enfin la santé est un aspect fondamental qui a des répercussions sur l'emploi et la productivité au sein de l'entreprise. Préserver la santé doit donc être un souci essentiel pour tous ceux qui participent aux processus de restructuration ; or, c’est justement un aspect parmi les plus négligés des changements organisationnels. 

Le convoi social

Notre rapport conclut que les transitions professionnelles ont souvent des implications qui dépassent les capacités personnelles requises pour s’adapter aux difficultés de la vie. Il développe le concept de « convoi social » des salariés, qui permet à la société dans son ensemble et à tous les acteurs impliqués d’assumer une responsabilité sociale pour atténuer ce processus. Il plaide en faveur d’une reprioritisation de la santé au cours des restructurations et d’une réinternalisation des coûts sanitaires liés aux restructurations.

Il insiste sur la nécessité d’élargir le concept de restructurations qui se limite trop souvent à sa dimension économique et formule 12 recommandations dont cinq relèvent de l’urgence :

  • la mise en place d’une vraie surveillance de l’état de santé des salariés en restructuration associant systèmes de santé publique et de santé au travail
  • la définition des restructurations et changements organisationnels majeurs comme facteurs de risques professionnels à partir du moment où ces mutations sont récurrentes
  • l’instauration d’un principe de responsabilité, au moins conjointe, des entreprises face aux conséquences des restructurations
  • la sensibilisation massive des managers comme des instances de dialogue social, aux liens entre santé et restructuration et l’exigence de plans d’action, de prévention et de réparation
  • la définition d’une stratégie publique adaptée, notamment pour l’inspection du travail, afin que celle-ci se transforme pour faire efficacement face aux transformations de l’emploi, des travailleurs et des entreprises. 


C’est dans ce contexte global qu’il faut replacer les suicides chez France Telecom ou ailleurs. Car s’il convient en la matière de manipuler les faits et les chiffres avec d’infinies précautions, une chose est sûre : ces drames ne sont que le sommet d’un iceberg que trop de managers, de politiques, voire de responsables sociaux, ont décidé d’ignorer. La crise actuelle renforce la nécessité de conduire autrement restructurations et réorganisations. Pas en médicalisant le traitement social des restructurations, ce qui serait un comble, mais en allant vers des outils, des instruments et des pratiques pouvant aider à opérer des changements beaucoup moins dommageables socialement.

Notre société doit tirer les conséquences des drames qui se produisent. Les managers qui se prétendent socialement responsables ont là un champ d’action considérable : à eux de montrer que ce concept n’est pas vain.

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... et aux membres de CHSCT de jouer pleinement leur rôle de prévention des RPS : ils doivent être informés et consultés préalablement à tout  "avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail" (article L4612-8 CT) et peuvent à cette occasion notamment mettre en exergue les risques pour les salariés qui "restent" au besoin avec l'aide d'un expert agréé par le Ministère du travail (art L 4614-12 CT)

A noter également que la chambre sociale de la Cour de cassation a été jusqu'à suspendre une réorganisation en se fondant sur l'obligation de résultat qui pèse sur le schef d'entreprise concernant la santé et la sécurité de ses salariés  (arrêt SNECMA du 5 mars 2008 n° 06-45888 http://www.miroirsocial.com/actualite/le-juge-peut-suspendre-une-reorganisation-pour-des-motifs-de-sante-et-de-securite)

 Les outils juridiques existent pour faire prendre en compte les dégats "collatéraux" que font subir toutes ces réorganisations sauvages sous le diktat économique "il faut bouger sinon on meurt", bouger, oui mais pas sauter dans le vide !

Lurent JEANNEAU

www.acces.fr