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16 / 06 / 2020 | 376 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Un guide RH pour saisir les opportunités du management post-crise covid-19 dans la fonction publique

Que l'on s'interroge sur les enseignements à tirer de la crise sanitaire que l'on vient de traverser et sur la manière de gérer le contexte de reprise d'activité peut paraître tout à fait pertinent et l'annonce par la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) de la sortie d'un guide de RH ne pouvait que retenir l'attention et présenter un certain intérêt...

 

Malheureusement, la lecture de ce guide intitulé  « Manager dans un contexte de post-crise covid-19 : comment anticiper et accompagner ses équipes et la reprise de l'activité », élaboré par la sous-direction de la protection sociale et de la qualité de vie au travail et par l’équipe de projet du bureau de l’organisation, des conditions et du temps de travail pour la DGAFP avec le concours d'une dizaine de conseillers en organisation du travail et conduite du changement de RH des plates-formes régionales interministérielles d’appui à la GRH) a immédiatement suscité de légitimes interrogations et vives réactions sur le terrain.

En effet, ce document d'une vingtaine de pages qui est présenté comme devant permettre aux services de RH et aux managers d’accompagner les collectifs de travail dans cette transition, apparaît d'emblée un peu « hors-sol » avec une approche technocratique et une déclinaison de recommandations ou mesures plus ou moins fumeuses bien éloignées des préoccupations et des exigences du terrain dans les différents postes ou services de la fonction publique.
 

En préambule, on notera que les auteurs ne manquent pas d'humour et ont dû beaucoup « travailler » pour planter le décor de leur ouvrage et expliquer la raison de leur première accroche d'introduction « reprendre le travail après le confinement : risque ou opportunité ? », ce qui ne manque pas de saveur. En effet, pour une crise qui nous vient tout droit de Chine, les rédacteurs ont logiquement été chercher leurs références dans le chinois mandarin pour expliquer que le mot Weiji « crise » est en fait composé de deux idéogrammes. Le premier signifie Wei « danger » et le second, Ji « opportunité, occasion ». Voilà. Pour les auteurs, « cela montre bien tout le paradoxe de la crise : une situation dangereuse qui permet de saisir une occasion » (sic). Il fallait le faire...

À partir de là, comme le contexte environnemental, économique et sociétal laisse présager d’autres crises à venir, « les organisations vont devoir s’habituer, leur donnant aussi l’opportunité de faire émerger l’intelligence collective, d’innover pour développer leurs capacités à s’adapter [et] de construire des organisations apprenantes ».

 

Et de préciser que :

« Ce guide a pour vocation de permettre aux services de RH et aux managers d’accompagner les collectifs de travail dans cette transition en proposant une approche en quatre temps :

  • préparer la reprise opérationnelle, dans le mois précédent le début du déconfinement,
  • libérer la parole et reconstruire les échanges au moment de la reprise,
  • organiser le retour d’expérience pour progresser et mieux anticiper, 2 à 3 semaines après la reprise,
  • retenir l’essentiel et l’inscrire dans un projet de service co-construit, durant les mois suivants ».

 

Beau et vaste programme et belles envolées de littérature, dans un contexte où, au-delà des mots et des principes énoncés, tout, depuis des mois et des années que le dialogue social, démontre que ce ne sont pas ceux qui en parlent le plus qui le pratiquent le mieux et  il est clair que les déclarations d'intentions sont une chose mais qu'en la matière, c'est bien surtout un autre état d'esprit qui doit l'animer pour rétablir un véritable climat de confiance. On en est loin !

 

En tout cas, au regard des « précieux » conseils de méthodes ou consignes d'organisation des « temps d'échange », nous souhaitons bon courage aux services de RH dans les départements et aux responsables des postes et services qui doivent faire face au mieux à leurs missions dans un contexte déjà fortement dégradé et qui ont très concrètement certainement bien d'autres choses à faire que de se plier à ces « injonctions » de réunionite « encadrée », avec toute une déclinaison de « pré-requis », de « points de vigilance », de « mise en forme de la démarche » et des « processus de restitution aux autorités ».

 

Nul doute que les responsables administratifs apprécieront ce document à sa juste mesure, lequel comporte en annexe de surcroît, des « suggestions » de méthodologie pour « faire évoluer les processus de « l'avant » et inscrire l'organisation dans la continuité ».

 

Pour les rédacteurs de ce guide, « il s’agit pour les encadrants de réussir à prendre les enseignements de la crise en compte dans la marche de l’organisation. C’est l’occasion pour les équipes de faire évoluer ce qui leur semble désormais essentiel pour le bon fonctionnement de l’organisation et les manques constatés. Garder l’essentiel et l’inscrire dans un projet de service ou un projet de transformation peut être une bonne manière de réagir aux attentes des équipes ». Mais qu'en est-il des attentes légitimes des citoyens en termes de qualité de service, de disponibilité, de proximité des services publics leur garantissant une égalité d'accès et de traitement sur l'ensemble du territoire ?
 

Sans vouloir faire de mauvais esprit en cette période, à travers cette nouvelle initiative et des terminologies, il ne faudrait pas que l'on recherche de manière détournée à ce que l'essentiel devienne un service minimum afin de poursuivre le processus budgétaire engagé ces dernières années visant à toujours faire avec moins de moyens.
 

Les recommandations de méthode ne sont pas là pour rassurer. En effet, dans les idées mises en avant, on trouve ce qui est présenté comme « un exercice fondateur du renouvellement », celle de l'atelier de « l'homme de Vitruve » (**), réunion au cours de laquelle les  participants, inspirés du retour d’expérience, sont appelés à décrire :

  • « moi et mon environnement aujourd’hui : ce qui ne va pas rester », en précisant les éléments d’environnement qui ne pourront pas rester constants,
  • mais aussi les mêmes éléments d’environnement avec, en cible « moi et mon environnement demain : ce qui sera nouveau ».
     

Dans  une troisième partie de l’atelier, les participants doivent décrire ce qui dans leurs actions/activités ne va pas perdurer : « moi et mon action aujourd’hui : ce qui ne va pas rester », en précisant ce qui ne pourra pas rester à l’identique...
 

Dans la quatrième partie, ce qui dans leurs actions/activités va changer avec le projet de service, « moi et mon action demain : ce qui sera nouveau ».
 

Enfin, pour conclure, « pour inscrire les échanges constructifs dans la durée à travers une charte », on les invite à « terminer par un atelier destiné à matérialiser les bonnes pratiques du travailler ensemble », avec une série de tableaux à remplir sur les outils pour :

  • recenser les missions,
  • recenser les effectifs par type de missions,
  • avec un tableau synthétique sur la gestion et l'organisation du travail.
     

Qui a dit que certains faisaient du mauvais esprit ?
 

On notera aussi dans les annexes et les exemples d'ateliers :

celui de « l'arbre à personnages » ? Pour décoder le processus, on lit : « le manager pose la question préparée aux participants et leur demande de choisir le personnage qui correspond le plus à leur état d’esprit. Inviter ensuite chaque participant à aller coller sa gommette sur le personnage choisi et à exprimer les raisons de son choix au groupe. Le reste du groupe écoute en silence (à rappeler en début d’atelier : pas d’apartés entre participants qui viendraient parasiter la parole de l’agent qui s’exprime devant le groupe). Le manager écoute activement et peut poser des questions pour aider l’agent à exprimer son choix » ;

 

ou celui du « Word café », méthodologie de « discussion entre acteurs permettant, en intelligence collective de faire émerger d’un groupe des propositions concrètes et partagées par tous ». « L’espace est organisé en tables autour desquelles les participants répartis en groupes vont se succéder (par  rotations) pour élaborer des propositions ». « Chaque table est animée par un hôte de table chargé d’animer les discussions et d’assurer la transmission des informations entre les groupes. L’organisateur de l’atelier gère la dynamique globale de l’atelier (maîtrise du temps, rappel des consignes et clôture de la séance) ».

Pas sûr que les différents acteurs qui seront invités à participer à ce genre de formules d'écoute trouvent ce genre de scenarii bien sérieux et pertinents après les moments difficiles qu'ils viennent de traverser et que la période de transition pour la reprise de leurs activités les mène souvent à parer au plus pressé avec les moyens dont ils disposent.
 

Ajoutons à cela que la reprise du processus de mise en œuvre de la réforme de la fonction publique, avec les vives réactions que de nombreux aspects suscitent, notamment sur la place et le rôle des instances paritaires (CAP, CTP, CHSCT etc.) risque bien de simultanément remettre un cahier revendicatif déjà bien chargé au premier plan dans un climat social dans les trois versants de la fonction publique qui n'a cessé de se dégrader et que le gouvernement aurait grand tort de sous estimer.

 

Dans les conseils formulés dans ce guide sur l'organisation des temps d'échanges, après les références linguistiques sur le chinois mandarin, nous avons relevé (certainement pour rester dans le ton ?) que les auteurs se plaisaient à citer Confucius et sa formule « Si l'homme a deux oreilles et une bouche, c'est pour écouter deux fois plus qu'il ne parle », on serait tenté de souhaiter que nos ministres se servent de leurs deux oreilles utilement pour mieux écouter ceux qui cherchent désespérément à se faire entendre depuis longtemps.

S'il faut se référer à Confucius, signalons qu'il a aussi dit : « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions ».

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