L’Etat relance sa réforme de la restructuration forcée des branches en y ajoutant le critère du salaire minimum
La négociation annuelle obligatoire portant sur les salaires minima hiérarchiques est lourde d’enjeux. L’Etat veut rajouter un élément : les branches présentant un niveau de classification dont le salaire minimum est en deçà du SMIC ouvrirait à l’Etat la possibilité de lui imposer une fusion avec une autre branche professionnelle. Une décision - sans lien avec les enjeux portant sur les salaires - qui permet à l’Etat de relancer la réforme de la restructuration forcée des branches.
Avec la reprise de l’inflation dans notre pays, l’état de délabrement des branches professionnelles se fait jour : ainsi, selon le décompte de l’Etat à mi-juin, 71% des 171 branches professionnelles couvrant plus de 5 000 salariés affichent une grille des SMH comportant au moins un coefficient inférieur au SMIC en vigueur revalorisé le 1er mai 2022.
Dès la fin d’année dernière et comme nous l’avions relevé, la ministre du Travail – devenue Première ministre – avait pratiqué un « en même temps » qui ne laissait pas de doute, en indiquant que le Gouvernement était très attentif au pouvoir d’achat, d’une part, mais, d’autre part était attentif à ne pas alourdir le coût du travail. Toujours fin 2021, la ministre du Travail avait convoqué certaines branches professionnelles pour leur faire prendre conscience de l’insuffisante revalorisation des SMH.
L’occasion pour notre organisation syndicale de relever que l’égarement d’une branche professionnelle ne pouvait expliquer un phénomène aussi global. Ce constat réalisé à mi-juin 2022 par les services de l’Etat démontre bien que des forces plus grandes ont déstabilisé les négociations de branche, au service d’une politique de compétitivité-coût et au détriment des salariés. Le résultat est sans appel, avec des branches qui courent après le niveau légal du SMIC et un écrasement des grilles, qui se matérialise par plusieurs niveaux qui passent sous la ligne de flottaison.
L’Etat à la pêche à la branche
L’occasion était trop belle pour que l’Etat n’y cède pas : dans le cadre du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, il prévoit ainsi que la faiblesse du nombre d’accords assurant aux salariés sans qualification des salaires minimums au niveau du SMIC constitue un motif permettant au ministre chargé du travail de procéder à la fusion administrative des branches dans cette situation.
Ainsi, dès lors que le flotteur représenté par le premier minimum de branche se retrouve sous la ligne de flottaison du SMIC, l’Etat peut relever la gaule et se saisir de la branche professionnelle. Il peut être utile de préciser que l’obligation de fusion des branches a porté jusqu’à présent sur les branches régionales ou départementales, ainsi que sur les branches couvrant moins de 5 000 salariés.
Le rapport Ramain – jamais officiellement publié – réalisé par celui qui est depuis devenu le Directeur général du travail, proposait des rapprochements de branches professionnelles, avec l’objectif assumé par l’Etat de baisse du nombre des branches.
Des branches professionnelles par hypothèse couvrant un nombre plus grand de salariés, au sein desquelles les dynamiques de négociation sont ignorées.
La vision de l’Etat en ce qui concerne la négociation collective démontre une analyse statistique, déconnectée des véritables enjeux. Il est ainsi fort à parier que le bilan réalisé à mi-année par ses services démontre la vigueur de la négociation des salaires minima hiérarchiques, en raison du nombre d’accords qui sera constaté sur ce thème pour les années 2021 et 2022. Est-ce pour autant le signe de la santé de la négociation collective sur ce thème, et par extension de celle des minima salariaux dans notre pays ?
Vigueur ou faiblesse des branches professionnelles ?
Le projet de loi(1) est en outre motivé par la volonté de « mobiliser la difficulté à signer des accords garantissant des minima au niveau du SMIC comme indice de faiblesse de la vie conventionnelle […] ». Un accord de branche doit-il s’analyser en termes de conformité à la loi, et plus concrètement une organisation syndicale a-t-elle pour objectif de négocier un premier niveau équivalent au SMIC, lequel s’impose en toutes hypothèses ? Une branche doit-elle être réactive et démontrer sa vigueur par le nombre d’accords conclus, ou faire la démonstration de sa capacité à asseoir son attractivité par les salaires, ainsi que sa capacité à anticiper la survenance de l’obsolescence de ses minima ? Une décision opportuniste… et contre-productive ?
Si l’épée de Damoclès venait à tomber sur une branche professionnelle, sa restructuration forcée apporterait-elle un remède à la problématique des minima salariaux ?
Dans le périmètre de la Section Fédérale des Services, on constate que plus la branche professionnelle couvre un champ important, moins la négociation (salariale) est productive. Les explications à ce phénomène sont plurielles. Au premier rang : une grande branche professionnelle couvre une pluralité d’activités, pour lesquelles les cycles économiques – voire les équilibres structurels – sont différents. Ainsi, la négociation tend vers le plus petit dénominateur commun, celui acceptable pour l’activité professionnelle la moins porteuse. Concrètement, dans la branche des prestataires de services, l’activité sinistrée de l’animation commerciale a été mise en avant pour masquer l’activité florissante des centres d’appels. Faux prétextes et vrais desseins
Au second rang : plus la branche est importante et moins on y retrouve des représentants patronaux assumant une activité économique dans le champ considéré. Il s’agit le plus souvent de représentants salariés qui portent un mandat (ou pas) et rendent compte à une commission sociale patronale. C’est ainsi qu’en 2019, les représentants de la branche des bureaux d’étude ont présenté une proposition de revalorisation des SMH à 0 % et ont demandé aux représentants syndicaux leurs réactions afin de pouvoir les présenter à leurs mandants… Dans cet environnement, prendre le motif de l’insuffisance de la négociation sur les minima salariaux pour réformer les branches professionnelles et en constituer de plus grandes ne semble pas servir le dessein de remédier à l’insuffisante revalorisation des SMH.
Au contraire : les branches professionnelles les plus importantes connaissent un patronat plus aguerri à ces mécanismes parfois abscons. C’est ainsi que l’on constate, depuis la fin d’année dernière, que les grandes branches qui renouent avec des accords collectifs sur les minima salariaux, recherchant ici la seule conformité au SMIC, retardant leur mise en œuvre et appliquant une revalorisation différenciée des minima avec pour effet un écrasement supplémentaire des grilles de salaires.
Dans la branche du travail temporaire, le dernier accord prévoit ainsi une revalorisation de 70 euros (et donc des pourcentages décroissants entre le premier et le dernier niveau de la grille) pour l’ensemble des minima, dans le cadre d’un accord dont le premier niveau devrait être en deçà du SMIC au moment de son entrée en vigueur.
La pêche est ouverte ; et l’asticot dans le fruit !
(1). Projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, Article 5 : Disposition relative à la restructuration des branches.
Pour mémoire :
SMIC
Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) est le salaire horaire en dessous duquel il est interdit de rémunérer un salarié, et ce, quelle que soit la forme de sa rémunération (au temps, au rendement, à la tâche, à la pièce, à la commission ou au pourboire).
SMH
- Le salaire minimum hiérarchique représente la rémunération effective du salarié, comprenant le salaire de base et ses compléments.
- Les branches sont libres de déterminer, comme elles le souhaitent, le montant et la structure du SMH, celui-ci pouvant correspondre au salaire de base, mais également inclure certains compléments de salaire, comme des primes