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19 / 09 / 2025 | 10 vues
Valentin Rodriguez / Membre
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La QVCT a sa place au coeur de la stratégie de l’entreprise : rencontre croisée syndicat / direction

Dans un contexte où la santé mentale au travail devient un enjeu central pour les entreprises, l’exemple de l’entreprise Tournaire, basée à Grasse, offre une illustration concrète d’un management tourné vers la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT).
 

Rencontre croisée entre Géraldine Gomiz, secrétaire fédérale FO Métaux, et Vincent Monziols, président-directeur général de Tournaire, deux acteurs engagés d’une transformation culturelle et sociale profonde.

 

La santé mentale des salariés au travail est une thématique qui occupe une place croissante dans les préoccupations liées à la vie professionnelle. Tournaire est une entreprise qui a pris le sujet à bras-le-corps. Pourquoi, et comment cela se traduit-il ?
 


VINCENT MONZIOLS : Pour moi, tout a commencé lors de mes premières fonctions de direction, aux États-Unis, où j’ai découvert une culture managériale fondée sur l’encouragement et la reconnaissance. Je m’étais étonné de la quasi-absence de critiques, que je considérais à l’époque comme un moyen de m’améliorer ; un réflexe si français…
 

Les mauvaises notes toujours en rouge, l’encouragement absent… C’était donc un changement majeur que de bénéficier de bienveillance. Cela m’a transformé personnellement, et a profondément influencé ma manière de diriger, car j’ai pu voir à quel point cela constituait un levier phénoménal d’engagement et de réussite. Et cela n’a fait que croître, car commencer à tirer ce fil aboutit à lui découvrir des ramifications colossales lorsqu’on s’aperçoit que, dans l’entreprise, tous les acteurs sont pris dans une masse considérable de contraintes infantilisantes, déresponsabilisantes.
 

Si on veut vraiment mettre les collaborateurs au centre et créer les conditions de leur plein engagement, il y a beaucoup à détricoter, notamment sur la place du dirigeant, la concentration des décisions, le besoin égotique d’omniscience et d’omniprésence…
 

C’est un processus toujours en cours car il s’agit d’une transformation personnelle et collective autoentretenue. Chez Tournaire, nous avons progressivement mis en place un modèle basé sur la confiance, la transparence et l’écoute. Cela permet aux collaborateurs de s’impliquer pleinement, ce qui rejaillit sur la performance de l’entreprise. Nous abordons aujourd’hui les enjeux de santé mentale au travail comme un prolongement naturel de notre vision de l’entreprise : un lieu de performance durable qui repose sur l’humain.
 

En ce sens, La QVCT n’est pas un projet annexe ; elle est au coeur de notre stratégie.


GÉRALDINE GOMIZ : La QVCT n’est pas un supplément d’âme ou un luxe réservé aux grandes entreprises. C’est un facteur de cohésion, de motivation et de performance durable. Là où elle est réellement prise en compte, on observe une baisse de l’absentéisme, du turn-over, et une amélioration du climat social. Chez Tournaire, lors de notre visite avec Philippe Ciccione, secrétaire de l'USM et du syndicat des métaux de Nice, nous avons été frappés par la réalité tangible d’un dialogue social de qualité sur les conditions de travail.
 

Cela crée une dynamique où les salariés se sentent entendus, considérés. Le sujet de la santé mentale n’est pas nouveau pour FO, mais il est longtemps resté tabou dans les entreprises.
 

Ce qui a changé, c’est la visibilité croissante des situations de mal-être au travail, les burn-out, les arrêts longs, les souffrances liées à la désorganisation ou aux pressions multiples. La crise sanitaire a été un accélérateur de conscience. La santé mentale est une composante à part entière de la santé au travail.
 

Il  est essentiel d’agir sur les causes organisationnelles, pas seulement de proposer des solutions individuelles ou des outils de prévention sans remettre en cause le travail lui-même. C’est aussi une question de dignité pour les salariés.
 

Nous avons intégré la QVCT à nos pratiques syndicales avec méthode.
 

D’abord par la formation : nous avons conçu avec des experts des modules à destination de nos élus et mandatés, afin de mieux repérer les signaux faibles, de dialoguer avec les salariés, et de comprendre les mécanismes en jeu.
 

Ensuite, nous avons mis en place un groupe de travail national spécifique, composé de militants engagés sur le terrain, pour échanger les bonnes pratiques, identifier les freins, et faire remonter les problématiques locales. Enfin, nous agissons aussi sur le terrain des négociations, en poussant des accords ambitieux sur la QVCT.
 


Qu’apporte une meilleure prise en compte des questions de QVCT à l’entreprise ?


GG : Elle permet de renforcer la motivation, de réduire le stress et de fidéliser les salariés. Elle a un effet direct sur la performance collective. En améliorant les conditions de travail, l’entreprise améliore également son attractivité, ce qui est devenu un enjeu crucial dans de nombreux départements industriels. La santé mentale n’est plus un sujet de seconde zone. Elle est devenue un indicateur de la santé globale de l’organisation.
 

C’est aussi un facteur de paix sociale et de prévention des conflits. Notre organisation syndicale s’investit au quotidien sur ces sujets via les instances paritaires QVCT avec l’UIMM, dans l’objectif de partager les bonnes pratiques et d’accompagner les entreprises, notamment les TPE et PME, dans la mise en place de démarches concrètes.


C’est aussi un enjeu de compétitivité.
 

Les entreprises qui misent sur la QVCT, dans une logique sincère, sortent du lot. Elles innovent, avancent, et attirent. Nous avons même suggéré la création d’un label QVCT, pour valoriser les entreprises engagées dans ce domaine.


VM : En étant mieux pris en compte, les salariés sont plus à l’aise et donc moins enclins à chercher ailleurs de la sérénité dans leur vie professionnelle. Non seulement nous fidélisons nos salariés et sécurisons les savoir-faire, mais nous attirons aussi des talents car ce que nous faisons commence à se savoir. Tout cela renforce le degré d’engagement dans l’entreprise.
 

Des études mondiales sur le sujet ont montré que la France est un des pays les moins bien classés sur ce plan, avec 9 % de salariés pleinement engagés dans leur entreprise (contre près de 30 % aux Etats-Unis). Plus impressionnant, le taux de personnes pleinement désengagées –celles qui mettent de l’énergie à ramer à contre-courant– lui est supérieur (dans les 13 %).
 

Nous voulons inverser la tendance.
 

Quand les gens se sentent respectés, écoutés, ils s’engagent naturellement. C’est visible dans leurs yeux, dans leur façon de parler de leur travail. C’est la plus grande ressource d’une entreprise que d’augmenter cette proportion, car cela crée une émulation qui favorise la réussite de l’entreprise, dont tous profitent et, avec la mise en place d’un cercle vertueux, entretiennent la vitalité.


Les problématiques liées à la QVCT ont longtemps été réduites aux questions de pénibilité, avec l’idée que cela concernait avant tout les ouvriers. Aujourd’hui, tous les salariés sont concernés, ce qui aboutit à une plus grande fragmentation de l’approche par catégorie de salariés. Quels dispositifs avez-vous instauré ?


GG :Notre fédération  a toujours défendu une approche globale et équitable de la QVCT, car tous les salariés sont concernés, quel que soit leur statut ou leur poste. C’est pourquoi nous avons mis en place deux groupes de travail spécifiques : l’un dédié au handicap et l’autre à la santé et la sécurité. Ces groupes ont pour mission d’aider nos militants à se saisir pleinement de ces enjeux et, par ricochet, à sensibiliser et outiller les salariés. Nous élaborons également un guide dédié ainsi qu’un module de formation, des affiches, des fiches pratiques afin d’accompagner nos équipes dans la compréhension des évolutions en cours et leur permettre de répondre au mieux aux attentes grandissantes des salariés.
 


VM : L’un des défis majeurs, c’est de permettre à chacun d’être pleinement lui-même au travail. Beaucoup portent un masque, inhibant leur créativité, leur engagement. Nous avons instauré des routines comme le "check-in" émotionnel en début de réunion, pour créer un climat de sécurité et de confiance. C’est une manière de dire : ici, vous pouvez être humains, vulnérables, imparfaits. Et c’est cela qui rend l’équipe plus forte. Cette question de la vulnérabilité est centrale.

En France, le patron omniscient et omnipotent porte lui aussi un masque : celui de l’invulnérabilité, lequel lui interdit l’erreur ou l’ignorance, tout comme à son entourage.

Or, la confiance dans l’entreprise est justement de s’assurer que chacun soit à l’aise avec le fait de ne pas tout savoir, pour aller demander de l’aide, s’ouvrir et partager les problématiques. Ici, le dirigeant doit aussi montrer l’exemple.

Car c’est ainsi que cela autorise les autres à changer d’attitude. Tout le monde est concerné mais nous avons commencé en misant sur la formation des cadres, sur l’autonomie et la responsabilisation progressive. Nous allons plus loin : des programmes sont en cours pour inclure tous les niveaux de l’entreprise, y compris les opérateurs.

Cela commence par mieux se connaître soi-même, puis mieux comprendre les dynamiques collectives. C’est un processus de transformation continue.


Les obligations légales sont encore parcellaires sur le sujet. La loi peut-elle offrir aux différents acteurs du sujet une réponse à la hauteur des enjeux ?


GG : C’est bien la responsabilité de l’employeur, au sens du Code du travail, de prévenir les risques psychosociaux, mais cela reste vague. Nous appelons à renforcer les obligations légales pour faire de la QVCT un axe structurant des politiques sociales d’entreprise. Il est nécessaire d’imposer un diagnostic régulier, tous les deux ans, incluant les dimensions de santé mentale et de risques psychosociaux. Des plans d’action co-construits avec les représentants du personnel doivent être obligatoires, tout comme la formation des encadrants. Par ailleurs, un accompagnement spécifique pour les TPE/PME est indispensable. Cela dit, la loi ne peut pas tout.


VM : Je suis assez réservé sur la loi. Une règle unique ne peut pas transformer une culture. Je suis convaincu que le cadre légal est nécessaire, mais pas suffisant. Il fixe un socle minimal, mais ce n’est pas ce qui va, à lui seul, créer une culture de prévention. La loi peut imposer des diagnostics, des bilans, mais elle ne peut pas obliger à l’écoute, à la confiance, à l’empathie. Ce sont ces dimensions-là qui font la différence sur le terrain. Il y a aussi une culture managériale qui n’est pas toujours prête à entendre cela.

Certains managers sont mal à l’aise, car ils n’ont pas été formés à ces sujets. Il faut les accompagner, les outiller. Enfin, il y a un frein culturel : en France, on valorise encore trop la souffrance au travail, comme si c’était une preuve d’engagement. Il faut déconstruire cela.


Quelle peut être la place du dialogue social sur de telles problématiques ?


VM : Le dialogue social, s’il est bienveillant, sincère et tourné vers l’intention commune, peut devenir un outil exceptionnel. Mais s’il s’inscrit dans le rapport de force, cela ne fait que renforcer les mécanismes de défense, chez les patrons comme chez les salariés. Il faut sortir de cette logique antagoniste.
 

Avec FO, nous nous sommes retrouvés sur une certaine maturité autour de ces sujets, et sur la capacité à aller chercher chez l’autre un alignement en profondeur, qui est aussi fonction d’un certain parcours personnel. Cela permet de parler le même langage, même si on n’est pas du même côté de la barrière. Nous avons des rôles différents, mais un objectif commun : que les gens se sentent bien au travail, qu’ils aient envie de s’investir, et qu’ils puissent le faire sans y laisser leur santé.
 

Quand une entreprise prend soin de ses salariés, elle prend soin de son avenir. Et cela ne se fait pas seul. Si la direction veut imposer seule sa vision de la QVCT, ça ne marche pas. Et si les représentants du personnel sont dans la seule opposition, on reste bloqués. Chez Tournaire, nous avons la chance d’avoir un dialogue social de qualité.


GG : Pour notre organisation syndicale , le dialogue social est un levier stratégique. La QVCT en est devenue un enjeu central qui ne peut plus être traité comme une externalité. Le bien-être, l’équilibre, la charge mentale, les relations de travail : tout cela a un impact sur la santé des salariés. La QVCT n’est pas un sujet à confier uniquement aux experts ; elle doit être débattue avec les salariés et leurs représentants.
 

Quand il est réel, le dialogue social permet de rendre visibles les problèmes, de les analyser collectivement et de construire des solutions adaptées. Mais encore faut-il qu’il y ait un réel respect des interlocuteurs, une volonté de transparence et des marges de manoeuvre effectives, comme c’est le cas chez Tournaire. Mais trop souvent, on nous oppose des démarches descendantes, sans co-construction réelle.

 

C’est tout l’enjeu des années à venir. L’implication des représentants du personnel est essentielle et elle doit se faire à tous les niveaux.


D’abord au niveau du repérage des situations à risque : les élus du CSE, les délégués syndicaux sont souvent les premiers interlocuteurs des salariés en difficulté. Ensuite, au niveau de la construction des politiques de prévention : ils doivent être associés aux diagnostics, aux réflexions, aux décisions. Trop souvent, ils sont cantonnés à un rôle d’alerte ou de réaction. Il faut en faire de véritables partenaires de la prévention.


Cela passe par la formation, par l’accès à l’expertise, mais aussi par la reconnaissance de leur légitimité. Et il faut aller plus loin : intégrer les enjeux de santé mentale dans les NAO, dans les accords QVCT, dans la stratégie RH globale.

 

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