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Index d'égalité professionnelle : véritable outil de mesure des écarts ou simple outil de communication pour les entreprises ?
L’index d'égalité professionnelle hommes-femmes est-il un outil qui vise à résorber les écarts de rémunération entre hommes et femmes ?
L’égalité de rémunération entre hommes et femmes est inscrite dans la loi depuis 1972. Pourtant, à travail de valeur égale, le salaire des femmes reste inférieur de 9 % à celui des hommes. Cet écart s’élève à 25 %, tous postes confondus et à 37 % au moment du départ à la retraite.
C’est dans ce contexte que la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé un index d’égalité professionnelle entre hommes et femmes qui met en place une obligation de résultats pour les entreprises.
Une obligation de résultats assortie de sanctions
L’index se compose de 5 indicateurs pour les entreprises de plus de 250 salariés et de 4 indicateurs pour les entreprises de moins de 250 salariés. Chacun de ces indicateurs est évalué et noté, le cumul des notes pouvant atteindre au maximum 100 points.
Si le résultat de l’entreprise s’avère inférieur à 75 points sur 100, des mesures de corrections sur 3 ans doivent être mises en œuvre ainsi que, le cas échéant, la programmation de mesures financières de rattrapage salarial (articles D. 1142-6 et L. 1142-9 du code du travail).
À défaut, l’entreprise risque une pénalité financière allant jusqu’à 1 % de la masse salariale à partir du 1er mars 2022 pour les entreprises de plus de 250 salariés et du 1er mars 2023 pour les entreprises de plus de 50 salariés.
Une obligation de publication et de communication aux IRP
La loi prévoit une obligation de publication de la note obtenue sur le site internet de l’entreprise, lorsqu’il en existe un, au plus tard le 1er mars de l’année en cours au titre de l’année précédente. À défaut, le résultat est porté à la connaissance des salariés par tout moyen (article D. 1142-4 du code du travail).
De plus, le résultat global et par indicateur doit être mis à la disposition du comité social et économique de l’entreprise. Les résultats sont présentés par catégorie socio-professionnelle, niveau ou coefficient hiérarchique ou selon les niveaux de la méthode de cotation des postes de l’entreprise. Si l’entreprise retient les catégories professionnelles classiques (ouvriers, employés etc.), elle n’a pas besoin de consulter le CSE.
Ces informations s'accompagnent de toutes les précisions utiles à leur compréhension, notamment relatives à la méthodologie appliquée, la répartition des salariés par catégorie socio-professionnelle ou selon les niveaux de la méthode de cotation des postes de l’entreprise et, le cas échéant, des mesures de correction envisagées ou déjà mises en œuvre.
Si certains indicateurs ne peuvent pas être calculés (voir infra), l’information du comité social et économique s'accompagne de toutes les précisions expliquant les raisons pour lesquelles les indicateurs n’ont pas pu être calculés.
L’ensemble de ces informations est également transmis à la DIRECCTE (article D. 1142-5 du code du travail).
À titre transitoire, la publication de l’index doit respecter le calendrier le suivant :
- avant le 1er mars 2019 pour les entreprises de plus de 1 000 salariés,
- avant le 1er septembre 2019 pour les entreprises de 250 à 1 000 salariés,
- avant le 1er mars 2020 pour les entreprises de 50 à 250 salariés.
Comment fonctionne l’index d'égalité professionnelle hommes-femmes ?
La note totale de l’index peut aller de 0 à 100 points. Elle correspond au cumul des notes obtenues sur chacun des indicateurs définis à l’article D. 1142-2 du code du travail. Plus les entreprises sont performantes sur ces indicateurs, plus elles obtiennent de points.
Ceux-ci sont évalués selon un barème et une méthodologie figurant dans le décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019 portant application des dispositions visant à supprimer les écarts de rémunération entre hommes et femmes dans l’entreprise et relatives à a lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail :
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2019/1/8/2019-15/jo/texte
Un simulateur en ligne est également disponible : https://index-egapro.travail.gouv.fr/
Premiers résultats
99 %
Sur 1 240 entreprises de plus de 1 000 salariés devant calculer et publier leur index d’égalité professionnelle, 99 % des entreprises ont rempli leur obligation. Toutes les entreprises n’ayant pas encore répondu ont été mises en demeure et encourent des sanctions.
Mi-septembre 2019, ce taux tombait à 68 % pour les entreprises de 250 à 1 000 salariés, pour lesquelles la date butoir de publication était le 1er septembre 2019.
83/100
C’est la note moyenne obtenue par les entreprises de plus de 1 000 salariés, celles entre 250 et 1 000 salariés atteignant une note de 82.
Pour les groupes du CAC 40, souvent composés de plusieurs entités, la note maximale obtenue est de 100 (Sodexho Hygiène et Propreté), la note minimum est de 51 (Renault Retail Group).
Au sein d’un même groupe, les notes peuvent varier sensiblement, selon les structures juridiques : ainsi, au sein du groupe Sodexho, pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, les notes vont de 79 à 100 et au sein du groupe Renault, elles oscillent entre 51 et 94. Certains groupes communiquent sur une note globale : il en est ainsi de LVMH (note moyenne de 90).
18 %
Une entreprise sur cinq de plus de 1 000 salariés a obtenu une note inférieure à 75/100. Ce taux est de 16 % pour les entreprises dont l’effectif est compris entre 250 et 1 000 salariés.
30 %
Près d’une entreprise sur trois ne respecte pas l’obligation légale d’augmenter leurs salariées au retour d'un congé maternité si leurs collègues occupant le même type de poste l’ont été.
50 %
Une entreprise sur deux compte au mieux une femme dans son top 10 des rémunérations. Ce taux est de 40 % pour les entreprises de 250 à 1 000 salariés.
De la possibilité d’obtenir les 75 points requis sans respecter la loi en vigueur
Le quatrième indicateur porte sur le taux de salariées ayant bénéficié d'une augmentation l'année suivant leur retour de congé de maternité si des augmentations sont intervenues durant la durée de leur congé. Le calcul est binaire : un taux de 100 % égale 15 points, un taux inférieur à 100 % ne donne aucun point.
En demandant aux entreprises de calculer le pourcentage de salariées de retour de congé maternité ayant bénéficié d’une augmentation, le postulat est fait que certaines peuvent ne pas appliquer une loi qui a été votée il y a de nombreuses années maintenant.
- Rappelons que l’article L. 1225-26 du Code du travail prévoit que, en l’absence d’accord collectif de branche ou d’entreprise sur le sujet, les femmes doivent bénéficier à leur retour de congé maternité d’une augmentation à hauteur de l’augmentation générale perçue par l’ensemble des salariés ainsi que de la moyenne des augmentations individuelles perçues par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle ou, à défaut, de la moyenne des augmentations individuelles dans l’entreprise.
Pire encore, par le mode de calcul de l’indicateur, qui porte sur le taux de salariées bénéficiaires d’une augmentation et non sur le pourcentage d'augmentation, il est possible d’avoir la note maximum, 15 points, alors que l’entreprise ne respecte pas ses obligations légales ! Il est également possible d’avoir la note de 75 points globalement requise…
Selon les premiers résultats de l’index, plus d'une entreprise sur quatre ne respecte pas son obligation légale d'augmenter les femmes à leur retour de congé maternité.
Une notation bien indulgente
Le premier indicateur, qui porte sur les écarts de salaires entre hommes et femmes, soulève une question sur plusieurs aspects alors qu’il s’agit de l’indicateur le plus important, avec plus de la moitié de la note minimale (40 points sur 75 requis).
- D’une part, l'entreprise peut déterminer la maille à laquelle elle analyse les différences de salaires entre hommes et femmes, après consultation du comité social et économique. L’article D. 1142-5 précise en effet : les résultats sont présentés par catégorie socio-professionnelle, niveau ou coefficient hiérarchique ou selon les niveaux de la méthode de cotation des postes de l’entreprise. Seuls les groupes comprenant au moins trois hommes et au moins trois femmes sont pris en compte.
- D’autre part, un seuil de pertinence est appliqué, atténuant les écarts. Ainsi, dans les groupes constitués par catégorie socioprofessionnelle, le seuil de pertinence des écarts est de 5 %. Dans les groupes constitués par niveau ou coefficient hiérarchique, le seuil de pertinence des écarts est de 2 %.
- De plus, la note est fonction de l’écart global et non des écarts par groupe d’analyse. Les écarts ainsi ajustés en fonction des seuils pour chacun des groupes sont multipliés par le ratio de l’effectif du groupe à l’effectif total des groupes pris en compte, puis additionnés pour obtenir l’écart global de rémunération entre hommes et femmes. Le résultat final est la valeur absolue de l’écart global de rémunération, arrondie à la première décimale. Il peut donc y avoir des écarts par groupe qui se compensent.
- Enfin, la note octroyée fait preuve d’une grande indulgence puisque, avec une différence de rémunération globale de 14 à 15 % après application du seuil de pertinence, les entreprises obtiennent 17 points sur 40 et sont encore à même d’atteindre les 75 points nécessaires si elles obtiennent le score maximum sur tous les autres indicateurs. Le zéro pointé n’est donné qu’en cas d’écart global de 20 % et plus…
Le deuxième indicateur, qui analyse les taux d'augmentations individuelles hommes-femmes, mesure la proportion de salariés augmentés et non le pourcentage d’augmentation octroyé. Dès lors que la même proportion d'hommes et de feommes a bénéficié d’une augmentation individuelle, peu importe que les uns aient bénéficié de 5 % en moyenne et les autres de 1 %, l’entreprise décroche la note maximale : 20 points. Ici aussi, même si l’entreprise se voit attribuer un zéro pointé du fait d’un écart de taux supérieur à 10 points, elle peut quand même obtenir les 75 points nécessaires au total. De plus, seuls les groupes comprenant 10 hommes et 10 femmes a minima sont pris en compte, ce qui limite la portée de l’analyse.
La même remarque peut être faite pour le troisième indicateur, qui compare les taux de promotions. Peu importent les augmentations obtenues, il suffit que le nombre de salariés promus rapporté au nombre total de salariés de chaque genre soit sensiblement identique, quel que soit le pourcentage d’augmentation afférent. Précisons que la notion de promotion retenue ici est celle de passage à niveau ou un coefficient hiérarchique supérieur. Or, chacun sait que, dans un certain nombre de cas, le passage au coefficient supérieur peut se faire sans augmentation aucune… Ici aussi, seuls les groupes comprenant a minima 10 hommes et 10 femmes sont pris en compte, ce qui limite la portée de l’analyse.
Quant au cinquième indicateur, qui concerne le nombre de salariés du sexe sous-représenté parmi les dix plus fortes rémunérations, force est de constater qu’avec seulement deux femmes parmi les dix premières rémunérations, l'entreprise obtient 5 points sur 10. Peu importe que les femmes représentent 20 % ou 45 % des effectifs de l’entreprise.
Enfin, dernière limite concernant l’indicateur dans son ensemble, les textes prévoient que les indicateurs puissent ne pas être calculables :
- pour le calcul de l’indicateur 1, si l’effectif total retenu, en application des modalités de calcul définies, est inférieur à 40 % de l’effectif devant être pris en compte pour le calcul de l’ensemble des indicateurs ;
- pour le calcul des indicateurs 2 et 3, soit parce qu’aucune promotion ou aucune augmentation individuelle n’est intervenue au cours de la période de référence annuelle considérée, soit parce que l’effectif total retenu est inférieur à 40 % de l’effectif devant être pris en compte pour le calcul de l’ensemble des indicateurs ;
- pour le calcul de l’indicateur 4, parce qu’aucun retour de congé maternité n’est intervenu au cours de la période de référence annuelle considérée ou qu’aucune augmentation n’est intervenue durant la durée de ces congés.
Dans ce cas, les autres indicateurs sont calculés. Le nombre total de points ainsi obtenu est ramené sur cent en appliquant la règle de la proportionnalité. Mais, dès lors que le nombre maximum de points pouvant être obtenus au total par l’entreprise, avant application de la règle de la proportionnalité, est inférieur à soixante-quinze points, l’index est considéré comme ne pouvant être déterminé pour la période de référence et l’entreprise est dispensée de l’obligation de corriger les écarts dans le délai de trois ans.
Nous conclurons notre analyse par une remarque sur le seuil global de 75 points pris en compte. Pourquoi 75 et pas 100 points alors que la ministre évoque une obligation de résultats ? Une entreprise qui obtiendrait la note maximale sur les trois premiers indicateurs et 0 sur les deux derniers respecterait quand même le seuil de 75 points et ne serait tenue à aucune amélioration en la matière. A minima, une note de 0 sur l'un des indicateurs devrait déclencher une sanction au bout des trois ans.
Par ailleurs, lorsque l’on constate qu’un quart des entreprises ne respecte pas la législation sur les augmentations au retour de congé maternité, on ne peut que s’interroger sur le pouvoir coercitif des sanctions prévues, même si le ministère indique que 7 000 contrôles sur le thème de l’égalité professionnelle sont prévus par an et que 4 200 ont déjà eu lieu au premier semestre 2019, assortis de 18 mises en demeure de publication de l’index et de l’engagement d’une procédure de pénalité, l’entreprise ayant depuis régularisé sa situation.
De l’importance de la négociation sur l’égalité professionnelle
Si nous ne pouvons que souscrire aux objectifs qui président à la mise en place de cet index, nous ne pouvons aussi qu’être déçus par ses modalités de mise en œuvre, qui risquent de tourner à l’opération de communication pour les entreprises plutôt que de donner lieu à un véritable plan d’actions pour résorber les écarts hommes-femmes.
Au-delà, nous devons prendre garde aux phénomènes qui peuvent être induits par la publication d’un tel index : des entreprises qui n’auront pour objectif principal que l’amélioration de leur note, alors que de nombreux facteurs d’inégalité ne figurent pas dans l’index : montant des augmentations, accès à la formation, temps partiels subis etc.
C’est pourquoi il est essentiel que les organisations syndicales s’impliquent dans les négociations sur le sujet, dont la périodicité est annuelle, sauf accord fixant une périodicité pluriannuelle (maximum 4 ans). L’égalité professionnelle peut être traitée à la fois lors de :
- la négociation sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée, notamment sur le sujet des salaires effectifs, qui peut comporter un volet relatif aux écarts de rémunération et d’évolution de carrière entre hommes et femmes ;
- la négociation sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, qui porte entre autres sur :
- les objectifs et les mesures permettant d’atteindre l’égalité professionnelle, notamment en matière de suppression des écarts de rémunération, d’accès à l’emploi, de formation professionnelle, de déroulement de carrière et de promotion professionnelle ;
- les conditions de travail et d’emploi ;
- les conditions de la mixité des emplois.
Avant d’entamer ces négociations, il est essentiel de réaliser un état des lieux objectif et exhaustif et de définir les priorités. Votre expert peut vous y aider, en vous accompagnant dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, mission qui demeure financée par l'entreprise à 100 %.
Vous pouvez également faire appel à l’expert en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de plus de 300 salariés, expertise financée à hauteur de 20 % par le CSE et 80 % par l’entreprise.