Organisations
Pour une information des salariés sur la cession d’entreprise
Le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) doit venir en discussion au Parlement au début du mois de novembre. Si beaucoup s’accordent sur l’objectif de renforcer la place de l’ESS, les articles 11 et 12 de ce texte de loi, en créant un nouveau droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine, ont vivement fait réagir le patronat.
Les salariés doivent-ils avoir un droit de regard sur les conditions de rachat de leur entreprise ? Est-il légitime de leur donner la possibilité de la reprendre s’ils le souhaitent ? Les réponses à ces questions dépendent étroitement de la conception que l’on a de l’entreprise et de la place occupée par les salariés.
- Depuis la création de Syndex en 1971, nous avons eu l’occasion de côtoyer beaucoup de cas de transmissions d’entreprise parmi les 2 000 missions d’assistance auprès des CE et CHSCT que nous menons tous les ans.
- En tant que SCOP, nous sommes aussi régulièrement sollicités pour étudier la faisabilité de la reprise par les salariés sous ce statut. Nous pouvons ainsi nourrir ce débat avec quelque légitimité tirée des fruits de notre longue expérience.
Une chance pour l’entreprise
Pour nous, l’entreprise est d’abord et avant tout un « projet de création collective » associant entrepreneur, salariés, actionnaires et sous-traitants. Elle ne se résume ni au contrat de société liant les actionnaires entre eux, ni à une partie du patrimoine de l’entrepreneur individuel.
En mettant en œuvre les orientations choisies, en produisant, en travaillant sur l’innovation et le développement, en prenant des initiatives et des décisions, les salariés sont au cœur du projet de l’entreprise. Leur investissement personnel, leur implication sont des éléments essentiels dans leur vie au travail et des facteurs de réussite de ce projet. Tant leur rémunération que la sécurité de leur emploi, qui dépendent de la situation de leur entreprise, font qu’ils assument également un risque, au même titre que l’investisseur.
Informer et consulter les représentants des salariés sur la situation de leur entreprise, leur donner le droit d’expression, le droit d’avoir un regard contributif, critique, différent, apparaît dès lors comme une évidence et cela a été une avancée majeure dans le Code du travail.
Ce droit est aussi une chance pour l’entreprise car il est un levier essentiel de l’implication des salariés, de la compréhension des enjeux auxquels elle est confrontée, au-delà de leur poste et de leur fonction, et quel que soit leur niveau hiérarchique.
Un événement majeur
Au contraire, l’absence d’information en amont et d’implication sur des projets importants alimente plutôt les rumeurs, la perte de motivation et surtout de fortes périodes d’incertitude ; nous pouvons largement en témoigner.
C’est dans ce cadre que la disposition sur la reprise de l’entreprise par les salariés, figurant dans le projet de loi de Benoît Hamon sur l’économie sociale et solidaire, prend tout son sens.
En effet, le projet de vente d’une entreprise est sans conteste un événement majeur : pour l’entreprise bien sûr dont la stratégie, le modèle de management, le « business model » peuvent être modifiés ; pour les salariés également puisque cette cession peut avoir des conséquences directes sur leurs conditions de travail, voire l’existence de leur emploi.
- Le prix de cession est aussi un élément déterminant pour les salariés car plus il sera élevé, plus il pèsera sur la rentabilité attendue de l’entreprise par l’acquéreur ; il aura donc une incidence sur l’emploi, les rémunérations et les futures conditions de travail.
50 000 emplois perdus chaque année
Quand un chef d’entreprise prend sa retraite et que le projet de vente n’aboutit pas, l’échec de la transmission conduit à la fermeture des installations. Les estimations actuelles évaluent autour de 50 000 le nombre d’emplois perdus chaque année pour cette raison. Au-delà de drames humains, ce sont des compétences et des savoir-faire qui disparaissent du territoire.
Si elle a pu réunir un certain nombre de conditions favorables pour pouvoir être réalisée, la reprise par les salariés peut être un gage de pérennité. L’emploi sur le territoire est sécurisé, le savoir-faire et les compétences restent, l’encadrement également. Dans le cas d’une reprise en SCOP, la prise de décision est désormais collective ; en intégrant le point de vue des salariés, elle tend à privilégier une vision à long terme de l’entreprise.
Dans les entreprises de plus de 50 salariés, le comité d’entreprise est actuellement consulté lorsque la vente est sur le point d’être réalisée. Le projet de loi prévoit que les salariés, dans leur ensemble, seront informés en même temps que le comité d’entreprise sera consulté sur le projet de cession. Il y a donc peu de changement avec la situation actuelle au niveau des droits mais l’information est élargie et peut susciter plus de projets de reprise.
- Dans les entreprises de moins de 50 salariés, rien n’est actuellement prévu par le Code du travail, faute de comité d’entreprise. Pourtant, la nécessité de ce droit à l’information et l’intérêt d’une éventuelle reprise par les salariés ne faiblissent pas avec la taille.
Solides garanties
Selon le projet de loi, le chef d’entreprise devra informer les salariés ou les délégués du personnel de son intention de vendre deux mois avant tout projet de cession.
Les réactions patronales sont d’autant plus surprenantes que le chef d’entreprise disposera de solides garanties pour mener cette opération : il gardera la décision de céder l’entreprise à qui il le souhaite, de mener des négociations avec des futurs acquéreurs sans en diffuser les modalités (prix, engagements de garantie etc.) et les transmissions dans le cadre familial seront exemptées de ce dispositif. Les salariés seront, en outre, tenus à une obligation de discrétion et ils ne disposeront pas d’un droit de préférence.
Mais cette disposition du projet de loi est importante en ce qu’elle approfondit le droit à l’information des salariés pour toutes les tailles d’entreprise et leur donne les moyens d’étudier un projet de reprise. La culture du secret des affaires, qui est trop souvent opposée à toute volonté d’implication des salariés, n’est pas forcément le meilleur allié de l’entreprise.
Anticiper le changement, créer les conditions de succès d’une reprise, impliquer tous les salariés, sont également des voies pour la réussite de nos entreprises et la sécurisation de l’emploi.
La viabilité d’une reprise par les salariés n’est pas garantie mais donnons lui sa chance ! Beaucoup de chefs d’entreprise, en cédant celle-ci, visent d’abord la pérennité de leur projet avant la plus-value qu’ils vont éventuellement en retirer. Ils savent que les salariés ont été au cœur de la réussite du projet. Gageons qu’ils seront sensibles à ce que leur avis soit sollicité.