Participatif
ACCÈS PUBLIC
30 / 08 / 2024 | 845 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
Articles : 84
Inscrit(e) le 23 / 10 / 2008

Risques Psychosociaux : Faux remèdes, vraies conséquences ! 

Les pratiques de prévention des RPS sont souvent mal comprises. Cette confusion est en partie entretenue par certains cabinets de conseil qui prônent des approches basées sur le "changement comportemental"

Image par <a href="https://pixabay.com/fr/users/vnukko-695091/?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=2525087">Petr</a> de <a href="https://pixabay.com/fr//?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=2525087">Pixabay</a>
 

Les conditions de travail en France se détériorent. Les conséquences sont évidentes. Le coût de cette dégradation est estimé à au moins 3 milliards d’euros par an. Ce chiffre reste imprécis, mais les preuves sont là. En 2022, 108 000 pathologies psychiques d’origine professionnelle ont été recenséeset enregistré et 28 000 accidents du travail sont liés à la même origine psychique, 2,5 millions de salariés en CDI ont démissionné. Ces chiffres révèlent un malaise professionnel généralisé. Si le télétravail a apporté une amélioration, il ne résout pas tous les problèmes d’autant que se mettent en place en corrélation des logiques de Flex Office très coûteuses sur le plan des conditions de travail.


Les entreprises sont de plus en plus conscientes des coûts des risques psychosociaux (RPS). Elles cherchent à les prévenir. Les dérives, comme celles observées chez Orpea, ne sont plus tolérées par les analystes financiers. Des démarches de responsabilité sociale des entreprises (RSE) commencent à se mettre en place, même si elles restent encore peu contraignantes. Toutefois, ces contraintes vont s’accentuer dans les années à venir.


Pour anticiper ces évolutions, certains employeurs choisissent d'acquérir des labels très discutables, censés démontrer un bon climat de travail. Ces labels visent à donner une image positive de l'entreprise aux analystes financiers et aux observateurs extérieurs. Les responsables des ressources humaines y voient un moyen d'améliorer l’image de l’entreprise et de se valoriser auprès de leur hiérarchie. Cependant, ces labels représentent une forme subtile de déni qui détourne l’attention des vraies difficultés de la prévention. On peut supposer qu’une entreprise qui se vante de posséder de tels labels évite ainsi un véritable travail de fond en matière de prévention, qui exige un dialogue continu avec les représentants du personnel et les services de santé au travail, lesquels ne sont pas dupes de ces artifices qui sont d’ailleurs de plus en plus contestés par les organisations syndicales.


En plus de ces démarches superficielles, de nombreuses entreprises adoptent des solutions tout aussi superficielles. Le babyfoot, les séances de yoga, la méditation ou encore les massages sont devenus courants. Ces initiatives peuvent offrir un bien-être temporaire. Jouer au babyfoot peut être plaisant, mais ces activités ne s’attaquent pas aux véritables causes des RPS. La création de postes comme celui de Chief Happiness Officer en est un autre exemple. Bien que ces initiatives partent d’une bonne intention, elles restent éloignées des enjeux réels.


Plusieurs études européennes confirment cette dégradation des conditions de travail, comme nous le verrons dans un prochain article. Elles remettent en question la pertinence des réponses apportées par les dirigeants. Ces études soulèvent également des questions sur le respect des obligations légales. Le Code du Travail et le Code Pénal imposent des devoirs stricts aux employeurs, notamment en matière de santé et de sécurité au travail. En cas de manquement, leur responsabilité civile, voire pénale, peut être engagée, les exposant à des poursuites pour faute inexcusable (articles L 452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale).

Changement comportemental

Malgré cette réglementation stricte, une certaine confusion persiste. Les pratiques de prévention des RPS sont souvent mal comprises. Cette confusion est en partie entretenue par certains cabinets de conseil qui prônent des approches basées sur le "changement comportemental". Ces approches détournent l’attention des véritables problèmes, en négligeant des questions essentielles comme la charge de travail, les méthodes de management, l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle, ou encore les violences psychiques.


Les recommandations de ces cabinets sont souvent insuffisantes et ne respectent pas toujours la réglementation. Les Inspections du Travail les critiquent de plus en plus. En cas d'accident ou de maladie professionnelle, ces pratiques peuvent entraîner des sanctions sévères, mettant en péril la réputation et les finances des entreprises.


Pour comprendre pleinement les obligations des employeurs, il est crucial de distinguer les différents types de prévention. Par exemple, face à une machine défectueuse qui expose les salariés à un risque de coupure, l'employeur doit agir. En cas de blessure, l’infirmerie intervient pour soigner la victime. Cela relève de la prévention tertiaire, une action en aval. Si l’employeur forme les salariés à l'utilisation de la machine pour éviter les accidents, il pratique alors la prévention secondaire. Cependant, la prévention primaire, la plus conforme aux obligations légales, consiste à remplacer la machine défectueuse.


Une critique majeure des approches « comportementales » est qu'elles se concentrent sur l’individu. Les formations en gestion du stress, par exemple, visent à développer des compétences individuelles, mais elles ne suffisent pas à prévenir efficacement les RPS. Une véritable démarche de prévention doit accorder une priorité à la prévention primaire, en cherchant à éliminer les risques à la source.

Approche proactive

La prévention primaire exige une approche proactive. Elle consiste à identifier et à éliminer les facteurs de stress chronique tels que des exigences professionnelles démesurées, une surcharge de travail, un faible soutien social ou une incertitude professionnelle persistante. Ces actions doivent être menées en concertation avec les représentants du personnel et les services de santé au travail. 


Une prévention efficace repose également sur un équilibre entre les facteurs de risque et les facteurs de protection, comme une reconnaissance adéquate, une ambiance de travail saine, et des valeurs d'entreprise solides.


Pour mettre en œuvre une prévention efficace des RPS, les entreprises doivent examiner attentivement leurs processus de travail. Cela passe par la collecte et l'analyse d'indicateurs pertinents. Il est essentiel de surveiller le temps de travail, l’absentéisme, les mouvements de personnel, ainsi que la productivité et la qualité des produits. Les relations sociales internes, les procédures judiciaires en cours, et les dispositifs de représentation du personnel doivent également être pris en compte.


Parallèlement, une attention particulière doit être portée aux indicateurs de santé et de sécurité. Il est utile de surveiller la fréquence et la gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles, d’identifier les symptômes physiques et émotionnels du stress chronique, et de surveiller les comportements à risque, comme les conduites addictives. L’analyse de l’activité des services de santé au travail est également essentielle.


Pour se conformer pleinement aux principes de prévention du Code du travail, les employeurs doivent adopter une approche globale. Cela inclut des mesures de prévention primaire pour éliminer les risques à la source, ainsi que des mesures secondaires pour évaluer et atténuer les risques résiduels. Ces mesures peuvent comprendre des programmes de formation et de sensibilisation, mais surtout des actions concrètes pour améliorer les conditions de travail. Il est primordial de favoriser un environnement de travail sain et d’offrir un soutien psychologique et social aux employés.


Enfin, la prévention des RPS repose sur des valeurs telles que la bienveillance, le respect, et la considération de chacun. Les représentants du personnel jouent un rôle clé dans cette démarche. Il est nécessaire de préserver des collectifs authentiques, où l'humain occupe une place centrale. Les dirigeants doivent intégrer les coûts de la non-prévention dans leurs calculs de rentabilité et accorder une plus grande crédibilité aux représentants du personnel. Ce n'est qu'en prenant ces mesures que les entreprises pourront véritablement prévenir les RPS et créer un environnement de travail sain et durable.
 

Pas encore de commentaires