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Réforme de la formation, est-ce que « ça va mieux » ?
La réforme de la formation ressemble à un missile sol-sol à deux étages. Elle n'aura apporté au monde du travail depuis 2014 que faux-semblants, procrastination et illusion éducative.
Comment peut-on apprendre (et se développer) sans avoir confiance ?
Outre le montage de redoutables usines à gaz comme le CPF, le socle des compétences ou le conseil en évolution professionnelle, cette réforme prétendait reconstruire la formation professionnelle pour les quarante prochaines années (cf le rapporteur de la loi et le ministre du Travail de l'époque). En fait de refondation, la formation pourrait être étouffée, démantelée et désorientée pour très longtemps.
La réforme organise la régression de l'ensemble des apprentissages professionnels.
Le premier étage de ce missile a été bâti au cours d'une énième négociation sociale (en 2012 et en 2013) pendant laquelle le MEDEF et la CFDT se sont accordés pour supprimer la cotisation obligatoire du plan de formation (0,9 % de la masse salariale du défunt plan de formation) et pour dissoudre le droit à la formation (DIF) remplacé par un inutile compteur d'heures censé propulser la formation des salariés et des chômeurs.
Le second étage était plus furtif et discret : il s’agissait de récupérer une grande partie des fonds mutualisés de la formation des entreprises privées pour à la fois :
- nourrir un service public de la formation inadapté et mal géré,
- et renouer avec le traitement social du chômage en multipliant les stages occupationnels pour chômeurs (sans réelles perspectives d’emploi).
La réforme oppose et clive les acteurs de la formation sur fond de disette financière : le public contre le privé, les chômeurs contre les salariés, les formations longues et certifiantes (souvent inutiles ou inaccessibles) contre les formations courtes indispensables au travail.
Le signal délétère envoyé aux travailleurs depuis 2014 est le suivant : « attendez donc d'être au chômage pour vous former mais pour passer le temps, vous pouvez compter vos heures (de CPF) ».
1) La qualité des formations aurait également été problématique et pour résoudre cette quête improbable de la qualité totale les pouvoirs publics ont organisé la liquidation d'un très grand nombre d'organismes de formation privés.
- On a prétendu que le secteur public était seul capable de délivrer des formations de qualité (il aurait été de qualité de droit, sur sa seule bonne mine mais en étant incapable de démontrer par ses résultats commerciaux sa valeur ajoutée).
- Que le secteur privé de la formation était peuplé d'escrocs (des boîtes à fric) et qu’il fallait mettre un terme à ce « scandale » des 32 milliards d’euros gaspillés en formation (qui se sont dégonflés aujourd’hui en 6 petits milliards).
- Que le secteur privé était en outre noyauté par des sectes qui mettaient en danger la santé mentale des salariés. La MIVILUDE estimait, au doigt mouillé, que 10 % des formations en France étaient sectaires.
2) En catimini, il s’agissait aussi de nier l'existence et le maintien d'un marché ouvert, libre et concurrentiel de la formation.
Jusqu'en 2015, le secteur privé de la formation captait une grande partie des fonds des entreprises. Ce développement du secteur privé a paru inacceptable à ceux qui ne parviennent plus à gérer leurs propres organismes de formation et ils ont donc tenté de ressusciter la guerre scolaire du XIXème siècle avec le classique « les fonds publics doivent aller au secteur public ».
3) On a prétendu que 58 000 « officines » de formation, c'était beaucoup trop.
58 000 organismes de formation semblaient être de trop pour les pouvoirs publics car il était devenu difficile de les contrôler (un peu comme les auto-entrepreneurs qui ont, eux aussi, manqué de disparaître en 2013). On a donc tenté de singer l’Allemagne et ses 8 000 organismes de formation.
Pourtant, outre-Rhin, le contexte éducatif est fort différent : une école de qualité a été restaurée en moins de dix années et l'Allemagne favorise l'apprentissage depuis toujours, alors que la France dévalorise le travail manuel, les formations techniques et l'apprentissage en entreprise.
En 2015, près du quart (soit 15 000) des organismes de formation ont disparu et la liquidation de beaucoup d’autres est toujours en cours (couper toutes les ressources des organismes de formation pendant un an en prétendant que ce serait une année de transition était la meilleure façon de les faire discrètement disparaître).
L'année 2015 a donc été une année sans formation (ou presque) contribuant à casser dans nombre d'entreprises la petite dynamique éducative qui se mettait en place depuis 2004.
Au final, la formation est désormais plongée dans la dépression et le désarroi éducatif avec l’amputation ou la rétention d'une grande partie des budgets de formation des entreprises (moins 90 % de budget dans certaines grandes entreprises de main d’œuvre, plus rien non plus dans les TPE) et l'incapacité pour les salariés d'utiliser librement leurs anciennes heures de DIF.
En fait de refondation, cette loi brouillonne et faite d'improvisations replonge le pays vingt années en arrière, annihile tous les progrès enregistrés depuis la réforme de 2004 en n'offrant aucun cadre bienveillant, simple et facilitateur pour se former.
La formation est en panne en France.
On a prétendu aider les moins qualifiés, les salariés des PME ou les travailleurs précaires pour leur formation mais c’est exactement le contraire qui est en train de se produire dans l’indifférence généralisée ou les excuses navrées devant tant d'incompétences.