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Reconnaissance du doctorat dans la fonction publique territoriale
L'article 78 de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, codifié à l'article L. 412-1 du code de la recherche, tend à la reconnaissance de la valeur du doctorat en facilitant l'accès des docteurs aux fonctions publiques et en favorisant le déroulement de leur carrière.
Il existe des contradictions entre la mise en place de l’architecture LMD et le besoin légitime de reconnaissance des docteurs dans le champ professionnel, comme le souligne Edwin Matutano, docteur et avocat, dans un article de la revue Actualité Juridique Fonctions Publiques, intitulé « La reconnaissance du doctorat dans la fonction publique : une bouteille jetée dans l'océan normatif ? » [1].
À ce jour, l’Association nationales docteurs (ANDES) recense néanmoins une quarantaine de dispositifs visant à faciliter le recrutement de docteurs dans la fonction publique. Les plus anciens datent de 2009 et concernent la fonction publique d’État.
Dans la fonction publique territoriale, il aura fallu attendre 7 ans de plus pour la mise en œuvre du premier mécanisme équivalent.
Deux catégories apparaissent principalement :
- une épreuve adaptée aux titulaires d'un doctorat,
- une bonification de deux ans d’ancienneté au titre de la période de préparation du doctorat. Rappelons que la durée théorique d’un doctorat est de 3 ans mais que la durée réelle moyenne est de 4 ans et un mois.
Le présent projet de décret organise donc une épreuve de concours adaptée aux titulaires d’un doctorat, qui ne manquent pas d’interroger.
Le décret introduit une épreuve adaptée aux titulaires d'un doctorat présentant le concours externe de conseiller territorial des activités physiques et sportives, de psychologue territorial, d’attaché territorial, d’administrateur territorial, d’ingénieur en chef territorial et d’ingénieur territorial afin qu’ils puissent présenter leurs travaux universitaires résultant de la formation à la recherche et par la recherche, conformément à l'article L.412-1 du code de la recherche.
Comme nous le verrons plus tard, cette disposition est également introduite dans le cadre d’emploi des médecins, des pharmaciens et capitaines de sapeurs-pompiers professionnels.
Les modalités retenues pour ce faire varient d’un concours à l’autre, mais leurs caractéristiques communes ne manquent pas d’interroger, à savoir épreuve orale, fiche individuelle de renseignements, voire un CV (ingénieurs en chefs territoriaux).
L’obtention en soi d’un doctorat ne serait donc pas suffisante pour la reconnaissance au sein de la fonction publique territoriale de ce diplôme sommital de l’enseignement supérieur français. Une épreuve serait donc nécessaire pour lui donner une valeur au sein de notre fonction publique territoriale.
Un jury de concours serait-il plus qualifié et compétent pour évaluer un doctorat qu’un jury de thèse, dont l’avis sanctionne le parcours de formation le plus élevé du système d’enseignement supérieur français, l’acquisition de compétences et de méthodes dans un cadre professionnalisé ?
Sur quelle base le jury de concours donnera-t-il son avis sur ce parcours de recherche ?
Quels sont les critères objectifs de prise en compte des acquis de l'expérience professionnelle résultant de la formation à la recherche et par la recherche qui a mené à la délivrance du doctorat ?
Une vision restrictive de la reconnaissance du doctorat
Au demeurant, ce projet de décret s’inscrit dans la ligne droite des sentences et avis rendus par le Conseil d’État.Cette haute instance estimait dans sa décision n° 137284 du 9 février 1994, Union syndicale des administrateurs civils, que le critère de possession d'un diplôme de docteur n'est pas de nature, à lui seul, à fournir des garanties suffisantes de compétences.
Dans son avis du 4 septembre 2014 sur la reconnaissance de l'expérience professionnelle, cette acception restrictive du doctorat était réitérée par le Conseil d’État. Ce diplôme ne semble pas être, à lui seul, un critère de nature à assurer de solides qualités professionnelles dans les fonctions publiques.
Le Conseil d'État demandait au gouvernement de ne pas prendre en considération la totalité de la période de préparation au doctorat lors de la nomination ou de la titularisation d'un fonctionnaire et de veiller à ce que cette prise en considération ne procure pas « durablement » à ce dernier « un avantage de carrière disproportionné ne pouvant trouver de justification dans une différence de situation existant par rapport aux autres membres du corps ou cadre d'emplois ».
Il recommandait au gouvernement de limiter la prise en considération de l'expérience professionnelle acquise pendant la préparation du doctorat aux lauréats des concours réservés ou adaptés aux docteurs en vertu des nouvelles dispositions législatives et non à tous les lauréats de concours de catégorie A.
Pour une véritable reconnaissance des docteurs et doctorants dans la FPT
L’expérience professionnelle de trois ans que constitue le doctorat mène au développement de compétences transverses communes à tous les docteurs et à des compétences spécifiques développées par une appropriation personnelle de l’expérience doctorale. Elle repose sur l’unicité du doctorat reconnue par la loi.Quelle que soit la voie d’admission, l’expérience professionnelle apportée par le doctorat doit être prise en compte tant au niveau de l’accès au recrutement, que lors du recrutement lui-même, ainsi que pendant la carrière, ce également rétroactivement pour les docteurs déjà en poste, notamment pour l’évolution dans la grille indiciaire et l’évolution des missions.
Les docteurs représentent un vivier qui correspond aux besoins actuels de la fonction publique. Fortement féminisé, plus diversifié socialement que celui des grandes écoles, les docteurs offrent l’ensemble des compétences actuellement recherchées par la fonction publique pour alimenter son encadrement.
Leurs connaissances et savoir-faire spécifiques à chaque domaine de recherche et les compétences transversales des docteurs constituent un potentiel fructueux pour la fonction publique territoriale : établir un diagnostic, envisager différentes solutions et les appliquer ; gérer un projet et scinder un problème complexe en opérations simples consécutives ; recherche de financements ; collaborations internationales ; capacité de synthèse et d’expression ; travailler en équipe ou en autonomie et transdisciplinarité.
Ce alors que la complexification du monde territorial s’accroît chaque jour, comme celle de la société dans son ensemble.
Les employeurs territoriaux ne s’y trompent pas. Leurs recrutements de docteurs en témoignent comme la démultiplication des fonctions de directeurs de projets-experts.
Considérant ces éléments, les propositions de la CGT sont les suivantes :
- la reconnaissance formalisée des compétences développées lors du doctorat par une fiche RNCP - répertoire national des certifications professionnelles (cf. la fiche de l’ANDES) ;
- des emplois dans la fonction publique territoriale d'un niveau adéquat à la formation doctorale ;
- des règles d’avancement et de promotion identiques dans les 3 versants de la fonction publique pour les docteurs (il existe aujourd’hui des règles plus favorables pour les corps des inspecteurs de 2ème classe de l’IGAS ou de ceux l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche) ;
- la reconnaissance de l’intégralité du parcours et de l’expérience, des qualifications de niveau I à III ;
- la reconnaissance de la qualité de doctorant pour les agents de la fonction publique territoriale, au titre de la formation professionnelle et le développement de mesures incitatives pour mettre en place le CIFRE.
Rappelons ici la modestie des effectifs concernés : de 1 à 3 % des lauréats de concours de la catégorie A de la fonction publique territoriale. Il n’y a en France que 200 000 titulaires d’un doctorat parmi les 25 – 64 ans. Combien sont-ils dans la fonction publique territoriale ?
La CGT préconise d’ailleurs, une mission sur ce sujet attribuée à l’observatoire de l’emploi du CNFPT.
La CGT ajoute qu’il faut une grille de rémunération positionnant les docteurs à un niveau représentant 2,3 fois le SMIC, soit 3 910 euros bruts en début de carrière.
Le 25 octobre dernier, la CGT s’associait dans un communiqué à FO, Solidaires, l'UNEF, l'UNL et la FIDL, en vue de la journée d’action du 16 novembre, notamment au sujet de la remise en cause des droits à l’avenir des jeunes par l’instauration d’une sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur.
Cette mobilisation concerne également la question des formations doctorales qui diplôment chaque année 12 200 docteurs (7 800 en sciences, STAPS et santé, 2 800 en lettres, sciences humaines et sociales et 1 600 en droit, sciences politiques, sciences économiques et de gestion).
Le gouvernement s’est engagé dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA3) à une restructuration du système d’enseignement supérieur et de recherche, avec la création « d'écoles universitaires de recherche » (EUR), inspirées du modèle anglo-saxon des graduate schools.
Avec ces 29 EUR, concentrant 216 millions d’euros de crédits de recherches, les écoles doctorales classiques seront rapidement déclassées et, avec elles, leurs diplômés dont la valeur du doctorat sera certainement affaiblie sur le marché.
A contrario, la CGT propose la mise en œuvre d’une véritable politique publique de recherche permettant de développer l’emploi des chercheurs publics, notamment afin de faire face aux défis de notre société.
[1] Edwin Matutano, « La reconnaissance du doctorat dans la fonction publique : une bouteille jetée dans l'océan normatif ? », L'Actualité juridique fonctions publiques (AJFP), 2015, p. 275.