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02 / 06 / 2020 | 3391 vues
Christian EXPERT / Abonné
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Quelle attitude des médecins du travail vis-à-vis des salariés qui préfèrent mettre leur santé en jeu pour faire valoir leur droit au travail ?

La covid-19 ne se contente pas de mettre la population à l’épreuve d'un danger mortel, des affres du confinement et des périls de la crise économique. L’urgence bouscule les règles juridiques usuelles et redéfinit les rôles (celui du médecin du travail en particulier). Celui-ci voit sa mission traditionnelle de prévention tendre partiellement vers une médecine de soins avec la possibilité de prescriptions d’arrêts de travail.

 

Dans ce tumulte, la voix du salarié se fait curieusement entendre avec son consentement requis. Le Conseil national de l’Ordre des médecins préconise en effet, « compte tenu du caractère très dérogatoire des modalités de transmission de l’arrêt de travail à l’employeur, que le médecin du travail ne transmette l’arrêt de travail à l’employeur qu’avec le consentement du salarié dûment formalisé dans le dossier de celui-ci ». 

 

Plus généralement, on peut aussi se demander si, pour le médecin de la santé au travail, il existe une véritable obligation de recueillir le consentement éclairé du salarié et, dans l’affirmative, si celle-ci remet ou non en question la possibilité de s’opposer à la volonté du salarié vulnérable (nouvelle catégorie de sujet de droit) de s’exposer pour des raisons alimentaires. En effet, la bascule du régime d'indemnisation au titre de l’arrêt maladie vers le régime chômage partiel au 1er mai 2020 ne fait pas que des gagnants.

 

Certes, les salariés ayant un droit restreint au complément de salaire assuré par l’employeur et qui auraient donc subi une perte significative de revenus (réduction aux seules indemnités journalières) voient leur situation s’améliorer. Avec le chômage partiel, la garantie s’élève au moins à 84 % du revenu net pour 50 % du salaire journalier de base. En revanche, les perdants sont les salariés bénéficiant d’une bonne couverture en complément de salaire et qui passent du 100 % du net à 84 % du net (sauf accords d’entreprise ou décisions unilatérales de l’employeur plus favorables).

 

Dans cette tension entre droit au travail et droit à la santé et entre force du virus et force de travail, certains salariés vulnérables (en difficulté financière) ne peuvent et donc ne veulent pas subir cette perte financière et préfèrent mettre leur santé en jeu voire leur vie et, pire encore, celle de leurs proches par ricochet de contagiosité, pour faire valoir leur droit au travail et celui de gagner leur vie.

 

L’expression « salarié vulnérable » est d’ailleurs proche du pléonasme. Pour certains auteurs, le salarié, par essence, est un contractant vulnérable parce que, dans l’exécution du contrat, c’est sa personne même qui est impliquée ou risque d’être impliquée. Elle l’est déjà en ce que le contrat de travail porte notamment sur l’activité physique, donc d’une certaine façon sur le corps du salarié. À cet égard, la prise en considération de la vulnérabilité s’exprime dans des exigences de sécurité physique. G. Couturier, « Les relations entre employeurs et salariés en droit français », in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels. Comparaisons franco-belges, (sous la direction de Ghestion et M. Fontaine), LGDJ, 1996, p. 143 : et suivantes, specialement p. 149.
 

La fragilité supplémentaire du salarié qui répond aux critères posés par le Haut Conseil de la santé publique et repris par le gouvernement dans le décret du 5 mai 2020 peut rendre l’intégrité de sa volonté plus suspecte.
 

La question est celle de l’attitude que les médecins du travail doivent avoir vis-à-vis de ces salariés.


La réponse a été apportée par une société savante : la médecine du travail
 

« Il n’appartient pas au médecin de santé au travail, sauf danger pour les tiers, de s’opposer à la volonté d’un salarié de retourner à son travail ; il lui appartient en revanche de l’informer des risques et des moyens pour s’en préserver et de tracer l’information délivrée. La recherche du consentement éclairé doit alors prévaloir. Le médecin de santé au travail peut toujours proposer un poste aménagé moins exposé aux contacts avec le virus (L4624-3 CT) ».

 

On sait pourtant la fragilité de la volonté du salarié qui, en principe, se soumet dans la relation de travail alors qu’ailleurs, elle s’engage (A. Supiot, Pourquoi un droit du travail ?, Droit social, 1990, 485 specialement p. 487). Assez souvent, la portée de la volonté du salarié est réduite par le droit du travail. Ainsi, lorsque la Cour de cassation décide qu’un salarié « ne peut valablement renoncer, tant que son contrat de travail s’exécute, aux droits qui résultent d’une convention collective » (Cass. soc., 13 nov. 2001). Curieuse géométrie variable : cette volonté ne peut être désavantageuse mais elle peut s’avérer suicidaire. Ainsi, la volonté du salarié serait faible dans sa relation avec l’employeur et puissante dans son rapport avec le médecin .
 

Dans le colloque singulier que constitue la relation patient/médecin, le nouveau rapport salarié/médecin de la santé au travail invite à l’analyse tant du rôle du médecin du travail (I) que du consentement du salarié (II).

 

I - Rôle du médecin de la santé au travail face au covid-19
 

Le métier de médecin du travail se confronte à deux droits fondamentaux (le droit au travail et le droit à la santé) et son rôle est de concilier les deux. Traditionnellement, les fonctions du médecin de la santé au travail sont celles de prévention et de contrôle. L’ordonnance (A) n° 2020-386 du 1er avril 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d’autorisation d’activité partielle entrouvre un peu la porte à une médecine de soins, en autorisant temporairement les prescriptions et le renouvellement d’arrêts de travail pour les salariés soupçonnés d'être atteints du covid-19 et la prescription de tests de dépistage du covid-19 (B).

 

A - Les missions traditionnelles de prévention et contrôle 
 

Les règles de base sont connues. Le médecin de la santé au travail doit :

  • évaluer le risque en vérifiant ou en faisant vérifier les conditions de mise en œuvre des mesures de prévention prescrites ;
  • délivrer toutes les informations au salarié concernant le risque de covid-19 et la vulnérabilité notamment ;
  • remettre un écrit résumant ces informations et éventuellement recueillir une signature de prise de connaissance (comme chirurgiens et anesthésistes le font quotidiennement), le garder dans le dossier médical et le tracer ;
  • mettre le curseur entre le droit à la santé et le droit au travail et donner un avis en toute objectivité compte tenu de la réglementation en vigueur et proposer des adaptations temporaires du poste vers un poste peu exposant ou pas exposant si possible ;
  • inscrire les règles de protection sur l’avis (article L.4624-6CT).
     

La mission principale du médecin du travail est de préserver la santé des tiers ; de plus, il doit également protéger la santé des travailleurs eux-mêmes. Or, la santé des travailleurs semble avoir été mise sous le boisseau sous le sceau du consentement éclairé.
 

On peut s’interroger sur une vision réductrice du champ de la mission du médecin du travail qui n’apparaît pas conforme au droit positif.
 

En effet, en 2014 et 2015, de nombreuses questions ont été soulevées sur la pertinence de l’aptitude et de son rôle préventif en santé au travail en préparation de la future réforme de la médecine du travail (loi El Khomri et décret en 2016).
 

Un rapport sur ce point précis, intitulé « aptitude et médecine du travail » a été rédigé à la demande de l’État et remis par Michel Issindou (député), Christian Plonton (DRH), Sophie Fantoni-Quinton (professeur de médecine du travail), Anne-Carole Bensadon et Hervé Gosselin (membres de l’IGAS) en mai 2015. L'une des propositions de la mission concerne l’aptitude qui ne devrait être réservée que pour les postes dits « de sécurité » mettant la sécurité des tiers en jeu :

« En conséquence, la mission propose de strictement limiter le contrôle de l’aptitude aux salariés qui occupent un poste de sécurité. Ce contrôle interviendrait avant l’embauche. Il serait ensuite renouvelé, à périodicité régulière, et serait opéré par un médecin distinct du médecin du travail qui assure le suivi habituel de l’état de santé au travail du salarié. La mission propose la définition suivante de ces postes : « les postes de sécurité sont ceux qui comportent une activité susceptible de gravement et de façon imminente mettre la santé d'autres travailleurs ou de tiers en danger, du fait de l'opérateur ». Les pilotes d’avion, les conducteurs de train, les grutiers entrent par exemple dans le cadre de cette définition ».
 

Dans sa recommandation n° 2, la mission recommande que les postes de sécurité soient définis et propose la définition suivante : « le poste de sécurité est celui qui comporte une activité susceptible de gravement et de façon immédiate mettre la santé d'autres travailleurs ou de tiers en danger, du fait de l’opérateur ».
 

Ce parallèle avec la situation des pilotes d’avion ou des conducteurs de trains entraînait de fait l’obligation de scinder la mission du médecin du travail en deux : le médecin du travail de prévention et le médecin de contrôle, ainsi que le Conseil d’État l'a décidé dans un arrêt en date 2006 (Conseil d’État, 7 juin 2006, n° 279632).
 

Force est de constater que cette recommandation n° 2 n’a pas été suivie par le législateur.
 

L’avis d’aptitude ou l’émission de contre-indications lors d’une visite d’embauche ou périodique vise à protéger le salarié lui-même et les tiers.
 

Réduire l’action du médecin du travail à la seule possibilité de veiller à ne pas porter atteinte à la santé et sécurité des tiers constituerait une remise en question du droit actuel.
 

Pour illustrer ce constat, il suffit d’évoquer le classement en risques particuliers selon l’article R4624-22 du code du travail, des travailleurs étant amenés à soulever des charges excédant 55 kg. Peut-on imaginer que cette disposition ne viserait qu’à protéger les tiers alentour qui risqueraient de malencontreusement recevoir ladite charge sur les métatarses ?
 

L’article R4624-22 du code du travail supprime d’ailleurs toute incertitude sur la question. il énonce que :
 

« Tout travailleur affecté à un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité ou pour celles de ses collègues ou des tiers évoluant dans l'environnement immédiat de travail défini à l'article R. 4624-23 bénéficie d'un suivi individuel renforcé de son état de santé, selon des modalités définies par la présente sous-section ».

De son côté, l’article R4624-24 prévoit un examen d’aptitude préalable à l’affectation sur le poste qui a bien pour objet de notamment « s’assurer que le travailleur est médicalement apte au poste auquel l’employeur envisage de l’affecter ».


La protection de la santé du salarié est une préoccupation constante dans les textes qui définissent la fonction. Il suffit pour s’en convaincre de se référer aux articles suivants...
 

L’article L4622-2 du code du travail prévoit que les services de santé au travail ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. À cette fin, ils :
 

1° mènent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;
 

2° conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d'éviter ou de diminuer les risques professionnels, d'améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir le harcèlement sexuel ou moral, de prévenir ou de réduire les effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4161-1 et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l'emploi des travailleurs ;
 

3° assurent la surveillance de l'état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur santé au travail et leur sécurité et celle des tiers, des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4161-1 et de leur âge ;
 

4° participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.

 

L’article L4622-3 énonce que le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d'hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé, ainsi que tout risque manifeste d'atteinte à la sécurité des tiers évoluant dans l'environnement immédiat de travail.
 

Il paraît ainsi que la recommandation n° 2 du rapport d'aptitude de 2015 n’a pas été retranscrite dans les textes de droit positif et que, par conséquent, il n’est pas possible de réduire la possibilité d’action du médecin du travail dans la problématique des gens vulnérables vis-à-vis du covid-19 à la seule hypothèse que ce salarié soit contaminé, contaminant et à risque pour la santé et la sécurité des tiers.

 

B -  Le droit de prescrire des arrêts de travail

 

Le droit temporaire à prescrire un arrêt de travail par le médecin du travail pour les salariés « soupçonnés » d’être atteints par la covid-19.


Le médecin du travail est un médecin de prévention et non un médecin de soins. Il ne peut donc pas prescrire de soins, sauf pour lui-même et ses proches. Pour cette raison, il n’a pas accès au dossier médical partagé car il ne partage pas le secret médical avec les médecins traitants. Cette « interdiction de soins » est source de frustration pour les médecins du travail dont tout le cursus médical avant spécialité se base sur la prescription.
 

Les internes en médecine du travail (ANIMT) appellent d’ailleurs ce droit à prescrire de leurs vœux. Le rapport du Sénat n° 10 (2019-2020), « Pour un service universel de santé au travail » en date du 2 octobre 2019, transcrit ce souhait dans sa proposition n° 20. On y trouve en effet le souhait d’« autoriser les médecins du travail à prescrire dans le cadre strict de l'exercice d'une spécialité complémentaire transversale étroitement liée à la prévention (allergologie, addictologie, nutrition, médecine du sport...) ».
 

L’ordonnance n° 2020-386 du 1er avril 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d’autorisation d’activité partielle amorce un potentiel virage, en autorisant de façon temporaire les prescription et le renouvellement d’arrêts de travail pour les salariés soupçonnés d'être atteints du covid-19 et la prescription de tests de dépistage du covid-19.


L’article 2 de ladite ordonnance prévoit en effet que :

« I.-Par dérogation à l'article L. 321-1 du code de la Sécurité sociale, le médecin du travail peut prescrire et, le cas échéant, renouveler un arrêt de travail en cas d'infection ou de suspicion d'infection au covid-19 ou au titre des mesures de prévention prises en application de l'article L. 16-10-1 du même code.
II.-Le médecin du travail peut procéder à des tests de dépistage du covid-19 selon un protocole défini par arrêté des ministres chargés de la santé et du travail.
III.-Un décret détermine les conditions d'application du présent article
 ».

 

Le décret n° 2020-549 du 11 mai 2020 fixant les conditions temporaires de prescription et de renouvellement des arrêts de travail par le médecin du travail est en demi-teinte car s’il décline le droit à prescrire les arrêts de travail, il « oublie » le droit à prescrire les test de dépistage, ce qui enlève une partie de l’intérêt au droit à prescrire les arrêts de travail.
 

Ce recul est sans doute à mettre en relation avec le rôle pivot donné aux médecins traitants dans la gestion des cas dits de contacts.
 

L’article 1 du texte énonce en effet que :

« I. - Le médecin du travail peut délivrer les arrêts de travail mentionnés au I de l'article 2 de l'ordonnance du 1er avril 2020 susvisée pour les salariés de droit privé des établissements dont il a la charge, atteints ou suspectés d'infection au covid-19, ou faisant l'objet de mesures d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile au titre des mesures prises en application de l'article L. 16-10-1 du code de la Sécurité sociale à l'exclusion des salariés mentionnés au quatrième alinéa du I de l'article 20 de la loi du 25 avril susvisée.
II. - 1° Le médecin du travail établit, le cas échéant, la lettre d'avis d'interruption de travail du salarié concerné selon le modèle mentionné à l'
article L. 321-2 du code de la Sécurité sociale. Il la transmet sans délai au salarié et à l'employeur concerné. Le salarié adresse cet avis, dans le délai prévu à l'article R. 321-2 du même code, à l'organisme d'assurance-maladie dont il relève ».
 

Cette dérogation met le médecin du travail dans une situation un peu bancale puisqu’il n’a pas accès au DMP, il n’a pas le droit de prescrire les tests de dépistage du covid-19 dans la cadre des prescriptions remboursables par l’Assurance-maladie mais il en a parfaitement la faculté dans son droit à prescrire des examens complémentaires dans le cadre de l’article R.4624-35 du code du travail, notamment dans son article 3. Celui-ci prévoit bien que le médecin du travail peut réaliser ou prescrire les examens complémentaires nécessaires :


1° à la détermination de la compatibilité entre le poste de travail et l'état de santé du travailleur, notamment au dépistage des affections pouvant entraîner une contre-indication à ce poste de travail ;


2° au dépistage d'une maladie professionnelle ou à caractère professionnel susceptible de résulter de l'activité professionnelle du travailleur ;


3° au dépistage des maladies dangereuses pour l'entourage professionnel du travailleur.
 

La transmission de la lettre d’avis d’interruption de travail sans délai au salarié et à l’employeur pose la question du consentement du salarié.

 

II -  Le consentement du salarié

 

Volonté, consentement et échange : ces de termes méritent d’être précisés tant les concepts qu’ils recouvrent sont présents dans les relations salarié-employeur et dans les rapports salarié-médecin du travail.
 

Essentiellement doctrinale entre la volonté et le consentement, la distinction trouve sans doute ici matière à réflexion. On la doit à M.-A. Frison-Roche pour qui « par la volonté, la personne manifeste sa puissance et sa capacité à poser à elle-même sa propre loi et sa liberté. Tandis que le consentement est signe d’une sorte de capitulation. (...) Consentir, c’est admettre, donner son assentiment, c’est-à-dire baisser pavillon devant une assertion ou devant une autre personne ».  L’échange, lui, ne relève pas directement d’un processus de volition. C’est bien plutôt de dialogue contradictoire qu’il s’agit.

 

A - Consentement et échange
 

L’obligation de recueillir le consentement éclairé du salarié remet-il en question la possibilité pour le médecin du travail de contrarier la volonté du salarié vulnérable de s’exposer pour des raisons économiques ? On peut d’abord légitimement s’interroger sur l’existence réglementaire ou déontologique de cette obligation de recueil avant d’inviter le médecin du travail à prendre toute décision en ce sens. La recherche par mot clef dans l’intégralité du code du travail de l’expression « consentement éclairé » s’avère vaine. Le code du travail prévoit en revanche une obligation d’échange entre le médecin du travail et le salarié d’une part et l’employeur d’autre part. 
 

L’article L4624-3 prévoit en effet que « le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l'employeur, des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur ».
 

De son côté, l’article L4624-4 surenchérit quant à l’échange, en prévoyant que :
 

« Après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l'équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l'employeur, le médecin du travail qui constate qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d'indications relatives au reclassement du travailleur ».
 

Dans le même ordre, l’article R4624-42 insiste aussi sur cette nécessité d’un « échange » en énonçant, à propos de la constatation d’inaptitude que « le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :


1° s'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;


2° s'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;


3° s'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;


4° s'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.


Ces échanges avec l'employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser
 ». 

 

Force est donc de constater que si les échanges sont obligatoires pour le médecin du travail afin de se forger une vision objective de la situation, aucun consentement éclairé du salarié n’est requis.
 

Certes, on connaît la place du consentement éclairé dans le droit de la santé.
 

Article L1111-2 du code de santé publique
 

« Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l'une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
 

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.
 

Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel.
 

La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission.

Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l'information prévue par le présent article, sous réserve des articles L. 1111-5 et L. 1111-5-1. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée soit à leur degré de maturité s'agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s'agissant des majeurs sous tutelle.
 

Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé.
 

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.


L'établissement de santé recueille auprès du patient hospitalisé les coordonnées des professionnels de santé auprès desquels il souhaite que soient recueillies les informations nécessaires à sa prise en charge durant son séjour et que soient transmises celles utiles à la continuité des soins après sa sortie ».
 

L’article 35 code de déontologie médicale (article R.4127-35 du code de santé publique) prévoit de son côté que :  

« Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.

Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination.

Un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite ».


Dans le même ordre, l’article 36 (article R.4127-36 du code de la santé publique) énonce que :
 

« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.
Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.
Si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou l'un de ses proches n'ait été prévenue et informée, sauf urgence ou impossibilité.
Les obligations du médecin à l'égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l'article R. 4127-42
 ».

 

Nous retrouvons ce souhait de consentement éclairé du salarié pour tout avis du médecin du travail dans le rapport de 2015 sur l'aptitude.

 

Extrait :

Naturellement, dans l’action de conseil du médecin du travail, ce dernier doit systématiquement rechercher le consentement éclairé du salarié sur les mesures qu’il préconise, à la différence du cadre d’une médecine de contrôle dans lequel il s’agit pour le médecin de vérifier que l’état des santé du salarié satisfait à un certain nombre de critères préalablement définis en fonction des exigences du poste de travail ou du métier.
 

Il existe une logique certaine dans la philosophie du rapport qui partage la médecine de prévention qui est celle de l’information et celle du contrôle (aviation civile et circulation routière et ferroviaire) qui serait celle dédiée à la sécurité des tiers, la médecine d’aptitude sécuritaire d’aptitude.
 

Pourtant, le législateur n’a pas choisi cette voie. Tout d’abord, l’article 36 du code de déontologie médicale se cantonne à la maladie et non à tous les actes de prévention.


L’article 35, lui, oblige le médecin à délivrer une information au patient et, bien sûr, au salarié.


« Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état ».
 

Il importe de distinguer la médecine de soins de la médecine du travail sur un point particulier : le médecin du travail ne peut définitivement contraindre le salarié à suivre ses avis (aussi bien préconisations qu’avis d’inaptitude) puisqu’il existe un droit au recours institutionnalisé par l’article R4624-45 du code du travail. L’expertise qui s’ensuivra, en toute impartialité, permettra de corriger des avis inappropriés.
 

L’information nécessaire du salarié est, bien entendu, indispensable et sacralisée ; c’est une obligation déontologique de chaque médecin.
 

Pour autant, les dispositions actuelles du code du travail n’imposent pas le consentement éclairé du salarié comme un préalable à tout avis du médecin du travail. Le droit au recours préserve les droits du salarié contre tout excès. Le législateur, lui, a exigé des échanges loyaux entre le médecin du travail et les deux parties : salarié et employeur préalablement à tout avis restreignant le champ de l’aptitude ou imposant des aménagements de poste.
 

Si ce consentement éclairé était effectif en droit du travail, le médecin du travail ne serait que le scribe des volontés du salarié. La possibilité de recours contre les avis du médecin du travail n’aurait de sens qu’à l’initiative de l’employeur puisque le salarié « éclairé » dicterait sa volonté au médecin du travail.
 

Ce qui serait particulièrement problématique (en particulier dans la problématique de l’inaptitude) puisque rien ne pourrait s’opposer à la volonté du salarié indemne de toute pathologie de l’exiger du médecin du travail piétinant l'impartialité ou l'art médical.
 

Objectivité et impartialité sont les clefs de voûte de l’action du médecin du travail, seul à pouvoir s’immiscer dans la relation contractuelle liant le salarié et l’employeur dans le champ réduit de la santé et du handicap.
 

Il est important de souligner que si la mission du médecin du travail est de protéger la santé des salariés cette mission passe par un avis qui est contraignant pour l’employeur et qui est susceptible de lui faire grief.
 

Rappelons que si, de façon réitérée, l’employeur refuse de mettre les avis et préconisations du médecin du travail en œuvre alors qu’il n’a pas contesté ces derniers, il fait preuve de harcèlement moral (Cass. soc.; 11 mars 2015, n° 13-18.603, droit ouvrier, novembre 2015, n° 808). L’inobservation des préconisations et restrictions des fiches d’aptitudes avec réserves (Refus réitéré d’adaptation du poste de travail et harcèlement moral, par Alain Chirez, professeur des universités et avocat honoraire au Barreau de Grasse, et Christian Expert, médecin du travail et vice-président du SGMT CFE-CGC).


Cette obligation d’impartialité nous paraît incompatible avec l’exigence de consentement éclairé de la part du salarié dans l’environnement contractuel qui lie employeur et salarié.
 

Dans sa relation avec le secret, l’exigence du consentement du salarié paraît également peu adaptée au bon déroulement de la mission du médecin du travail.
 

B - Consentement et secret
 

La question qui se pose est la suivante : la transmission de la lettre d’avis d’interruption de travail sans délai au salarié et à l’employeur ne pose-t-elle pas un problème de déontologie médicale ?
 

Cette question a été posé au CNOM qui a apporté la réponse suivante aux organisations syndicales représentatives de la profession le 20 mai 2020 :
 

« En raison de la restriction de délivrance des arrêts de travail par les médecins du travail aux seuls cas de covid-19 ou suspects d’infection au covid-19 ou aux cas contacts et aux fins de garantir le secret médical dû au salarié, il sera conseillé de s’adresser prioritairement à son médecin traitant.
 

Lorsque ceci n’est pas possible, compte tenu du caractère très dérogatoire des modalités de transmission de l’arrêt de travail à l’employeur, le CNOM recommande que le médecin du travail ne transmette l’arrêt de travail à l’employeur qu’avec le consentement du salarié dûment formalisé dans le dossier de celui-ci ».
 

Cette recommandation du CNOM, qui modifie les termes du décret en introduisant une clause supplémentaire place le médecin du travail dans une situation impossible, en pleine injonction paradoxale s’il n’obtient pas ce consentement.


En effet, si le salarié ne consent pas à cette transmission, le médecin du travail a deux options :
 

  • laisser le salarié suspect ou malade contaminer son environnement professionnel, se plaçant délibérément en situation illégale de mise en danger d’autrui aux côtés du salarié. Situation d’autant plus paradoxale que le gouvernement, dans son protocole national de déconfinement des entreprises pour assurer la santé et la sécurité des salariés en date du 9 mai 2020, (dans son chapitre VI : Protocole de prise en charge d’une personne symptomatique et de ses contacts rapprochés), prévoit le renvoi immédiat du salarié vers son médecin traitant pour une prise en charge sans délai ;
  • ne pas transmettre l’arrêt de travail et donner un avis d’inaptitude temporaire du fait de son obligation précédemment mentionnée de protéger le salarié et les tiers. Ce qui est un peu « étonnant », il faut bien le dire.
     

Il faut sans doute chercher la raison de cette introduction de consentement par le Conseil national de l’Ordre des médecins, dans l’évolution faisant du médecin du travail un « presque médecin traitant »  soumis, en cette qualité, à l’article 36 du code de déontologie médicale.

Ce mélange des genres rend la situation du médecin du travail assez inconfortable, « JANUS » insoutenable, prisonnier entre un rôle approchant celui de médecin de soins et celui de médecin de prévention.
 

Cette situation n’est pas sans rappeler l’ancienne fonction de médecin SNCF qui était à la fois médecin traitant « obligatoire » du cheminot et son médecin du travail.
 

En effet, pour bénéficier de soins pris en charge à 100 % par la Caisse de prévoyance des cheminots, les agents SNCF devaient autrefois obligatoirement consulter un médecin SNCF (dit « médecin d’établissement ») ayant alors cette double fonction.


« Les médecins d’établissement furent amenés à répartir leurs activités journalières en deux vacations : le matin était de préférence consacré à la médecine de soins (consultation consacrée aux agents se présentant spontanément pour motif de maladie ou d’accident (AT ou BHS) et le soir à la médecine du travail (agents convoqués pour subir des examens de santé ou de sécurité).
 

Les médecins recrutés pour exercer la médecine d’établissement étaient préférentiellement choisis parmi les titulaires du CES de médecine du travail (vite instauré après la Libération) ».
 

(Extrait de La médecine et les chemins de fer en France des origines à nos jours (1830-1995), Charles-Gérard Vaillant.)

 

En 1984, la « cellule ergonomique » a été créée (cette « cellule » est devenue « section ergonomie » deux ans plus tard). Le « libre choix » a alors été accordé aux cheminots en matière de « soins » (du moins à ceux qui en exprimaient le souhait). Ce libre choix n’était pas assorti du « tiers payant », d’où une certaine déception de la part de quelques syndicalistes. Ce « libre choix » ne touchait, en fin de compte, qu’une minorité significative d’agents.
 

Cette ambiguïté a été levée. Les cheminots bénéficient d’un médecin de prévention et sont, de surcroît, soumis aux visites médicales d’aptitude par un autre médecin dit « de contrôle » (depuis l’obligation de séparer la médecine de prévention de la médecine de contrôle introduite par l’arrêt du Conseil d’État, n° 279632 du 7 juin 2006). Ils peuvent se faire soigner par des médecins agréés SNCF (généralistes et spécialistes).

Ouvrir la porte de la prescription de soins aux médecins du travail fera automatiquement poser la question de l’ambiguïté soins/prévention et celui de l’accès au DMP, cette ambiguïté ayant abouti à la mise fin à la double ou triple casquette des médecins SNCF d’autrefois (soins, prévention et contrôle).
 

Si l’accès au DMP a été entrouvert par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé puisque, si le dossier médical en santé au travail doit être intégré au DMP, le médecin du travail n’a l’autorisation que d’y déposer des documents. Il n’a pas accès en lecture au reste du DMP. Ce souci de cloisonnement, d’étanchéité a bien été consolidé par ce dernier texte de santé publique.
 

Les textes d’exception concernant le covid-19 s’éteindront avec la fin du régime d’urgence sanitaire. Il n’en reste pas moins que cette réflexion d’une passerelle entre santé publique et de soins et la médecine du travail n’est pas close. Le ténu fil d’Ariane tressé par le covid-19 entre les deux a mis les difficultés et contradictions de ce rapprochement en exergue. Il est permis de souhaiter profiter de cette réforme annoncée de la santé au travail et de la santé publique pour retisser un lien bien plus solide, conforme à ce nouveau monde d'après covid-19 annoncé.
 

Le médecin du travail a pour mission d’éviter toute altération de la santé du salarié du fait du travail. Il a aussi un rôle d’éducation sanitaire, notamment de prévention des addictions.
 

Le médecin traitant, lui, a une mission de soins mais aussi, de plus en plus, une action de prévention : addictions, alimentation, pratique sportive et rôle fondamental dans la préservation de la santé et dans l’économie de la santé (on dit que dans la Chine millénaire, le médecin n’était payé que tant que son client restait en bonne santé).
 

La volonté de concilier santé publique et santé au travail est récurrente depuis des décennies. Les nécessités de rapprocher médecine du travail et la médecine de soins sont identifiées depuis longtemps (en particulier dans la prévention de la désinsertion professionnelle) et parsèment les rapports traitant de la médecine du travail.
 

De façon fugace, le covid-19 a permis de mêler les deux mondes, soulignant toutefois les épines juridiques parsemant le chemin de cette alliance qui peut, à certains égards, paraître contre-nature.
 

Mais le salarié patient est toujours et encore un. Le médecin qui l’assiste ne pourrait-il pas être un plutôt que double ou triple (soins, prévention et contrôle) ? Un retour vers le futur vers le médecin d’établissement SNCF, en quelque sorte ?
 

Plutôt que de battre en retraite devant des obstacles d’apparence insurmontables, tirons profit du moment d'exception qu'est la crise du covid-19. Santé publique et santé au travail : deux oppositions apparentes avec pourtant un même sujet humain, à la fois salarié et parfois patient.
 

Peut-être est-il temps de tirer l’épée pour trancher ce nœud gordien ?

Auteurs 

  • Professeur Alain Chirez, professeur des universités et avocat honoraire,
  • Docteur Christian Expert, deuxième vice-président (CFE-CGC) de la commission des AT/MP de la CNAM, expert près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et près la Cour administrative d’appel de Marseille.

 

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