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Accessibilité numérique : qu'attendons-nous ?
Pas une fin d'année ne se passe sans prix, trophées en tout genre, récompensant les meilleurs sites web de tel ou tel secteur. Mais combien de ces lauréats produisent des sites ou applis accessibles au plus grand nombre ? Si aucun chiffre officiel n'est disponible, en parcourir ne serait-ce qu'une dizaine, au hasard, vous donnera un indice sur le manque criant de prise en compte de ce qui relève bien plus du bon sens que de l'empathie ou de la norme.
L'accessibilité numérique : c'est quoi, c'est pour qui et à quoi ça sert ?
Pour faire court et simple, l'accessibilité numérique consiste à respecter des règles et recommandations universelles (un petit tour sur le site du W3C et ses WCAG 2.0 pour les curieux...) facilitant l'accès à l'information. Concrètement, cela concerne tout le monde. La preuve ? Imaginez-vous à la maison, tranquillement installé dans votre fauteuil (il peut être roulant, peu importe) avec l'envie soudaine de consulter internet et ses multiples ressources en ligne pour savoir combien de pattes possède vraiment un mille-pattes. Vous êtes face à votre ordinateur. Vous parvenez à l'allumer sans difficulté, entrez votre mot-de-passe, ouvrez votre navigateur (pas IE, un navigateur...), tapez « combien de pattes a un mille-pattes » dans votre moteur de recherche, vous vous apprêtez à cliquer sur le lien avec votre souris et paf, plus de piles ! Il est 22h00. Comme vous n'avez pas encore investi dans des piles rechargeables et que, comme la majorité des Français, vous n'habitez pas à proximité d'un commerce ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, vous êtes sur le point de :
- réponse A : jeter votre souris, de rage (vous avez passé une mauvaise journée, ça arrive, même aux meilleurs...) ;
- réponse B : vous diriger, philosophe (vous avez passé une bonne journée), vers votre bibliothèque et décidez de voir si, par hasard, il ne vous resterait pas une encyclopédie ;
- réponse C : poursuivre, courageux et opiniâtre (vous allez passer une belle fin de journée...) votre recherche avec les moyens du bord, c'est-à-dire en utilisant votre clavier.
Vous avez choisi la réponse C ? Bonne réponse !
Commence alors une petite aventure qui, vous allez le voir, concerne bien plus de monde que vous ne le pensiez. Le premier site sur lequel vous parvenez, combiendepattesaunmillepattes.fr, s'ouvre. Vous utilisez votre tabulateur (la touche avec deux flèches, à côté du A, enfin si votre clavier est un azerty...) et tentez de naviguer dans le menu.
Premier obstacle : vous avez beau être « bien-voyant », avec vos lunettes tout de même, au bout de deux frappes, vous ne voyez plus où se trouve votre curseur... Décidé à ne pas vous découragez pour si peu, vous faites une pause et allez prendre un verre (peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'adresse !). Hélas, en chemin, vous faites tomber vos lunettes et, re-paf, vous les écrasez irrémédiablement. À ce moment de l'histoire, il est possible qu'un léger cri jaillisse de vos cordes vocales mais, une fois de plus, vous décidez de garder votre calme (bravo, quel flegme !). Vous retournez à votre écran mais, évidemment, sans vos lunettes la taille de la police de caractères est bien trop petite. Qu'à cela ne tienne, vous vous souvenez qu'avec les touches « crtl + » enfoncées simultanément, cela devrait aller mieux. C'est alors que le site se transforme en un puzzle totalement abstrait ! Le titre chevauche l'image, l'image enjambe le lien, devenu lui aussi inaccessible et votre article s'éloigne de plus belle. L'histoire pourrait se poursuivre avec, entre autres, l'arrivée de votre voisine âgée en quête d'aide pour trouver le numéro d'urgence de SOS plombier, de votre enfant dyslexique et de sa rédaction qu'il doit rendre demain, de votre belle-mère qui débarquerait à l'improviste, atteinte de la maladie de Parkinson (ne rêvez pas trop non plus) et qui aurait besoin d'utiliser un matériel adapté... Heureusement, tout ceci n'était qu'un rêve. Ou cauchemar, c'est selon.
Comme près de 12 millions de personnes en France, vous aussi pouvez rencontrer des difficultés pour accéder à l'information, de manière temporaire ou définitive (on n'arrête pas le progrès). Alors oui, si le site combiendepattesaunmillepattes.fr avait été conçu en respectant l'accessibilité numérique, vous auriez pu naviguer avec votre clavier en passant d'un menu à l'autre de manière logique et hiérarchisée. Vous auriez pu grossir ou réduire convenablement la taille de la police, voire diminuer ou augmenter le contraste dudit site web pour reposer vos yeux ou tout simplement distinguer les couleurs en raison de votre daltonisme. Malvoyant ou aveugle, un lecteur d'écran vous aurait permis « d'entendre » les contenus, si ces derniers avaient été bien structurés...
L'accessibilité web, c'est moche !
Ah, l'argument « des goûts et des couleurs »... Forcément, un site accessible ne peut utiliser de belles couleurs, les animations sont à proscrire (mais pas flash ?), les carrousels d'actus n'en parlons pas... Inutile d'en rajouter. Oui, un site web accessible peut être au goût du jour, vous savez comme la mode passe en la matière (archive.org est là pour nous le rappeler et, au passage il a besoin de notre soutien). Sachez qu'il peut même s'adapter à la plupart des tailles d'écran (responsive web design). Le comble réside sans doute dans l'expérience utilisateur (l'u ikse pour les jargoneux) qui finira de vous convaincre qu'un formulaire accessible retiendra un client, lui rendra service, là où celui non accessible le fera sinon fuir, du moins râler (pour rester poli).
L'accessibilité web, ça coûte cher !
Si vous vous intéressez de près ou de loin au référencement, sachez que si combiendepattesaunmillepattes.fr était accessible, il serait bien mieux référencé par les moteurs de recherche. Parce que mieux structurés, ses contenus n'auraient pas besoin d'une campagne coûteuse, aux résultats artificiels et éphémères (sauf pour les comptes de qui vous savez dans les paradis fiscaux que vous connaissez ou aimeriez connaître). On peut raisonnablement estimer qu'un surcoût d'environ 10 % est nécessaire pour qu'un site web professionnel soit accessible. Le prévoir dès la conception sera évidemment bien plus économique que de vouloir faire une vé deux (V2 pour qui voudra !).
En guise de conclusion...
Si l'application de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des handicapés a encore été repoussée en 2015 au niveau du bâti, nous faut-il faire de même avec l'accessibilité numérique ? Il nous est possible d'agir, de favoriser les bonnes pratiques, de convaincre ceux qui font le web de l'utilité et du bien fondé d'une telle démarche. Inutile d'être spécialiste, militant ou adepte des catastrophes comme notre personnage mentionné plus haut (dommage, il n'y a pas de flèche pour remonter !) pour s'en convaincre. Modestement, vous pourriez demander à vos banques en ligne, compagnie d'assurance, à vos prestataires divers et variés, lorsque vous le pouvez, quel que soit le support, ce qu'ils font ou ont prévu de faire pour améliorer votre accès à l'information, à ces services que vous payez, et pourquoi pas leur dire que, tôt ou tard, l'accessibilité numérique les concernera ?