Participatif
ACCÈS PUBLIC
07 / 01 / 2019 | 64 vues
Jean-Louis Lascoux / Membre
Articles : 25
Inscrit(e) le 06 / 04 / 2010

Quel féminin pour la profession de médiateur ?

Lors du travail réalisé pour permettre aux médiateurs professionnels d’avoir une entité officiellement reconnue pour l’exercice de la médiation de la consommation, un échange est survenu avec des représentants de la DGCCRF en charge du secrétariat de la CECMC, sur le féminin de « médiateur ». Selon eux, le féminin qui doit être utilisé est « médiatrice » tandis que nous utilisons « médiateure ». En effet, dans le cadre de la formation de l’Ecole professionnelle de la médiation et de la négociation (EPMN) et de l’organisation de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation (CPMN), le choix s’est arrêté sur le féminin de « médiateure ». J’en viens donc à justifier la légitimité du choix de « médiateure » et, par la même occasion, de « médiateure professionnelle ».

« Médiateure », un usage qui remonte au moins au XVIe siècle

Le sens du substantif « médiation » n’est plus le même qu’aux siècles précédents et il continue d’évoluer. La médiation s’est professionnalisée.

Comme il existe des journalistes professionnels, des photographes professionnels et des sportifs professionnels, il existe désormais des « médiateurs professionnels ».

Conserver le féminin « médiatrice » pour les tiers féminins exerçant dans le champ de la médiation professionnelle, c’est maintenir une terminologie inadaptée dans un champ nouveau. L'expression « médiateure professionnelle » a été retenue par les femmes en exercice membres de la première organisation syndicale professionnelle (la CPMN), depuis 2007. Elles ont alors considéré que c'est l'une des manières de se distinguer de l'usage de « médiatrice », relié aux pratiques traditionnelles de la médiation, assimilée à la pratique de la conciliation et souvent à celle de l’arbitrage, ne serait-ce qu’avec les modes alternatifs de règlement des conflits (MARC/ADR).

De plus, la « médiatrice » en géométrie a une proximité phonétique de laquelle « médiateure » permet de se dégager. Son utilisation métaphorique a de quoi générer des confusions posturales avec l'activité moderne des médiateurs professionnels.

Grammaticalement, les règles de féminisation ne suivent pas une rigueur suffisante pour être opposées. À celui qui prétexte d’un précédent avec « formateur et formatrice », il est judicieux de signaler « amateur et amateure » et d’indiquer que c’est aussi précisément de ce dilettantisme que la profession de médiateur veut se distinguer.

Il convient aussi de souligner que l’usage du féminin « médiateure » n’est pas nouveau. Il est déjà signalé dans un texte du tout début XVI° siècle, cité dans le dictionnaire de Frédéric Godefroy.

MEDIATEURE,S. F., intermédiaire :
Pleure, dolente femme, pleure.
Et de pleurs tout ton corps espleure
D'avoir esté mediateure
Du serpent et intercesseure
Envers moy, pour moy décevoir,
Mist. Du Viel test.,1605.A.T.


Ce texte est repris par le linguiste Bernard Cerquiglini, dans son ouvrage Le/La ministre est enceinte ou la grande querelle de la féminisation des mots (Seuil, 2018). L’auteur produit une liste importante de masculins en « -eur » et des explications, en accordant l’incertitude et le droit à l’usage, mais « médiateure » est bien dans la liste incontestable.

En ce sens, l’Académie Française indique sur son site internet que les choix terminologiques correspondent « aux nouvelles réalités d’un domaine déterminé d’une profession » et relève des choix des professionnels eux-mêmes.

La médiation professionnelle : des compétences performantes pour la vie en société

Quel mot, autre que « médiateure », peut mieux désigner une femme qui intervient en tant que professionnelle de la médiation ?

La « médiation professionnelle » n’est pas la « médiation » pratiquée par les promoteurs de la pratique dite interdisciplinaire, composée de droit, de morale et de psycho-sociologie. Cette forme de médiation, que l’on retrouve dans l’ensemble du réseau chapeauté par l’Institut Catholique de Paris (ICP-IFOMENE), est dans la lignée des interventions traditionnelles. Elle est de type ponctuel et associée aux bonnes œuvres d'un bienfaiteur, à la bienveillance diplomatique, aux bons offices d'un samaritain, au bon sens arbitral... Ici, l’intermédiaire aurait des qualités intimes, voire innées, soit un don à cultiver ; c’est une affaire de main de fer et de gant de velours.

La technicité de la médiation professionnelle est sur un tout autre registre. D’abord, elle n’est pas gestionnaire de l’adversité, elle est promotrice de l’altérité ; elle n’est pas explicative mais implicative ; elle n’est pas fondée sur des fictions intellectuelles, elle est rationnelle… Bref, la « médiation professionnelle » est néosémique ; c’est un apprentissage de l’ingénierie relationnelle, centré sur un paradigme, celui de l’entente et de l’entente sociale. Elle a un champ lexical et terminologique.

Ainsi, le féminin « médiateure », outre qu’il est fondé historiquement et grammaticalement, doit aujourd’hui permettre de marquer la spécificité professionnelle. En effet, il ne s’agit pas d’un barbarisme, ni d'un néologisme fantaisiste, mais bien d’un mot du vocabulaire dont le sens était plus précis que « médiatrice », puisqu’il était déjà utilisé comme synonyme d’intercesseure.

Un groupe d’experts pour la terminologie et la néologie en médiation

Pour poursuivre le travail amorcé ici, il paraît nécessaire qu’une commission spécialisée de terminologie et de néologie pour la médiation soit mise en place, dans le cadre des travaux d’enrichissement de la langue française.

Dans tous les cas, avec la « médiation professionnelle », il s'agit d'une nouvelle posture, de nouvelles pratiques, de nouvelles compétences et d'un nouveau paradigme. Donc, il convient de déconfusionner.

Certains vont pouvoir dire que nous sommes en médiation, alors l'usage de plusieurs mots peut être tout à fait acceptable et c’est bien de cela qu’il s’agit :

  • les médiateurs professionnels sont formés à l’EPMN, ils ont acquis des compétences en ingénierie relationnelle. Ils sont titulaires du CAP’M et exercent dans le cadre du code d’éthique et de déontologie de la médiation et sont donc membres de la CPMN. Le féminin est ainsi médiateures professionnelles ;
  • les médiateurs sont issus de tous les autres centres de formation. Le féminin est ainsi médiatrice.

« Médiateure professionnelle », praticienne d’une discipline nouvelle

L’héritage culturel a fait passer la médiation d’une conception d’intercession, de diplomatie, d’arrangement, de conciliateur et d’arbitre à une élaboration méthodologique, dotée d’une ingénierie.

Au XXIe siècle, la « médiation professionnelle » est de plus en plus présente dans notre société. Elle concurrence les pratiques autoritaires de « gestion des différends ». Elle favorise leur résolution de manière pérenne. Elle offre une alternative au modèle du contrat social associé à la servitude volontaire, celui de l’entente sociale, associé à la qualité relationnelle. Après avoir conquis de nombreux champs d’application, la médiation professionnelle avec ses préalables et dispositifs obligatoires, en viendra à la proposition soutenue par les médiateurs professionnels, celui du « droit à la médiation ».

C’est cette originalité professionnelle, cette novation sociétale et cette impulsion culturelle qui filtrent à travers l’usage du féminin « médiateure professionnelle » ; c’est pourquoi il a été adopté par l’ensemble de ceux qui ont fondé la profession de médiateur, en proposant aux citoyens d’appeler « médiateures professionnelles », les femmes de la CPMN auxquelles ils auront recours pour les aider dans la conduite de leur projet relationnel.

Pas encore de commentaires