Reconnaître le Burn Out en maladie professionnelle: une nécessité vitale
A l’occasion du webinaire Preventica qui s'est tenu ces derniers mois, Marie Pezé (1) , psychanalyste, docteur en psychologie et ancienne experte judiciaire est revenue sur la question du burn-out.
Retranscription et éclairage avec l’aide de notre camarade Carole Prioult. du Bureau de la Section Fédérale Commerce & VRP - Conseillère au CPH en Seine St Denis.
Selon la spécialiste Marie Pezé, pas moins de 47 % des Français souffrent au travail. Le terreau du burn-out (BO) est le travail en mode dégradé qui prive le salarié de moyens suffisants pour accomplir ses missions au travail.
Exemple : toilette des personnes âgées en EHPAD non faite mais dissimulée, avec en impact pour le salarié l’impossibilité de se regarder dans le miroir le soir en rentrant.
Le BO n’est pas inscrit dans la classification des Accidents du Travail et des Maladies Professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale. Cependant, la commission des pathologies professionnelles du COCT (Conseil d’Orientation des Conditions de Travail) reconnaît des tableaux psychiques de souffrance au travail : dépression, anxiété généralisée et ESPT (syndrome post-traumatique).
Quel médecin est compétent ?
Selon Marie Pezé, les psychologues cliniciens, non formés aux risques psycho-sociaux, estiment que la souffrance au travail est une dépression qui relèverait uniquement d’une difficulté individuelle, sans implication de l’entreprise.
Les médecins généralistes, quant à eux, verraient du BO partout.
Très instrumentalisé par les médias, on parlait avant de harcèlement, on parle maintenant de BO. Pour autant, le médecin généraliste reste le plus à même de voir la dégradation de la santé du salarié dans le temps étant donné qu’il connaît son patient depuis des années et il peut voir la différence entre son état de santé « normal », habituel, et un état de santé dégradé.
Quant au médecin du travail, il est l’acteur qui peut faire le lien entre santé et travail. Ainsi, il est indispensable de faire intervenir le médecin traitant et le médecin du travail. Ce dernier pourra proposer des aménagements de poste, conseiller une formation ou encore faire un bilan de compétences en vue d’un futur départ de l’entreprise dans le cadre possible d’une inaptitude.
État dépressif réactionnel
La spécialiste pointe aussi l’importance du diagnostic écrit sur l’arrêt maladie établi par le médecin traitant. En aucun cas le médecin traitant n’est habilité à faire un lien direct entre l’état de santé et le travail. Il doit seulement constater un état de santé dégradé à un instant « T » car il n’a pas autorité pour établir ce lien qui relève de la seule compétence du médecin du travail.
Ainsi, en inscrivant « Burn-out en lien avec les conditions travail », le médecin traitant prend le risque d’une levée du secret médical. L’employeur qui prendrait connaissance de cette inscription sur l’arrêt maladie permettrait à son avocat de faire traduire le médecin traitant devant l’ordre des médecins afin de faire modifier l’intitulé de son diagnostic.
Il vaut ainsi mieux préférer les termes « État dépressif réactionnel » (sans mentionner le lien au travail, l’état dépressif est en réaction à quelque chose) afin de préserver les intérêts du salarié et permettre à la procédure de reconnaissance d’aboutir.
Le terreau du burn-out est le travail en mode dégradé qui prive le salarié de moyens suffisants pour accomplir ses missions au travail.
Faire reconnaître le burn-out en maladie professionnelle La reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle permet une indemnisation du salarié plus importante, notamment en fonction du taux d’incapacité, mais elle reste encore un parcours long et souvent éprouvant.
Il est préférable d’être accompagné, par exemple par un avocat, pour constituer le dossier auprès du Comité Régional de Reconnaissances des Maladies Professionnelles (CRRMP). Pour qu’un burn-out soit reconnu en maladie professionnelle, il faut un taux d’incapacité d’au moins 25 %, sachant que, par exemple, la perte d’un œil représente seulement un taux de 10 % d’incapacité… Il faut, par conséquent, faire état d’une forte dégradation psychologique pour faire reconnaître ce taux d’incapacité à 25 %.
Marie Pezé conseille de déclarer le BO en Accident de Travail, en particulier s’il n’y a pas contrat de prévoyance, ou si le poste de travail en question appartient à une catégorie professionnelle moins indemnisée telle que les employés.
De plus, il faut savoir qu’on ne peut pas être licencié si on est en MP ou AT pour BO.
A contrario, si le salarié est cadre avec l’existence d’un contrat de prévoyance, il est préférable d’être indemnisé par la caisse maladie car il percevra la quasi-intégralité de son salaire.
Selon la spécialiste, le plus important est de chercher la sécurisation financière du salarié afin que celui-ci prenne suffisamment de temps pour son arrêt maladie en prenant soin de lui, sans se soucier des difficultés financières qui pourraient l’obliger à reprendre le travail trop tôt par rapport à son état de santé. Les relations avec l’employeur L’employeur n’a pas le droit de ne pas déclarer l’événement en AT. Il n’est pas juge de la légitimité de la déclaration.
Dans le cas contraire, il s’expose à une amende de 6 000 €. Il peut néanmoins émettre des réserves.
En cas de refus de déclarer l’accident de travail, le salarié peut écrire à l’employeur pour le sommer de déclarer l’AT, voire contacter l’inspection du travail en cas de refus réitéré. Il appartiendra alors au médecin traitant, suivi par le médecin travail et la Sécurité sociale, de constituer la déclaration.
La spécialiste conseille de voir régulièrement le médecin du travail en cas de difficultés. Cela permet de consigner toutes les visites dans le dossier médical du salarié, et ainsi constater la dégradation de l’état de santé. De plus, le médecin du travail peut aussi écrire à l’entreprise lors de fréquentes visites du salarié décrivant des conditions de travail altérées et continues.
Démonstration par les chiffres, en 2019 : 1700 BO reconnus en MP, mais 30 000 AT reconnus pour lésion psychique.
En cas de retour inenvisageable au travail, il est nécessaire d’être accompagné par un avocat qui pourra apporter conseil et aider à la rupture contrat, avant de saisir les instances si le désaccord est irrémédiable.
Afin d’objectiver le mieux possible le burn-out et le rendre incontestable, le médecin peut prescrire un bilan neuropsychologique, acte non remboursé mais qui est un constat scientifique d’atteintes cognitives. Il s’agit d’un test très poussé de 3 heures qui rend compte de l’activité d’une des 6 mémoires : la mémoire de travail. S’il est constaté scientifiquement par ce bilan que cette mémoire est atteinte, il devient alors difficile pour l’entreprise de dire que cela n’a aucun lien avec le travail
Burn-out mode d’emploi
- Concrètement, si le salarié fait une crise de nerfs, de rage, ou commet un acte suicidaire sur le lieu travail, à la suite d’une humiliation, d’une altercation, d’une agression ou d’une demande d’organisation travail abusive, on rentre dans la jurisprudence de 2002 de l’AT (TASS de Côte d’Or, 17 décembre 2002) : un événement précis qui se déroule sur le lieu de travail et qui produit une lésion psychique. De fait, si dans les 4 semaines qui suivent, le médecin traitant constate un Etat de Stress Aigu (ESA), cet état est notifié sur l’arrêt de travail initial, permettant ainsi la reconnaissance en AT. Marie Pezé précise qu’on est sur de la jurisprudence, de la construction médico juridique et administrative mais pas en psychiatrique
- Dans le cas d’un salarié qui serait insulté et humilié publiquement, il est important de ne pas retenir que la souffrance, mais aussi les conséquences émotionnelles de cette humiliation qui rendent la reconnaissance en AT indiscutable : pleurs, malaise,… rendent l’événement traumatisant perceptible par les témoins.
Burn-out et législation
- Combien de temps après un licenciement pour inaptitude peut-on saisir le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur après un burn-out/ harcèlement ? Selon Marie PEZE, il n’est pas intéressant d’aller en CPH, mais plutôt de faire reconnaître le BO en MP ou AT et entamer une procédure au tribunal social (ancien TASS) pour plaider la faute inexcusable de l’employeur.
- Il faut avoir un avocat spécialisé en droit travail et en droit de la Sécurité sociale pour construire une démonstration de la responsabilité de l’entreprise dans la dégradation de la santé mentale du salarié. Néanmoins, les juges CPH ne sont pas ou peu formés, ils maîtrisent moins les notions de santé mentale, ce qui pourrait être préjudiciable pour le salarié si l’affaire va en départage ou qu’il est débouté.
- Pour éviter le BO, est-ce qu’il faut renforce la QVT ? Pour la spécialiste, on a glissé l’inscription de la loi dans la QVT. La QVT est un papier cadeau, un cosmétique. Selon elle, le cadre juridique suffit par l’existence de l’article L. 4121-1 du Code du travail qui stipule « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »
(1) Marie Pezé, psychanalyste, docteur en psychologie et ancienne experte judiciaire (2002-2014), est l’initiatrice de la première consultation « Souffrance au travail » au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre en 1996. A la tête du réseau des consultations Souffrance et Travail, elle a ouvert en 2009 le site internet Souffrance et Travail, véritable guide et recueil d’informations destinés aux différents acteurs du travail.
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