La formation : une retraite pour les travailleurs ?
La retraite va être une nouvelle fois réformée en France, les régimes spéciaux (42) n'en formeront plus qu'un et les salariés acquerront des points (et non plus des trimestres) pour prétendre à une retraite.
Ce mécanisme de compteur retraite ressemble terriblement à celui mis en oeuvre (laborieusement) depuis 2015 pour la formation avec un Compteur Personnel de Formation (CPF) et un opérateur unique (la CDC) qui transforment l'éducation des travailleurs en une retraite des apprentissages (on se retire pour apprendre).
Le CPF : la retraite de la formation ?
Si le mécanisme de la retraite est largement partagé dans le monde depuis plus d'un siècle : avoir travaillé suffisamment longtemps pour prétendre à se reposer et bénéficier d'une rente (la pension) jusqu'à la fin de ses jours, en matière de formation (et donc d'activité éducative) ce mécanisme de stockage de droits interroge sur la capacité de la société française à s'insérer dans le travail et les transformations du XXIe siècle (numérisation, globalisation, mondialisation, transformation environnementale...).
Le DIF était lié au contrat de travail et à un employeur
Tant que le droit à la formation (DIF) relevait de l'entreprise et du contrat de travail il était finançable, juste et équilibré.
Au sein d'une même entreprise un salarié pouvait se former 20 h par an sur son initiative (partagée avec l'employeur) et ce droit pouvait être cumulé (chez le même employeur) sur 6 années soit 120 h au maximum.
Rappelons que c'était le seul employeur qui était responsable de la gestion du DIF, de sa réalisation et de son financement (L'OPCA pouvant simplement le financer sur la professionnalisation ou des pénalités dues en cas d'absence de formation).
Depuis 2015 avec le CPF, la complexité est devenue croissante et rend le système illisible et incapable
Ce n'est plus l'employeur qui est responsable et garant de la formation mais l'OPCA (jusqu'en 2018) et bientôt l'Etat via la Caisse des dépôts et consignations.
Afin de "sécuriser" le salarié (et désormais tous les travailleurs) on a décidé que le CPF serait portable (et porté) tout au long de la vie professionnelle via un système complexe de comptage :
- d'abord des heures à géométrie variable (24, puis 12 puis 6 heures pour parvenir au plafond de 150 heures)
- une acquisition variant en fonction du niveau d'éducation du titulaire d'un compte (48 heures par an et un plafond de 400 heures pour les non-diplômés)
- une acquisition qui est passée d'heures (24 par an) aux euros (500 par an) en 2019 avec des règles qui ont changé au passage : acquisition pleine pour les salariés même à mi-temps, 800 € par an et 8 000 € de plafond pour les non qualifiés
- une monétisation (passage des anciennes heures au nouveau décompte en euros) sur une base symbolique de 15 € par heure (on a évité de peu un ridicule 14,28 €/h).
- des heures de DIF passées elles-aussi en euros de CPF mais qui doivent (devraient) s'éteindre dans 18 mois (le 31/12/2020)
- une acquisition qui demeure en heures pour les 6 millions de fonctionnaires
- une comptabilisation qui demeure dans le giron de la CDC qui gèrera et financera l'intégralité de 33 millions de comptes en 2020 (ou à la St Glin Glin)
- un CPF englobé dans un CPA (Compte Personnel d'activité) qui comprend donc le CPF, le CEC (compte d'engagement citoyen pour les bénévoles avec 320 € par an pendant 3 ans) et l'ancien compte pénibilité devenu CPP : Compte professionnel de prévention.
- une comptabilisation qui demeure en heures pour les seuls fonctionnaires (impossible de provisionner 500 € de CPF par fonctionnaire pour les administrations).
La formation et l'éducation en France : Open bar jusqu'à 25 ou 30 ans (système scolaire + universitaire gratuits) ensuite usines à gaz de 30 à 65 ans
En faisant passer le Droit à la formation vers un système de comptage formation l'Etat et les partenaires sociaux ont transformé un droit légitime des adultes (à la qualification, à l'instruction) en un pseudo système d'épargne formation qui présente quatre sortes de défauts
A) il assimile la formation (depuis qu'elle est monétisée) à une épargne (de précaution) que la plupart des travailleurs se contenteront de stocker (en cas de coup dur, c'est à dire qu'ils attendraient de se retrouver au chômage pour se former)
B) il transforme la dynamique éducative (je me forme tout au long de la vie et tout au long de l'année) en une entreprise de stockage de droits. Les connaissances, les compétences ne sont plus des expériences et des savoirs qui se construisent chaque jour mais des stocks (des titres, des référentiels) qui servent à boucher des trous (de compétences, de connaissances).
C) il imite le système de retraite où l'on arrête de travailler quand on a acquis (pour la vie restante) assez de droits (en points désormais) alors que le travail et l'activité professionnelle n'ont ni bornes ni limites précises (de lieux, de temps, d'actions).
D) il participe de la procrastination généralisée d'un monde du travail figé dans ses modèles industriels du passé (le titre, la grille, le statut, le référentiel, la qualification).
De la vitesse dépend et dépendra l'activité professionnelle
Au XIXe siècle la France était passé de la traction animale à la vapeur puis aux transports rapides, au XXe siècle le monde du travail était devenu industriel avec pour moteur le pétrole mais un rythme toujours mesuré dans le changement. Aujourd'hui le monde est devenu un village planétaire dans lequel l'information et les connaissances circulent à la vitesse des électrons. Si la 4G (4ème génération de téléphonie portable) a développé le travail et le commerce à distance, la 5G propulsera 10 fois plus vite l'information, la connaissance, les compétences à la surface de la terre. Le train de sénateurs des réformes, des compteurs formation, du système de statuts, de qualification, de reconnaissance professionnelle est dépassé,.
C'est en allant (et en apprenant) de plus en plus vite qu'on gardera sa place professionnelle et un système basé sur la rente (éducative), des compteurs ou des droits acquis ne peut plus offrir d'avenir aux travailleurs.