Machinisme agricole : la terre du futur
Loin de son image vieillotte, le machinisme agricole est devenu un secteur de pointe en quelques années et est déjà bien engagé dans des mutations profondes qui ont un impact sur l’ensemble des acteurs du monde agricole. Ces changements structurels se doublent de facteurs conjoncturels, comme les récentes crises, qui posent de nouveaux défis à cette industrie.
En 2022, le chiffre d’affaires lié à la vente des matériels agricoles neufs a été tiré par une hausse des prix des matériels et une demande soutenue par une envolée historique du prix des productions agricoles. Il a atteint 8,3 milliards d’euros en France, soit 15% de plus que l’année précédente. Et encore faudrait-il prendre en compte la location et l'acquisition d'équipements agricoles d'occasion entre agriculteurs, favorisées par le développement des plateformes d'intermédiation numériques ces dernières années, pour un tableau plus complet du secteur.
A priori, plutôt une bonne nouvelle pour les métallos, qui sont près de 80 000 à travailler au sein des 8 000 entreprises de la branche du machinisme ou entreprises de la maintenance, distribution et location de matériels agricoles, de travaux publics, de bâtiment, de manutention, de motoculture de plaisance et activités connexes, dite SDLM, qui compte parmi les plus grosses branches associées de la Fédération FO de la Métallurgie, sous la responsabilité de la secrétaire fédérale Nathalie Capart.
A y regarder de plus près, pourtant, la situation est plus complexe, d’autant qu’elle concerne un secteur en pleine mutation. Comme pour beaucoup de pans de l’industrie, la crise sanitaire et la pénurie de semi-composants électroniques ont pesé lourd sur les affaires, mais la situation en Ukraine a eu un impact plus fort qu’ailleurs......(1)
La chasse au carbone
Dans un contexte de transition énergétique et de développement de l'agro-écologie, le secteur du machinisme agricole doit répondre à plusieurs défis pour assurer une production agricole performante tout en réduisant son impact sur l'environnement. Pilier de l'agriculture moderne, le secteur se voit aujourd'hui confronté à une mission cruciale : la décarbonation, qu’il faut concilier avec les spécificités des machines agricoles.
À l’image de l’ensemble des secteurs d’activité industriels, l’agriculture entame elle aussi son processus de décarbonation. L’ambition est aussi forte qu’elle est nécessaire, alors que la quasi-totalité du parc de machines agricoles roule aux combustibles fossiles. Pour les agriculteurs, le bouleversement s’avère majeur.
Pour les industriels et les salariés du secteur, où l’on compte de nombreux métallos FO, c’est un défi inédit qui conduit à repenser les machines de fond en comble. Les agrocarburants, plus émetteurs de CO2 que leur équivalent fossile, sont hors course, mais différentes alternatives sont envisagées. A première vue, le fioul de synthèse constitue un sérieux candidat alternatif aux énergies fossiles qui font tourner les moteurs à explosion.
Ces derniers n’auraient besoin que de légères adaptations, tout comme les cuves de stockage du carburant. Fabriqué à partir de matières premières organiques carbonées mélangées à de l’hydrogène, il nécessite néanmoins une industrialisation à grande échelle d’une production pour le moment plutôt de niche afin de répondre aux besoins croissants.
Autre option envisagée actuellement : un passage progressif à l’hydrogène, qui offre des rendements énergétiques intéressants. Le machinisme agricole se heurte pour le moment aux mêmes obstacles que l’aéronautique ou l’automobile : l’utilisation de l’hydrogène demande des installations de production efficaces et une chaîne d’approvisionnement aussi stable que sécurisée, du lieu de fabrication à celui de la distribution ; ici, l’exploitation agricole. Ce carburant qui dit être stocké à près de -253 °C demande des installations conséquentes et de très importants investissements, accessibles principalement aux grandes exploitations agricoles, et dont la rentabilité reste à prouver.
Bénéficiant d’une production décarbonée, en bonne partie grâce au nucléaire, et de facilités d’approvisionnement, l’électrification paraît actuellement constituer l’alternative la plus évidente et la plus crédible.
Plusieurs marques s’y sont d’ores et déjà mises, et des tracteurs équipés de 100 à 150 chevaux électrifiés pointent le bout de leur capot sur le marché. Si des fabricants comme Class (ex-Renault) peuvent s’appuyer sur l’industrie automobile, les différences avec un engin agricole imposeront malgré tout de rechercher des solutions innovantes. La récupération d’énergie au freinage, par exemple, courante sur les voitures, sera plus difficile à adapter aux machines agricoles, où le pied est plus souvent sur l’accélérateur que sur le frein.
Or, qui dit moins de récupération, dit moins d’autonomie.
De fait, les industriels manquent cruellement de données sur les machines agricoles et l’électrification, contrairement à ce qui concerne les véhicules légers. Pour y remédier, EDF et la chambre d’agriculture des Pays de la Loire mènent depuis le début de l’année une expérience afin de comparer à l’usage un tracteur électrifié disposant d’une batterie de 40 kWh avec un tracteur diesel.
Le but est de collecter les données qui permettront de dimensionner la puissance des batteries et les systèmes de recharge, pour un fonctionnement optimal selon l’activité. 40 kW/h, c’est à peu près l’équivalent d’une batterie de Renault Zoé. Comme labourer va probablement consommer plus que de transporter du foin, il faut s’attendre à ce que, dans un premier temps, le tracteur électrique soit davantage utilisé comme un mulet qu’un cheval de trait.
Actuellement, c’est d’ailleurs plutôt du côté de l’entretien des espaces verts que les premières machines électriques légères font leurs premiers tours de roue. L'une des approches pour atteindre la décarbonation ne se limite pas au carburant mais passe aussi par l’intégration du numérique dans le machinisme agricole.
Les avancées technologiques offrent des solutions pour optimiser la consommation d'eau et de carburant...(1)
L’humain au coeur du changement
La révolution agricole est en marche, et pour répondre aux défis qu’elle soulève, les compétences humaines et industrielles vont jouer un rôle crucial. Entre impératifs liés aux évolutions technologiques et pénurie de main-d’œuvre, la formation sera en première ligne pour apporter des réponses.
Préparer le secteur agricole de demain et ses machines ne se limite pas à l'autonomisation et à la décarbonation, mais nécessitera également des compétences industrielles de haut niveau. Malgré les différentes crises qui ont perturbé la production du machinisme agricole, la demande en équipements est à la hausse, boostée par le conflit ukrainien et ses conséquences. Pour les professionnels du secteur, cela signifie près de 10 000 postes dans différents métiers dans les années qui viennent.
Les compétences recherchées couvrent un large spectre, allant de l'ingénierie des systèmes électroniques à la production pour intégrer les innovations sur les chaînes d'assemblage, en passant par les métiers stratégiques de l'approvisionnement, sans oublier les métiers de la commercialisation, qui évoluent également. On recherche des technico-commerciaux spécialisés dans les nouvelles technologies ou dans certaines catégories d'équipements spécifiques. Les métiers de la maintenance sont également en demande, notamment ceux liés aux technologies embarquées et aux équipements robotisés légers. Les métiers du marketing et de la conception de l'offre de services, tels que les chargés de marketing et les spécialistes de la gestion et du traitement des données, sont également essentiels pour accompagner cette révolution. Cependant, malgré ces besoins croissants en recrutement, le secteur de la distribution de matériel agricole, de construction et de manutention, ainsi que les services associés tels que la réparation et la maintenance, font face à une pénurie de main-d'œuvre.....
La formation continue joue un rôle clé pour répondre à l'évolution technologique et à la pénurie de main-d'œuvre. Mais les coûts liés à la formation des techniciens/mécaniciens et aux outils de diagnostic pèsent sur les charges et les marges des concessionnaires. Le matériel agricole de plus en plus techniquement avancé, avec son électronique embarquée, nécessite des investissements importants en formation du personnel et en équipements de diagnostic. Cependant, le coût de ces formations reste difficile à répercuter sur le prix de vente du matériel ou sur la facturation des services après-vente. Les formations délivrées par les constructeurs sont de plus en plus suivies, ce qui représente un défi pour les distributeurs multimarques. Chaque constructeur a ses propres méthodes et le coût croissant de ces formations est dénoncé par plusieurs chefs d'entreprise. De plus, les licences des équipements de diagnostic doivent être renouvelées chaque année, ce qui ajoute à la charge financière.
Face à cette situation mais aussi au manque de formation académique, certaines entreprises préfèrent embaucher des techniciens peu qualifiés et les former en interne. Cela nécessite des efforts de formation et des moyens pour fidéliser les salariés. Cependant, il faut souligner que former un technicien prend du temps, généralement de 3 à 5 ans...(1)
La solution technologique
La demande en matière d'agroéquipements évolue sous l'effet conjugué des problématiques environnementales, économiques et sociales et de nombreuses réponses sont apportées par les innovations technologiques et une sophistication croissante des équipements, faisant aujourd’hui du machinisme agricole un secteur de pointe.
Dans un contexte de diminution de la main-d'œuvre en agriculture, de transition énergétique et de développement de l'agro-écologie, les agroéquipements doivent répondre à plusieurs impératifs. Sur le plan économique, ils doivent permettre la réduction des coûts de production tout en assurant une production performante en quantité et en qualité. Sur le plan environnemental, ils doivent contribuer à la réduction des émissions vers l'eau et l'air, à l'optimisation des consommations énergétiques et au maintien du potentiel des sols. Sur le plan humain, ils doivent améliorer le confort, réduire les risques et pallier la diminution des effectifs...(1) Derrière les avancées, qui exigeront le maintien de la compétitivité, il faudra cependant veiller à ce que les salariés ne soient pas, comme trop souvent, la seule variable d’ajustement