Réforme de la responsabilité des gestionnaires publics : serrage de vis via le levier managérial
La direction générale des finances publiques a enfin organisé une réunion de présentation du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics en début de mois de janvier, suite à la demande expresse de notre syndicat exprimée lors du comité technique de réseau du 4 octobre dernier. Co-présidé par le chef du service des collectivités locales et le chef du service de la fonction financière et comptable de l’État par intérim, ce groupe de travail qualifié d'« informatif » a permis de comprendre que des arbitrages au niveau du Premier Ministre étaient toujours attendus.
Adultes quand ça les arrange
Cela a été l'occasion pour notre syndicat de revenir sur l’incompréhensible éviction des représentants du personnel de tous les groupes de travail internes ayant concouru à l’élaboration du projet. Bien loin du simple ajustement technique que l’on veut nous vendre, ce projet bouleversera radicalement toute l’organisation de la DGFIP. D’adultes et responsables pendant la crise sanitaire, les représentants du personnel sont soudain redevenus des enfants. Et, que dire de la forme (par ordonnance) et de la pauvreté des échanges sur la loi d’habilitation ?
Les députés se sont laissé confisquer le débat sur un sujet pourtant majeur en termes d’organisation financière de l’État et des collectivités territoriales en 23 minutes, le 12 novembre dernier. Nous espérions avoir des éclaircissements sur les nombreuses zones d’ombre de ce nouveau régime, notamment l’extension ou non de ce régime aux collaborateurs du comptable public, la réparation du préjudice, les bases de rémunérations pour l’amende, les effets sur le régime indemnitaire, la qualification de « faute grave » et de « préjudice financier significatif », la responsabilité managériale et le cumul des sanctions.
Arbitrage de Matignon ou de maquignon ?
Une réunion interministérielle d’arbitrage, présidée par le Premier Ministre, aura lieu « aux alentours du 15 janvier ». Nous avons bien compris que la vision défendue par la DGFIP différait de celle proposée par la Cour des comptes. À l’issue de ces arbitrages, le projet d’ordonnance sera transmis au Conseil d’État fin janvier.
Selon l‘administration, ce serait la raison pour laquelle le texte de l’ordonnance n’a pu nous être présenté et c’est peut-être, selon nous, ce qui explique la vacuité des deux documents transmis aux organisations syndicales pour cette réunion :
- l’un n’étant que la copie de l’article 41 du PLF 2022,
- et l’autre un exposé relatant les grandes lignes déjà connues de ce nouveau régime.
Lassés d’être pris pour des imbéciles, nous avons exigé un nouveau groupe de travail fin janvier où le texte finalisé nous sera présenté ; c’est le moins que la direction générale puisse faire sur une thématique aussi cruciale pour l’avenir de nos services.
Quelques précisions...
Sur la notion de « faute grave » au cœur du nouveau dispositif, ce sera l’auteur de la faute, celui qui décide, qui sera responsable. Ce ne serait pas l’agent exécutant sur ordre de son supérieur mais pas forcément. le comptable public ni l’ordonnateur. Alors qui ? Celui qui par exemple aurait décidé l’opération et en tirerait bénéfice de manière directe ou indirecte, y compris pour autrui. Le 7 janvier 2022
Tout ceci est bien nébuleux et sujet à interprétation.
- Quid des délégations de signature, par exemple ?
- Quid des comptables secondaires ?
Actuellement, le responsable intuitu personae du poste comptable supporte la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) mais demain, l’équation sera à plusieurs inconnues.
Le principe du parapluie a décidément de beaux jours devant lui.
- Une « faute grave » ayant entraîné un « préjudice financier significatif » se comprend comme une faute ayant un effet financier de nature à modifier les grands équilibres d’un budget ou des comptes d’un organisme. Les fautes de gestion (carences graves ou négligences répétées dans l’exercice des contrôles occasionnant un préjudice financier significatif) seront elles aussi sanctionnées. La gestion de fait (agent public qui réalise des opérations comptables sans être comptable public) est maintenue et rentre également dans le périmètre de sanctions du juge financier.
- Concernant l’amende plafonnée à six mois de « rémunérations », il faut comprendre là le traitement brut hors primes.
- La réparation du préjudice paraît comme le parent pauvre de cette réforme où tout est axé sur la faute. À ce stade, c’est la collectivité qui a subi le préjudice qui en supportera les pertes. Cependant, s’il s’avère que le comptable de la DGFIP est à l’origine de la perte, l’État paiera et supportera donc le préjudice en lieu et place de la collectivité.
- Sur le cumul des sanctions, une même faute répliquée sur plusieurs exercices comptables ne se cumulerait pas, l’amende ne s’appliquant qu’une seule fois. Pour nous, voilà un arbitrage qu’il serait judicieux de gagner face à la Cour des comptes…
- La responsabilité managériale sera la règle. Neuf cas sur dix ne relèveraient donc plus du juridictionnel et resteraient en interne puisque, entre autres, le manque de pièces justificatives ne passerait plus devant le juge financier, par exemple.
Pour notre syndicat, la graduation des fautes est encore nébuleuse ; ce qui l’est en revanche moins, c’est le serrage de vis du futur comptable public via le levier managérial. L’affectation au choix existait déjà. Désormais, il y aura un corpus de contrôles internes et d’indicateurs à strictement tenir, sous peine de voir sa rémunération ajustée à la baisse ou finalement d’être « débarqué » de son poste et subir des sanctions disciplinaires (pourquoi pas ?).
D’autres sujets ont été évoqués, comme la réquisition du comptable par l’ordonnateur qui serait consacrée par la valeur législative du texte de l’ordonnance. En amont de cette réquisition, un dispositif de signalement du comptable destiné à dégager sa responsabilité serait formalisé dès lors qu’il lui semble que l’ordonnateur « mord le trait ». Du coté de l’ordonnateur, le principe de la lettre de couverture de l’élu est réaffirmé, permettant ainsi de dégager la responsabilité de son directeur général des services (DGS). En réponse à une question de notre organisation syndicale, l’administration a tenu à apporter des précisions en matière de contrôle fiscal sur la notion d’avantage indu. Dans l'ordonnance, la DGFIP va proposer que l’on ne pourra assigner en justice que s’il y a avantage indu. Hormis ce cas, le fait que les opérations de contrôle soient en amont de toute créance au Trésor (avant AMR*), les positionnerait hors champ de ce nouveau régime.
Encore beaucoup d’incertitudes
Même si beaucoup d’incertitudes demeurent quant aux arbitrages à venir du Premier Ministre sur la version du texte proposée par la DGFIP contre celle présentée par la Cour des comptes, notre syndicat se félicite d’avoir pu imposer ce groupe de travail à l’agenda social. Le brouillard est loin d’être dissipé mais l’on perçoit clairement un tour de vis dans la façon de considérer le futur comptable public via le « levier managérial ».
Comme la sanction juridictionnelle ne vise qu'à ne sanctionner que les fautes les plus graves dans ce nouveau système, la direction générale aura la tentation de reprendre le passage du rapport Bassères à son compte, disant qu’« une plus grande responsabilisation des gestionnaires publics suppose que soient plus largement mobilisés les leviers d’incitation et de sanction managériales soient plus largement mobilisés ».
Affectation au choix, part de rémunération variable selon le strict respect du plan de contrôles internes, le cas échéant sanctions disciplinaires affectant la carrière du cadre et possibilité de le « débarquer » sont autant de « leviers managériaux » que notre direction générale n’hésitera pas à actionner.
Est-ce un progrès que d’avoir troqué le mécanisme de la remise gracieuse pour tenir imparfaitement compte de l’insuffisance des moyens octroyés contre le strict respect d’une batterie de contrôles internes sans autre considération ? C’est pourtant ce qui risque d’arriver aux comptables publics demain.
(*) L'AMR est à la fois le titre qui délimite l'étendue de l'obligation pécuniaire du redevable et le titre qui permet au comptable public de poursuivre la personne qu'il désigne en recouvrement de l'impôt ainsi authentifié.