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16 / 09 / 2024 | 445 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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L’entreprise : un sanctuaire pour les femmes victimes de violences conjugales ?

Le nombre de féminicides reste très élevé en France, avec 121 cas recensés en 2023. Cet indicateur morbide est cependant inexact car il ne rend pas compte de nombreux décès par suicide ou encore des accidents cardiovasculaires ou des pathologies qui résultent des violences faites aux femmes.

Image par <a href="https://pixabay.com/fr/users/geralt-9301/?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=144103">Gerd Altmann</a> de <a href="https://pixabay.com/fr//?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=144103">Pixabay</a>

En dépit des dispositifs légaux et préventifs renforcés en 2019 par « le Grenelle des violences conjugales » ces violences demeurent un fléau dans notre société, La lutte contre celles-ci progresse trop lentement, révélant la nécessité d’une action collective plus soutenue. Parmi les solutions, les entreprises doivent devenir un refuge pour les victimes et participer activement à leur protection et à leur soutien. Les représentants du personnel ont un grand rôle à jouer dans cet objectif.


Selon la Convention Européenne d'Istanbul en 2014, la violence domestique englobe les violences physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques entre conjoints ou ex-partenaires, qu'ils partagent ou non le même domicile. Chaque année, environ 210 000 femmes en France subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Ces violences qui peuvent se combiner prennent diverses formes :
 

  • Physiques : coups, strangulations, séquestrations. Les enfants peuvent y être impliqués En 2019, l’Inspection Générale des Affaires Sociales a rappelé qu'un enfant est tué par l'un de ses parents tous les 5 jours en moyenne et les chiffres ne diminuent pas au fil des années. Les pères sont responsables en général de ces actes criminels.
  • Verbales : insultes, menaces, dévalorisations.
  • Psychologiques : isolement, chantage affectif (enfants souvent impliqués)
  • Sexuelles : agressions, viols.
  • Économiques : privation des moyens de paiement, interdiction de travailler, rétention de documents
  • Cyberviolences : surveillance numérique, diffusion non consentie d’images intimes.


Cette liste n’est pas exhaustive tant l’imagination des prédateurs est sans limite.


Chaque forme de violence participe à la perte de contrôle des victimes sur leur propre vie et à leur isolement. C'est dans ce contexte que le rôle de l’entreprise devient central. Le lieu de travail, où la personne passe une grande partie de son temps éveillé doit devenir un lieu d’observation, d’alerte et de soutien.


Les violences conjugales laissent souvent des traces visibles ou non visibles. Un changement soudain chez une collègue, des fluctuations de poids, des absences répétées, des signes d’épuisement physique ou mental peuvent être des indices. Ces signes, bien que discrets, doivent alerter. Les victimes de violences conjugales sont souvent dans un état de fragilité émotionnelle, qui les pousse à se couper de leur entourage social et professionnel. Par honte ou par peur des représailles, elles n'osent pas parler.


Dans ce contexte, les collègues, managers et responsables des ressources humaines peuvent jouer un rôle clé. Observer et détecter les signes de détresse, et surtout savoir comment réagir, est fondamental. Ne pas intervenir face à ces signes, c'est potentiellement laisser une situation dramatique se développer. Les entreprises, avec leurs ressources et leur organisation, peuvent devenir des acteurs de première ligne dans la prévention des féminicides et la protection des victimes.


Les entreprises ont non seulement un devoir moral, mais aussi des obligations législatives pour protéger leurs salariés. La mise en place de pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales, sous la responsabilité de magistrats formés, est une avancée significative. De plus, le Code du travail français prévoit des protections spécifiques pour les victimes de violences conjugales, comme la possibilité de bénéficier d’un aménagement du temps de travail ou d'un congé pour motifs familiaux urgents.


Certaines grandes entreprises françaises ont déjà mis en place des dispositifs spécifiques pour soutenir les victimes. Par exemple, PSA, EDF, Orange, UP-Chèque-Déjeuner ont développé des programmes de sensibilisation et de formation pour leurs salariés. L'objectif est de créer un environnement de vigilance active, où chacun peut jouer un rôle dans la détection et le soutien des victimes.


Voici quelques mesures concrètes que les entreprises peuvent prendre :
 

  • Sensibiliser et former l’ensemble des salariés aux violences conjugales, en mettant en place des formations régulières pour détecter et comprendre les signes.
  • Aménager les horaires ou les conditions de travail des victimes, afin de leur permettre de trouver un nouveau logement, d’assister à des rendez-vous juridiques ou médicaux.
  • Faciliter les signalements au sein de l'entreprise, en garantissant la confidentialité et la sécurité des personnes concernées. Le médecin du travail et les ressources humaines doivent être formés à accueillir ces signalements.
  • Protéger les victimes contre le licenciement, en cas d'absences prolongées ou de baisses de performance liées à la situation de violence.
  • Nouer des partenariats avec des associations spécialisées, qui peuvent accompagner les victimes dans leur processus de sortie de l'emprise violente.



Il est essentiel de former les dirigeants, managers et les équipes RH à identifier les signes de violences conjugales et à intervenir de manière appropriée. Souvent, l'ignorance ou la minimisation des problèmes par les supérieurs hiérarchiques entrave une prise en charge efficace des victimes. Il est donc important de lever les objections comme « on en fait trop » ou « ce sont des affaires privées » par des sessions de sensibilisation.


La culture d’entreprise doit évoluer pour devenir plus inclusive et protectrice. Une personne qui suspecte qu’une collègue subit des violences doit savoir qu’elle peut en parler en toute sécurité et être entendue. L’entreprise doit fournir des informations claires sur les ressources disponibles, telles que les numéros d’urgence, les associations de soutien, et les procédures internes de signalement.


Les femmes victimes de violences conjugales doivent être associées aux réflexions sur les actions à mettre en place. Leur parole et leur expérience sont essentielles pour orienter les dispositifs de soutien. Récemment, au cours d’une mission du cabinet Technologia et dans le contexte d’une réflexion à ce sujet, une élue du personnel a proposé le financement de cours de self-défense par le CSE de l’entreprise : cette aide aux cours de self-défense fut bientôt suivie de succès pour la petite catégorie des femmes qui ont pu en bénéficier, et partager au-delà des tatamis leur sort commun. Ces groupes de parole entre victimes constituent un espace de reconstruction et de solidarité. Ces moments permettent aux femmes de retrouver confiance en elles et de sortir de l’isolement.


Questions à poser pour évaluer une situation de violence


Afin d'aider à détecter les situations de violence, l'Union Nationale des Familles de Féminicides propose un ensemble de 10 questions-clés qui permettent d’évaluer la gravité d’une situation :
 

  • Votre partenaire connaît-il vos projets de séparation ?
  • Avez-vous peur pour vos enfants ?
  • Possède-t-il des armes ?
  • Quand avez-vous vu votre famille ou vos amis pour la dernière fois ? Vous sentez-vous isolée ?
  • Votre partenaire a-t-il des addictions ?
  • A-t-il déjà menacé de se suicider ?
  • Avez-vous librement accès à vos moyens de paiement et vos papiers d’identité ?
  • Après les disputes, s’excuse-t-il ou vous offre-t-il des cadeaux ?
  • Les violences ont-elles augmenté en intensité récemment ?
  • Contrôle-t-il vos vêtements, sorties, réseaux sociaux ou téléphone ?


L'entreprise, un sanctuaire pour les victimes


Pour devenir un véritable refuge, les entreprises doivent non seulement adopter une logique de prévention qui peut d’ailleurs leur être profitable en productivité, mais aussi s’engager activement dans la protection de leurs salariés. Bien évidemment cela ne signifie pas pour autant qu’il faille abandonner le renforcement législatif. En Espagne, depuis 2004, des lois plus protectrices des femmes, des moyens significatifs sur le plan financier ont permis de réduire le nombre de féminicides de 25 %. En France, l'implication des entreprises dans cette lutte peut également contribuer à inverser cette tendance, en offrant un soutien concret et immédiat aux victimes. 

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