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11 / 02 / 2020 | 165 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Faut-il changer d’emploi pour améliorer ses conditions de travail ?

Ces derniers mois, les réflexions n'ont pas manqué sur le sujet du lien entre emploi et conditions de travail. Pour n'en citer que quelques unes parmi les plus significatives, on retiendra celles de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et de France Stratégie.

 

Depuis 2013, l’enquête sur les conditions de travail de la DARES interroge un panel d’individus tous les trois ans.

 

Dans sa dernière note, elle souligne qu'entre 2013 et 2016, « 23 % des salariés qui ont changé d’emploi ou de profession ont fortement amélioré leurs conditions de travail, contre 13 % des salariés stables. Leur bien-être psychologique s’est lui aussi amélioré ».

 

Pour autant, « ceux qui ont changé d’emploi ou de profession sont également un peu plus nombreux (17 % contre 15 % des salariés stables) à voir leurs conditions de travail se dégrader ».

 

Parmi les salariés en emploi sur cette période, un peu moins de la moitié (45 %) connaissent peu d’évolutions professionnelles.

 

L'étude publiée fin 2019 insiste aussi sur le fait que « quitter l’industrie ou la construction réduit l’exposition des salariés à des contraintes physiques, tandis que ne plus travailler dans les secteurs des services limite l’insécurité socio-économique ».

Enfin, « pour les salariés qui ne changent pas d’emploi, la survenue d’un changement organisationnel est associée à un fort risque de dégradation des conditions de travail et de la santé entre 2013 et 2016 ». Mais ce risque est bien moindre lorsque les salariés ont été bien informés et qu’ils ont pu participer aux décisions concernant le changement.

La DARES s'attarde sur plusieurs aspects de ce dossier sensible...
 

  • Changer d’emploi ou de profession, c'est souvent pour quitter des conditions de travail difficiles.
  • Le changement d’emploi ou de métier est plus souvent associé à une amélioration des conditions de travail et le sentiment de reconnaissance tend à fortement s’améliorer lors des changements d’emploi.
  • La trajectoire d’emploi instable avec changement de profession s’accompagne souvent de fortes évolutions des conditions de travail, positives pour nombre de salariés mais parfois négatives pour d’autres. Ainsi, 17 % des salariés ayant suivi cette trajectoire connaissent une forte détérioration de leurs conditions de travail.
  • Changer de secteur permet en moyenne d’améliorer ses conditions de travail.
  • Pour les salariés ayant conservé le même emploi et la même profession entre 2013 et 2016, les chances d’améliorer leurs  conditions de travail sont plus faibles, surtout en présence d’un changement technologique ou organisationnel important.
  • Les conditions de travail ont été préservées pour les salariés qui ont pu influencer le changement mais parmi les salariés à « emploi stable, travail modifié », 39 % disent n’avoir pas du tout été associés au changement intervenu au cours des douze derniers mois : ils estiment ne pas avoir bénéficié d’une information préalable suffisante ni avoir été consultés lors de la mise en œuvre du changement. Pour le reste, 27 % s’estiment bien informés mais pas consultés, 20 % disent avoir été consultés mais n’avoir pas pu influencer le changement ; seuls 14 % disent avoir été consultés et écoutés.
  • Notons que pour les salariés n’ayant pas changé d’emploi ni de profession, certains changements dans les pratiques de gestion des ressources humaines de leur employeur ont un effet sur leurs conditions de travail. Ainsi, les salariés qui disaient en 2013 bénéficier d’un entretien annuel d’évaluation portant sur des critères « précis et mesurables » mais ne le disent plus en 2016, ont une probabilité nettement plus forte de connaître une détérioration de leurs conditions de travail et l’inverse est vrai en cas d’introduction de tels entretiens. L’introduction d’objectifs individuels chiffrés est concomitante à une détérioration encore plus importante, tandis que la suppression de tels objectifs s’accompagne d’une amélioration significative.
  • Néanmoins, 16 % des salariés ont connu une certaine hausse de leur bien-être psychologique mais 17 % décrivent une forte baisse.

 

Parallèlement aux résultats des observations de la DARES sur les conséquences des changements de métiers, le Conseil économique, social et environnemental, considérant que des préoccupations croissantes s’expriment dans la société française autour du sujet des mobilités s'est également emparé du dossier en y intégrant bien d'autres aspects et a formulé un avis sur la théme « travail, emploi et mobilités » mi-novembre 2019.

 

Le projet d'avis présenté, au nom de la section du travail et de l'emploi, par Michèle Chay (conseillère confédérale de la CGT) et Laurent Clévenot (ancien secrétaire général de l’UNAF) a été adopté à une très large majorité du CESE en séance plénière.

 

Cet avis du CESE intervient dans un contexte où tous les leviers pour agir de manière volontaire en faveur de la transition écologique doivent être utilisés afin d’atteindre l’objectif d’un réchauffement climatique limité conformément aux recommandations du GIEC.


Considérations du CESE

 

  • Les modalités de déplacement entre le domicile et le lieu de travail sont marquées par des inégalités sociales et territoriales. Dans les communes rurales, seulement 17 % des personnes déclarent avoir le choix de leur mode de transport, contre 67 % dans les villes-centres des métropoles.
  • Les espaces de faible densité comptent la plus forte proportion d’automobilistes quotidiens, 64 % contre 31 % dans les villes centre de métropoles et 5 % pour Paris intra muros.
  • Pour certains ménages, le budget consacré à la mobilité peut atteindre 40 % du revenu.
  • La métropolisation a accentué la concentration géographique des emplois tandis que la hausse des prix du logement dans les zones les plus dynamiques a provoqué le déplacement de la partie économiquement la plus fragile de la population vers les espaces périphériques où l’offre de transports collectifs est faible.
  • Les mobilités les plus difficiles pèsent lourdement sur des ménages parmi les plus pauvres. Selon l’ADEME, 20 % de la population en âge de travailler souffrent de ne pas avoir un accès aisé à un moyen de transport.
  • Dans un contexte de transformation de la nature et de la géographie des activités économiques, les difficultés de la recherche d'emploi se doublent d’une injonction à une certaine  mobilité contrainte qui comporte des risques d’aggravation des situations personnelles.
  • Enfin, pour le CESE, l’objectif d’une baisse importante et rapide des émissions de gaz à effet de serre remet en cause le modèle des mobilités liées au travail et à l’emploi tel qu’il s’est mis en place à partir du milieu du XXe siècle.
     

Propositions de CESE
 

Près d'une vingtaine de propositions en découlent, s'articulant en fait autour de trois grands axes :

  • s’appuyer sur les nouvelles autorités organisatrices des mobilités (AOM) pour améliorer les trajets domicile-travail ;
  • négocier les mobilités dans les entreprises, les administrations et les territoires ;
  • orienter la politique des mobilités liées aux activités professionnelles en fonction de critères de justice sociale et environnementale.
     

Enfin, la note de France Stratégie portant sur la question « le travail paie-t-il davantage qu'il y a vingt ans ? » a également retenu notre attention.

France Stratégie rappelle qu'avec la création du RMI en 1988, la France s’est dotée d’un dispositif universel de solidarité visant à protéger ses bénéficiaires des formes extrêmes de pauvreté et qu'à cet objectif initial s’est ajouté le souci de ne pas décourager les ménages sans emploi de reprendre une activité : plusieurs dispositifs pérennes d’intéressement leur ont permis de cumuler prestations sociales et revenus d’activité.
 

Où en est-on aujourd’hui de ces deux objectifs ?
 

À partir d'une analyse sur cas-types depuis les années, 2000 l'étude fournit ainsi des éléments de réponse.
 

Principales observations de France Stratégie
 

  • Le pouvoir d’achat des ménages allocataires sans emploi a progressé depuis 2000, entre +3 % et +14 %, selon la configuration familiale.
  • Pourtant, comme le revenu médian a progressé de 15 % sur la période, leur niveau de protection contre la pauvreté monétaire s’est dégradé : la distance au seuil de pauvreté est aujourd’hui supérieure de 3 à 8 points de pourcentage à ce qu’elle était en 2000, sauf pour les ménages avec trois enfants, pour lesquels elle a retrouvé son niveau initial.
  • Quelle que soit la configuration familiale, les ménages allocataires sans emploi restent pauvres, le niveau de vie maximal étant atteint par les ménages isolés avec trois enfants, à 80 % du seuil de pauvreté.
  • Alors que ce n’était souvent pas le cas en 2000, le travail paie, quelle que soit la configuration familiale. Lorsque quelqu'un reprend une activité, le ménage auquel il appartient voit dans tous les cas son revenu disponible (donc son niveau de vie) progresser.
  • La prime pour l’emploi, plusieurs fois revalorisée, a d’abord rendu intéressante la reprise d’activité pour un niveau de rémunération égal au SMIC.
  • Le RSA activité a ensuite rendu intéressante la reprise d’un emploi dès les premiers euros gagnés.
  • Ainsi, pour un célibataire, un mi-temps au SMIC procure un gain de niveau de vie de près de 40 %, alors que ce gain était nul au début des années 2000. L’amélioration est générale, sauf pour les gens vivant avec un conjoint en emploi rémunéré au niveau d’un SMIC, pour lesquels le gain financier d’un retour à l’emploi est plus faible qu’en 2000.

Si le travail paie désormais dans tous les cas, il ne garantit pas de sortir de la pauvreté.

Avec un seul emploi au SMIC à mi-temps, seuls les ménages isolés avec un enfant y parviennent. Les couples monoactifs, avec ou sans enfants, restent pauvres, avec un niveau de vie à 85 % du seuil de pauvreté. Même avec un emploi à temps plein au SMIC, les couples mono-actifs ne dépassent pas ce seuil ...
 

Et France Stratégie de conclure :
 

Pour imaginer des dispositifs efficaces et justes de soutien au revenu des plus modestes, il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre deux objectifs difficiles à concilier pour des ressources publiques limitées : faire en sorte que le travail paie suffisamment ; protéger contre la pauvreté les ménages aux ressources les plus faibles, ceux qui sont sans emploi. Ce type d’arbitrage est au cœur des réflexions et des concertations sur le revenu universel d’activité.
 

Bref, nul doute que l'ensemble des observations ainsi menées par différents acteurs et les réflexions qui ont pu en découler, constituera de sérieuses contributions aux réflexions du moment ou à venir...

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