Lutte contre la fraude fiscale: un plan adroit ?
Après un teasing digne des grandes productions hollywoodiennes et plusieurs fois reporté, le ministre Gabriel Attal a lancé par un article dans un quotidien du soir en date du 8 mai ce qui est présenté comme un nouveau plan de lutte contre la fraude fiscale. Et le service après vente est intensif avec pas moins de onze interventions médiatiques en 2 jours !
Derrière quelques annonces spectaculaires et des formules et alors que notre syndicat demande depuis des années que soit véritablement sonnée la mobilisation générale contre la fraude fiscale, les annonces faites appellent des précisions et restent encore bien éloignés des enjeux quand elles ne reprennent pas des dispositif existants. Certaines pistes peuvent, sous conditions, s’avérer intéressantes. Quelle est la situation ?
Une situation qui inquiète
En moyenne, comme le ministre le rappelle lui-même, 9 Mds d’euros qui ont été encaissés chaque année suite à contrôle fiscal sur la période 2017-2021 alors que les estimations, même les plus raisonnables, se chiffrent en plusieurs dizaines de milliards qui font défaut aux finances publiques.
Alors que le renforcement de la lutte contre la fraude devrait commencer par renforcer les moyens humains qu’on y consacre, entre 3 000 et 4 000 emplois ont été supprimés dans les services en charge du contrôle fiscal et plus de 21 000 à la DGFiP depuis 2012.
Ces suppressions désorganisent la chaine de travail qui va de la gestion, au recouvrement en passant par la programmation et jusqu’aux réclamations dont la cohérence et la complémentarité est seule à même de garantir les performances du contrôle fiscal. Depuis 2018 la loi pour un état au service d’une société de confiance a littéralement renversé la logique du contrôle pour lui substituer une logique d’accompagnement, complexifiant à l’excès les opérations de contrôle. La loi ESSOC laisse les finances publiques à sec.
L’intelligence artificielle est à l’origine de 52% des contrôles mais seulement un peu plus de 13% des résultats pour environ 2 Milliards de droits et pénalités rappelés, elle est érigée en nouvelle panacée. Si les aménagements au prétendu verrou de Bercy se traduisent bien par une transmission d’un nombre plus élevé de dossiers à la justice, les sanctions peinent à se traduire dans les faits faute de moyens à la DGFiP comme du côté de la justice.
La fraude à la TVA est estimée par l’INSEE à 25 milliards d’euros par an. Et pendant ce temps les scandales se multiplient, l’optimisation fiscale est une discipline en soi générant tout un écosystème d’intervenants plus ou moins scrupuleux et flirtant avec la légalité, les transactions vont bon train avec des sociétés réalisant un chiffre d’affaire sur place mais un bénéfice à emporter. Récemment encore les dispositifs issus de la crise COVID ont vu se multiplier les entreprises éphémères venues profiter des mesures de soutien dont les mesures de contrôle étaient insuffisantes malgré les alertes des agents qu’on a chargé de les distribuer. Alors oui il serait grand temps de sonner la mobilisation générale.
Loin de la mobilisation générale
Or que nous propose-ton ? Au-delà de quelques mesures spectaculaires qui font les bonnes feuilles des quotidiens, la poursuite et l’amplification des logiques à l’œuvre depuis des années sur fond de data-mining. On tente de faire croire qu’on s’attaque aux « ultra-riches » qui continueront à dormir tranquilles en se concentrant sur les seuls dossiers à enjeux pour mieux dévitaliser le maillage territorial et la connaissance du tissu fiscal qui va avec.
On fanfarone sur le contrôle annuel des entreprises du CAC40 dont on se demande avec quels moyens compte tenu de la complexité de leurs organisations et de leur fonctionnement. Bon courage aux agents des directions nationales !
On annonce de prétendus recrutements de « personnels d’élite » (les autres apprécieront) sorte de « James Bond » ou d’ « Inspecteurs Gadget » qui ont tout du redéploiement d’emplois économisés sur un réseau une fois encore rationalisé voire un nouveau partage avec la direction générale des douanes et droits indirects.
Tout au plus le Ministre concède-t-il de possibles adaptations à la marge du plafond d’emplois si nécessaire. Malgré tout, et sous réserve de disposer des moyens et outils nécessaires la création d’une cellule dédiée au renseignement au sein de la DNEF pourrait faire partie des améliorations. Que dire de la mise en réflexion d’une peine d’indignité en cas de manquements graves aux obligations fiscales alors qu’elle existe partiellement déjà dans le CGI ( Code général des Impôts) et dont on ignore si elle sera véritablement constitutionnelle.
La création d’un observatoire d’évaluation de la fraude et l’évasion fiscale est un serpent de mer venu reprendre son oxygène à la surface même si l’on peut se féliciter que l’INSEE et la DGFiP se lancent enfin dans un exercice d’évaluation complexe mais bienvenu.
Nous pouvons nous féliciter du fait que la France prenne la tête d’une initiative internationale en faveur de la transparence fiscale , mais nous devrons hélas attendre pour nous en réjouir tout à fait d’en connaitre les contours.
La création d’un cadastre international risque de se perdre dans les méandres d’une impossible harmonisation fiscale.
Les succès environnementaux suffisent à discréditer l’idée même de COP appliquée à la fiscalité. Pour la fraude à la TVA, grande absente du plan, on s’en remet probablement aux vertus de la facturation électronique qui la feront disparaître spontanément aussi surement qu’elle aura sur les services de la DGFiP un impact considérable dont il serait urgent de discuter. Le recouvrement effectif des sommes redressées n’est même pas évoqué.
Donner, c'est donner et repeindre ses volets
Et mieux vaut passer sous silence la commande massive de pinceaux pour permettre aux grands fraudeurs fiscaux de venir repeindre les centre des impôts ou leur imposer (c’est le cas de le dire) de venir renforcer les effectifs des trésoreries amendes au titre de travaux d’intérêt général déjà prévus par le droit pénal. Le sujet mérite mieux que ces fables pour gogos.
L'essentiel est le moins commenté
En réalité, l’essentiel est dans la partie la moins commentée par les observateurs : la prolongation et le renforcement de la dynamique du droit à l’erreur par des régularisations massives occupant dès 2023 quelques 200 ETP (excusez du peu !) et visant à éviter l’ouverture de contrôle fiscaux sur des enjeux faibles ou résultant d’oublis ou d’erreur ou la remise automatique des pénalités pour les primo-redressés.
Ajoutons-y la carte monopoly « erreur du fisc en votre faveur » et la liquidation systématique des intérêts moratoires y compris en l’absence de réclamation.
Au rayon des avancées, notons tout de même les initiatives en matière de prix de transfert abusifs ou les limitations apportées au transfert universel de patrimoine pour tenter d’enrayer le phénomène des entreprises éphémères. La création d’un délit spécifique d’incitation à la fraude fiscale pourrait également aller dans le bon sens s’il renforçait l’actuel délit de complicité de fraude fiscale par instigation. C’est maigre !
Des allures de patchwork
Ce plan a toutes les allures d’un patchwork, assemblage baroque de mesures d’ores et déjà envisagées, sinon programmées reprenant largement les préconisations du rapport de la commission des finances du Sénat d’octobre 2022. A moins qu’il ne soit que le prélude à un durcissement, d’ici à la fin mai, des réponses en matière de fraude aux prestations sociales, comme le donnent à penser certaines déclarations récentes, en jetant un voile pudique sur les fraudes aux cotisations pourtant fort utiles lorsqu’on cherche à équilibrer le financement du système de retraite. A moins qu’il ne soit qu’une simple opération de diversion.
Il était de surcroit manifestement superflu d’en parler au préalable avec les représentants des personnels des administrations concernées qui, comme trop souvent, découvrent ce qui les concerne au premier chef dans les médias.
La lutte contre la fraude fiscale est un enjeu majeur de souveraineté et de redressement des comptes publics, et une condition essentielle pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt.
La fraude fiscale porte atteinte, d’une part à la solidarité nationale en faisant reposer l’impôt sur les seuls contribuables qui respectent leurs obligations fiscales et, d’autre part, aux conditions d’une concurrence loyale entre les entreprises.
Pourtant les gouvernements successifs s’obstinent à affaiblir les moyens de la Direction Générale des Finances Publiques avec 7 fois plus de suppressions d’emplois sur le quinquennat précédent que dans l’ensemble de la fonction publique d’Etat avec 1506 emplois supprimés en 2022 puis 3 000 suppressions programmées d’ici la fin du quinquennat.
Intelligence artificielle ou pas, La France se résout ainsi à perdre entre 80 et 100 milliards d’euros/an.
Il y avait donc un plan plus simple et plus efficace : donner enfin les moyens humains, budgétaires, techniques et juridiques aux agents de la DGFiP La lutte contre la fraude fiscale ne devrait pas être un objet de joute ou d’habileté politique.
Le civisme, y compris fiscal, devrait être un objet de consensus. L’optimisation, parfois extrêmement agressive, n’est ni une fatalité, ni une habileté, ni une fierté. Combattre tout ce qui mine la cohésion sociale devrait être une priorité collective surtout lorsque la fragmentation peut nourrir de dangereux soubresauts démocratiques.
Et si d’aventure l’on voulait véritablement conforter un consentement à l’impôt bien malmené depuis des années sans doute gagnerait-on à mettre en chantier une véritable réforme fiscale telle que la revendique notre organisation syndicale....
Montant des fraudes détectées et estimées en 2019
- Fraude fiscale détectée: 13,7Mds Euros......estimée: entre 80 et 100 mds d'euros
- Fraude aux cotisations sociales détectée: 72,4 millions d'euros....estimée: entre 6 et 8 Mds
- Fraude aux prestations sociales de la CAF détectée: 1 Milliard..... estimée 2,3 Mds