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07 / 05 / 2019 | 610 vues
Max Masse / Membre
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Le préventeur, cette illustre inconnue ?

Ce texte se fixe pour ambition d’amorcer, en introduction des travaux de la Fédération des acteurs de la prévention (FAP) pour le Prévhackthon de Préventica Paris, un premier niveau de catégorisation du vocable « préventeur ».
 

Nous avons bien compris qu’il regroupe, aujourd’hui, des enjeux contradictoires, des champs pluridisciplinaires, des mondes professionnels multidimensionnels, des champs d’activités les plus variés et, par voie de conséquence, des enjeux les plus complexes.
 

Après avoir précisé mon propos introductif sur l’expression de parties prenantes sur le préventeur, je vais proposer une distinction entre :

  • le préventeur en actes dans la somme de ses activités au quotidien du travail ;
  • le préventeur en puissance comme acteur indirect mais efficient de la prévention.
     

Au regard de mes propres travaux personnels, j’interrogerai en conclusion la place à donner (ou pas) à la prévention des risques professionnels en matière de santé et de sécurité du travail.
 

L’indéfinition du préventeur
 

La FAP s’est créée avec l’intention initiale de donner la parole et de fédérer les préventeurs. La FAP voyait une opportunité de regrouper des bonnes volontés sensibles à la prévention des risques professionnels et à l’amélioration des conditions de travail avec, en particulier, un objectif de reconnaissance, de soutien et de promotion des futurs adhérents.
 

Toutefois, ses membres fondateurs n’ont pas défini le terme de « préventeur ». Au regard de ses statuts, j’ai retenu un double adressage complémentaire. Son projet vise :
 

  • d’une part, les préventeurs de spécialité pour l’ensemble des métiers de la prévention (fonctionnels sécurité) ;
  • d’autre part, les préventeurs de capacité pour l’ensemble des autres parties prenantes qui intègrent directement ou indirectement la prévention dans leurs actions.
     

Selon Garnieri et Rallo (2014), la dénomination du terme « préventeur » est particulièrement large et recouvre des missions et des responsabilités diverses (Peyssel-Cottenaz et Garrigou, 2004). Le métier de préventeur évolue car il englobe à l’heure actuelle des situations professionnelles elles-mêmes en constante évolution, tant en termes de demande sociale que de pression réglementaire.
 

Au bout du compte, pour certains la notion de préventeur semble une telle évidence qu’elle peut se passer d’une définition et, pour d’autres, tout est affaire d’activités singulières contextualisées qui dépendent elle-même d’un contexte juridique ou social avant de pouvoir être en mesure de tenter une définition.
 

En tout état de cause, à l’occasion de la parution du rapport intitulé « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » porté par Mme C. Lecocq, la FAP a été amenée à ouvrir une réflexion sur la notion de « préventeur » ; terme que les rédacteurs ont utilisé à de nombreuses reprises, j’y reviendrai.


Premiers questionnements
 

Que faut-il être ou devenir, que faut-il faire pour être préventeur ? Et qui s’en recommande ou l’attribue ? Qui aujourd’hui est ou n’est pas préventeur ? Est-on préventeur par conviction politique ou syndicale, par vocation humaniste ou encore par « simple » nécessité économique ?
 

Le « préventeur » aurait-il mauvais genre, tant il a du mal à se décliner au féminin dans ses appellations et dans ses représentations ? La ministre du travail et la députée en charge du rapport constituant un rare contre-exemple de ce qui ressemble à un plafond de verre.
 

Le préventeur ne compte-t-il aujourd’hui que dans le monde spécialisé de la prévention des risques professionnels dont il serait le garant (Kan, 2017) ou bien doit-il inscrire ses activités, ses actions, ses postures dans le vaste monde du travail ?
 

Ainsi, à l’heure où la sécurité du travail est confrontée au risque terroriste, à la révolution digitale ou à la cybercriminalité, le préventeur ne peut-il qu’être au service de lui-même pour exister ou doit-il se mettre au service d’un projet plus vaste dont il ne serait alors qu’un des acteurs ? Le préventeur a-t-il donc aujourd’hui réellement un avenir (Léontoing, 2014).
 

Nous allons donc découvrir plus précisément le projet de la Fédération des acteurs de la prévention et les perspectives du rapport Lecocq pour conclure en relativisant l’objectivation de ce qu’est ou que n’est pas un préventeur.
 

Recherche d’un code du préventeur
 

Dès 2013, la FAP s’est créée autour de l’activité de préventeur et a fondé son projet et ses actions sur sa valorisation dans l’univers de la prévention des risques au travail, sur une véritable reconnaissance et un large soutien de ses activités.
 

Toutefois, à l’examen approfondi de ses statuts, on constatera que le « préventeur » c’est bien quelqu’un mais c’est également tout le monde ; au risque, pour d’aucuns, de considérer que ce n’est plus personne.
 

La FAP ne pouvait alors s’imaginer l’ultime choix proposé 5 ans plus tard de faire l’impasse sur cette notion ou cette appellation, en substituant à une vision défensive du risque (la prévention des risques professionnels) une dynamique prototypique d’une personne que met en œuvre un projet, qui assure la création de quelque chose et provoque son développement, son succès et personne qui est la première à lancer des idées ou des techniques nouvelles (la construction de la santé et de la sécurité au travail).
 

Dans ses statuts fondateurs du 6 juin 2013, le Syndicat professionnel des préventeurs des risques au travail, émanation de la Fédération des acteurs de la prévention, a proposé un « Code du préventeur » qui regroupe :

  • assez logiquement : « Préventeurs, Ingénieurs et Techniciens QHSE, Coordonnateurs SPS, Conseillers en prévention d’organismes privés ou publics et des collectivités (Assistant ou Conseiller de prévention) ou Inspecteur en Santé et Sécurité au Travail (ISST), Intervenants Prévention des Risques Professionnels ( IPRP), personnes affectées à la prévention des risques professionnels des services de santé au travail, ergonome, animateur de prévention, représentants des CHSCT, ou délégué du personnel » ;
  • mais également : « toute personne directement ou indirectement chargée de la prévention des risques pour la santé de l’Homme au travail, désignés dans le texte qui suit par l’appellation « préventeurs » ».
     

Cette volonté d’exhaustivité semble d’évidence dès lors qu’il s’agit d’un regroupement de personnes qui souhaitent œuvrer collectivement dans un but déterminé et pour un intérêt commun et à cette fin ils souhaitent partager leurs connaissances, leurs expériences et leurs ressources, A partir de l’énonciation citée en introduction la FAP s’est fixée plusieurs objectifs d’action et en particulier de :
 

  • mettre en œuvre tous les moyens pour installer et promouvoir une « culture de prévention » dans l’intérêt commun de tous les acteurs de tous secteurs d’activités.
  • engager un processus de reconnaissance universelle de la spécialité de préventeur.
     

Les travaux fondateurs de la FAP ont amené ses membres à penser le particulier sous le général. Les préventeurs dans leur quête identitaire au quotidien s’engagent simultanément dans des actions concernant la santé de l’Homme au travail qui doivent favoriser une culture de prévention et une reconnaissance universelle de leur spécialité.
 

On supposera que le « H » de l’Homme au travail indique que les femmes sont aussi concernées en notant que le féminin est absent de toutes les désignations.
 

On pourrait évidemment se satisfaire du fait que les quatre fondateurs aient été des hommes. Mais on oublierait alors que plus de 80 % de la population qui s’exprime aujourd’hui comme sachant « incontournable » est une population masculine dans le consulting, l’expertise, la presse, les services de médecine du travail…
 

Alors, en ce début de catégorisation, j’assumerai la question suivante : le préventeur peut-il être une femme ?

 

Chronique d’une disparition annoncée
 

A contrario et c’est une exception dans ce paysage masculin de la prévention des risques professionnels, c’est une femme Mme la députée Charlotte Lecocq qui a eu pour mission du 1er Ministre de mener « une réflexion sur les voies d’amélioration de notre système de prévention des risques professionnels ».
 

Fait rare, elle est, par ailleurs, « entourée » d’une ministre du travail, d’une ministre de la santé et d’une secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la santé.
 

La Mission devait s’articuler autour de deux axes :
 

  1. La définition des enjeux et des objectifs de ce système et son évaluation au regard de ces enjeux et objectifs ;
  2. les leviers opérationnels, notamment juridiques et organisationnels, à actionner pour atteindre des résultats.

 

Associée à M. Bruno Dupuis, consultant chez Alixeo et Henri Forest, responsable national de la CFDT et avec l’appui d’Hervé Lanouzière, Inspecteur des affaires sociales, elle a piloté en 2018 la production du rapport intitulé « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée ».
 

 

On notera qu’à l’instar des statuts de la FAP, les rédacteurs du rapport ont employé le terme « préventeur » à 18 reprises avec les mêmes généralisations, approximations ou analogies.
 

A titre d’exemple, on lit, en matière d’intelligence artificielle que « Les médecins du travail et les préventeurs devraient alors être formés en conséquence » (§ 1.3.) et en matière de management de la santé au travail « Médecins, personnels de santé et préventeurs […] intensifieront collectivement la portée de leur action » (§ 1.4.) ; ce qui laisserait à penser que les médecins et les personnels de santé ne sont pas des préventeurs.
 

On peut également identifier à plusieurs reprises l’existence de « préventeurs institutionnels » (Carsat, OPPBTP, Anact, INRS) et de préventeurs institués comme l’IPRP « préventeur, personne, physique ou morale, dotée de compétences techniques, organisationnelles ou médicales » (Encadré 19).
 

Face à cette diversité d’approche, selon les uns, ou cette absence de positionnement, selon d’autres, une phrase couperet revêt alors une forme d’évidence :
 

« Un niveau de maturité supérieur, serait non plus de faire de chacun un préventeur mais un promoteur d’un milieu de travail simultanément propice à l’efficacité économique et au bien-être au travail, ce qui implique cette fois tous les acteurs et décideurs du développement économique » (p. 141).
 

A tout le moins, on pourra estimer temporairement que le « préventeur » est une personne, une entité, une abstraction marquée par le principe d’incertitude.

 

Le préventeur : un sujet collectif anonyme
 

Ces deux perspectives, l’une issue de professionnels de terrain et l’autre provenant de représentants institutionnels, s’opposent-elles ou ne représentent-elles que les deux faces d’une même médaille, les deux phases d’une même tension, voire les deux représentations d’une même problématique ?
 

Dans ce cas, ne serait-il pas plus performatif de poser de nouvelles questions pour dépasser les apparences premières ?
 

N’est-il pas indispensable de s’affranchir des cris d’orfraies des caciques de la prévention des risques professionnels qui accepte le changement dès lors qu’il ne touche ni à leurs prérogatives, ni à leurs prébendes ?
 

Association de personnes, d’idées et de représentations, le préventeur devient, d’une certaine manière, l’arbre de la prévention des risques professionnels qui cache la forêt de la santé et de la sécurité au travail.
 

Le préventeur est à la fois un sujet au sens d’une personne et un sujet comme matière et thème principal d'une activité.
 

Il est pris entre les systèmes de management de la SST, les écosystèmes de la prévention des risques professionnels, les environnements et les organisations de travail et, in fine, les activités des femmes et des hommes au travail au sein de l’ensemble des parties prenantes du monde du travail.
 

Alors, incompris à l’activité obscure ou héros aux pieds fragiles, le préventeur reste certainement aujourd’hui une icône indispensable justifiant certains discours sur la prévention.
 

Toutefois, à l’instar des termes génériques « le français » ou « le touriste » qui désignent tout le monde et personne, le préventeur ne serait-il qu’un « sujet collectif anonyme » qui soutiendrait l’idée de comportements culturels typiques, d’invariants culturels voire de stéréotypes de cet acteur de la prévention ?
 

Dans ces dernières conditions, le préventeur, c’est toute personne qui se préoccupe de prévention.
 

Le préventeur est mal connu et parfois ignorée. Il n’atteint une forme de célébrité et sort de l’ignorance dans laquelle il est souvent cantonné au moindre incident ou au pire des accidents ; dans ce cas il doit immédiatement faire preuve de professionnalisme et de professionnalité.
 

Comme en mathématiques, sa valeur reste toujours à déterminer, le préventeur est donc cette illustre inconnue des mathématiques de la prévention des risques professionnels
 

Le « préventeur », amorce de catégorisation
 

Dans les consensus et dissensus qui émergent entre les discours et les représentations (Cru, 1992) sur le terme de « préventeur », je me fixe pour objectif dans cette partie de questionner plutôt ce qui les distingue que ce qui les sépare (Elias. 1991). Concrètement, pour tenter une sortie de cette forme d’aporie, je vais donc tenter un premier niveau de distinction entre le « préventeur » comme personne d’une profession et le « préventeur » comme idée de la prévention.
 

Nous allons voir qu’au-delà des apparences, le préventeur reste le professionnel d’une profession qui se cherche (Jezequel, 1999).
 

Le préventeur en actes
 

Cette première partie semble, à première vue, la plus évidente voire la plus facile parce qu’il suffirait d’observer le réel de l’activité de prévention pour s’en faire une idée. Ici le préventeur est clairement une personne physique qui exerce, à divers titres, des activités au quotidien dans le champ de la prévention des risques professionnels. Le préventeur, ainsi, est un praticien singulier et je vais me situer dans une approche notionnelle et pragmatique : le préventeur, c’est toute personne qui intervient dans le champ de la prévention.
 

Le préventeur par nature
 

On trouve ici ce que l’on pourrait nommer les « vrais » préventeurs : celles et ceux qui se sont formés sur le tas ou qui ont fait des études (Licence et Master QHSE, par exemple). Ils exercent leurs activités à plein temps et elles sont reconnues comme telle dans la structure d’appartenance.

Cette partie s’appuie, en particulier, sur les travaux rappelés en bibliographie. Une lecture croisée de ces travaux permet trop rapidement d’affiner la catégorisation engagée, et l’on pourra distinguer :

  • Préventeur-manager : Directeur/trice HSE, Risk manager en santé sécurité, chef(fe) de service prévention ;

  • Préventeur-interentreprises ;

  • Préventeur de terrain « anonyme » : responsable sécurité, responsable amélioration continue HSE, Animateur HSE, Animateur Prévention, Animateur Santé-Sécurité, Assistant et conseiller de prévention, Coordonnateur SPS, etc.

  • Préventeur animateur de base, Préventeur expert, Préventeur délégataire : fonction par défaut ;

  • Préventeur par hasard : coquille vide, faire-valoir, miroir aux alouettes.

Nous avons maintenant une vision plus précise de la part la plus importante du peuple des préventeurs et, à tout le moins, de la partie la plus visible.
 

Le préventeur par activités
 

Toujours, en référence aux travaux précités, on trouvera ci-dessous rapidement une énumération des grandes activités de ces préventeurs :

  • Conseil, information, formation, communication ;

  • Gestion de projet, contrôle, suivi des consignes ;

  • Visites, enquêtes, expertises, analyses ;

  • Gestion des budgets, des procédures, des registres, des statistiques, des contentieux… ;

  • Mises en conformités, EPI ;

  • Intervention urgence : AT, alerte, retrait ;

  • Veille documentaire

Associant interventions sur le terrain et gestion réglementaire et administrative, le préventeur semble de plus en plus mobilisé sur les secondes au détriment des premières.
 

Le préventeur par nécessité
 

Dans certains cas, le préventeur devient le personnage essentiel d’une tragédie (accident du travail), d’une obligation réglementaire (document unique), d’un désaccord (CHSCT), d’une problématique floue dont on ne sait pas quoi faire ou encore d’un moyen d’acheter la paix sociale (conflit).
 

Sorti de l’ombre de son bureau où il peinait sur l’actualisation de son document et son tableau Excel à 130 colonnes, le voici sous les feux de la rampe, paré subitement d’une expertise à 360° qui ne peut méconnaître les « subtilités » de l’amiante, les méandres de la procédure pénale, la communication positive, la gestion de projet ou encore les déterminants croisés de la qualité de vie et du bonheur au travail.
 

La moindre question relève alors de la quasi faute professionnelle et la moindre méconnaissance le dirige vers la porte.
 

Dans de nombreux cas, l’externalisation par voie de consultance et d’expertise sera sensée régler les problèmes en jeu et, à défaut, les enterrer définitivement, soit parce que les rapports produits ont révélé ce que l’on savait déjà, soit parce que les problématiques mises au grand jour ne sont pas acceptées.
 

En tout état de cause, et en l’absence de situations graves (décès, tribunal, presse…), le préventeur retrouvera son bureau dès la fin de l’appel au feu. Et dans trop de cas les actions qu’il préconisera ne seront pas acceptées ou pas mises en œuvre ; le vrai travail de l’organisation reprenant le pas sur la prévention des risques professionnels et ses enjeux.
 

Après ce premier balayage du préventeur dans ses dimensions opérationnelles et pragmatiques, je vais investir la face cachée du préventeur en tant que paradigme de la prévention.
 

Le préventeur en puissance
 

Aristote nous rappelle que « C’est surtout de quelque chose qui est corps en puissance, que vient le corps effectif et réel ». Par exemple, le gland contient le chêne en puissance mais n’est pas le chêne en acte. Ainsi les préventeurs en acte que nous venons d’identifier peuvent-ils exister et exercer leurs activités sans les préventeurs en puissance qui les déterminent ? Mais ces derniers ne représentent-ils pas au bout du compte qu’une idée de la prévention qui leur est propre à chacun ?
 

Le préventeur par défaut
 

B. Spinoza nous a rappelé que "C'est un défaut commun aux hommes que de confier aux autres leurs desseins". Au-delà des apparences, la prévention et l’appel aux préventeurs restent dans le plus grand nombre des cas une manière de régler les problèmes de fond par défaut et ceci pour au moins deux raisons :

  • D’une part, ce n’est pas une priorité primordiale, pour les employeurs privés et publics ;
  • D’autre part, les préventeurs ne se sont pas assez fédérés pour se faire reconnaître (d’où l’idée de la création de la FAP).
     

En l'absence d'alternative crédible ou souhaitée ou par manque d'informations ou d’instructions et par habitude ou par position dilatoire, le préventeur se retrouve avoir raison ou tort par principe ou par intuition.
 

Le préventeur devient une variable prédéfinie dans une organisation ou un paramètre obligatoire sur un dossier : il devient utile par défaut de telle sorte qu’il puisse correspondre aux attentes institutionnelles dans la plupart des cas.

 

Le préventeur par destination
 

On trouve ici les missions, fonctions ou activités qui n’attachent pas aux personnes le terme de préventeur tout en relevant chacune pour ce qui les concerne et à leur niveau une obligation auxiliaire de prévention. On pourrait parler de :

  • préventeurs auxiliaires internes : dirigeant(e)s, responsables ressources humaines, CSE/CSSCT (secteur privé), CT/CHSCT (fonction publique), travailleurs publics et privés.
  • préventeurs auxiliaires externes : Gouvernement, Assemblée nationale ;
  • Direction générale du travail (DGT) ; Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) ;
  • Inspection, du travail, ISST, CISST, équipe pluridisciplinaire service santé travail, Carsat, OPPBTP ;
  • Maîtres d’ouvrage, architectes, bureaux d’études.
     

Ces préventeurs aident et apportent leur concours direct ou indirect et d'une manière temporaire ou permanente.
 

Le préventeur, par omission
 

Et puis il reste l’ensemble des professionnel(le)s qui agissent directement en prévention sans que le titre de préventeur ne leurs soit attribué : on pense ici aux ergonomes, psychologues du travail, infirmier(e)s, assistants(tes) sociaux(ales), consultant(e)s « multicartes », etc.
 

Mais ici, il existe une nébuleuse bien plus grande qui regroupe toutes les parties prenantes dont l’incidence de leurs activités aboutissent à favoriser, voire développer la prévention :

  • magistrats, procureurs, avocats, services de police ou de gendarmerie, inspecteurs(trices) du travail qui œuvrent par exemple sur les enquêtes accidents du travail ou maladie professionnelle ;
  • organisateurs de colloques scientifiques et professionnels, organisateurs de salons (stand, animations et conférences) et l’ensemble de leurs contributeurs (chercheurs, professionnels de la SST et publics) ;
  • rédacteurs en chef et journalistes de la presse papier et numérique ;
  • concepteurs, réalisateurs et fournisseurs de biens et de services.
     

On pourrait ajouter dans cette liste, les « actants » préventeurs c’est-à-dire l’ensemble des productions écrites qui concourent à préciser les champs éthiques, juridiques, méthodologiques des actions des préventeurs et l’on trouvera alors : convention internationale, directive européenne, loi et règlement, norme, convention, contrat, consigne, référentiel, procédure, méthode, outil.
 

Les activités de ces préventeurs par omission et des actants qu’ils mobilisent n’ont pas toujours pour finalité la prévention.
 


Elles en procèdent surtout quand ils atteignent leurs objectifs et, a fortiori, quand leurs résultats se déploient sur un grand nombre de personnes (interventions ergonomiques sur un atelier, procès gagné sur un thème transversal (amiante, par exemple), processus d’alerte pour une conscientisation des problématiques en jeu.

 

Une santé au travail sans prévention et sans préventeurs ?
 

Le rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » a fait l’objet de multiples commentaires, critiques, polémiques et/ou excès en tous genres mais a également permis de nombreuses rencontres collectives et débats en amont et en aval.
 

Cette mobilisation sans précédent montrent que les rédacteurs du rapport ont vu juste dans leurs vastes questionnements à 360°. Ils ont plus spécifiquement proposé à chaque partie prenante d’être acteur ou actrice de la construction d’un milieu de travail performant et accueillant. Toutefois, leurs préconisations semblent rendre caduque le terme et la fonction de préventeur.
 

Au terme de cette large catégorisation, on constate donc que les préventeurs sont partout ; au risque peut-être d’être nulle-part ? Ceci pose alors la question de la complexité ou de la vacuité de cette appellation et, en tout état de cause, de son utilité.
 

Une forme de logique rationaliste laisse à penser que l’ultime réussite des préventeurs consiste à assurer leur propre disparition au bénéfice d’un management et d’un collectif de travail qui intègrent la santé et la sécurité au travail à chaque niveau de décision et d’action (Masse, 2018).
 

Sans aller plus loin dans cet article, est-ce qu’un grand coup de pied dans la fourmilière de la prévention des risques professionnels et de ses acteurs simplifie son système ?
 

Est-ce la conception d’un nouveau système de santé et de sécurité au travail qui peut permettre, en particulier mais sans s’y réduire, de reconfigurer le rôle, les missions, les postures des parties prenantes ?
 

Dans ces conditions, s’agit-il aujourd’hui de modifier le casting opérationnel, organisationnel et institutionnel de la prévention des risques professionnels ou plutôt de véritablement rompre avec lui ?
 

Et si le rapport Lecocq nous en apprenait moins sur ce qu’il propose que sur les résistances, voire les refus, des parties prenantes à l’acceptation des aménagements préconisés.
 

Alors, sommes-nous réellement dans la grande réforme systémique annoncée ou n’est-il pas juste préconisé une transformation audacieuse et déterminée de notre système institutionnel, organisationnel, technique et financier de de gestion et de prévention des risques professionnels ?
 

Dans cette perspective, que reste-il à faire pour bâtir les conditions d’une véritable gouvernance durable de la santé et de la sécurité au travail pour et avec l’ensemble de ses parties prenantes ?
 

Une ambition primordiale consisterait à clarifier une certaine confusion terminologique.
 

Quels repères collectifs, partagés peuvent avoir les parties prenantes quand chacune d’entre elles s’expriment sur leur propre registre et système de référence quand nous entendons parler de réforme :
 

  • de la prévention des risques professionnels ?

  • de la gestion des risques professionnels ?

  • du système de gestion et de prévention des risques professionnels ?

  • de la santé et de la sécurité au travail ?

  • de la prévention de la santé au travail ?

  • du système de prévention de la santé au travail ?

  • de la santé au travail ?

  • de la gouvernance des acteurs de la santé au travail ?
     

Au moment de conclure ce premier écrit de la FAP sur le « préventeur » et au-delà des questionnements qu’ils soient politiques, économiques, juridiques, culturels ou sociaux ou qu’ils soient professionnels ou syndicaux, on peut constater qu’il reste beaucoup à dire et à faire non seulement pour clarifier son existence mais encore pour se projeter sur son devenir.
 

La Fédération des acteurs de la prévention a amorcé la réflexion lors d’un atelier exploratoire à Expoprotection le 7 novembre 2018. La diversité des postures et des questionnements amène donc la FAP à engager en 2019 des travaux spécifiques sur cette dernière question considérant qu’il reste beaucoup à faire et à partager.
 

La première grande étape sera constituée le mercredi 22 mai 2019 par un hackathon de la prévention : le Prévhackthon à Préventica Paris, Porte de Versailles. Nous vous y attendons nombreux ! - Max Masse, Vice-président de la Fédérations des acteurs de la prévention

 

Eléments de bibliographie

« En nommant le rien, l'inconnu, j'en fais l'être qui a pour essence d'échapper à ma connaissance » (Sartre, Sit. I, 1947, p. 184).

Audiffren, T. Rallo, J. –M. Guarnieri, F. Christophe Martin, C. (2013). “Mieux connaître les ”préventeurs” français : enquête nationale et analyse quantitative des données ».

Blondé, C. (2015). Le travail des préventeurs en entreprise : Contribution méthodologique à la visite de sécurité. Thèse. Psychologie. Université Charles de Gaulle, Lille III, <NNT : 2015LIL30045>.

Cru D. (1992). « Sur la prise de risque dans le BTP. Changer les représentations des opérateurs ou celles des préventeurs ? ». Dans Sécurité et médecine au travail, n°97.

Garrigou, A. Peissel-Cottenaz, G. (2004). Contribution à la découverte du métier des préventeurs. Dans Note Scientifique et Technique. INRS. NS 244.

Guarnieri, F. Rallo, J. –M. (sous la dir. de P. Zawieja). (2014). « Préventeurs ». Dans Dictionnaire des risques psychosociaux. Paris : Le Seuil. PP. 580-583.

Jezequel, B. (1999). « Préventeur, une profession qui se cherche ». Dans Travail et sécurité. N° 10. PP. 22-30.

Kan, E. (2017). Le préventeur le garant de la sécurité et de l’amélioration des conditions de travail. Dans Infoprotection. 12 juin.

Léotoing, M. (2014). « Le métier de préventeur de risques a de l’avenir ». Dans TSA. Etablissements et services. N° 53. Juin.

Masse, M. (2018). “Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir imaginer la prévention de demain”. Dans PIC Magazine. N° 113. Novembre / décembre. PP. 24-26.

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