Organisations
Le CPF, quatrième échec de la réforme de la formation (3ème partie)
Dans les deux précédents articles sur le CPF, nous avons tenté de démontrer que :
- le CPF était contre-productif (incitation à garder ses heures de formation sans se former, complexité et difficulté dans l'organisation des formations longues) ;
- qu'il sera d'autant plus illisible et inaccessible que le salarié est peu qualifié ou travaille dans une PME/TPE.
Dans ce troisième volet, nous allons tenter tenter de comprendre la logique et le fonctionnement du CPF au-delà des slogans trompeurs qui prétendent rendre facile et équitable la formation dans notre pays.
« Le compte personnel de formation, simple pour le salarié et simple pour l'entreprise » - Michel Sapin à la sortie du conseil des ministres du 22 janvier 2014.
Quelques rappels préalables concernant l'ancien DIF
Pour se former via le DIF, il fallait juste passer trois étapes :
- une demande écrite de DIF par le salarié,
- une réponse et un accord écrit de l'employeur dans les 30 jours,
- un départ en formation sur le thème et la durée négociée entre le salarié et son employeur.
Pour se former durant seulement 20 heures avec son CPF, tout a changé.
Avec le CPF, la complexité, la lourdeur et les risques d'erreur sont omniprésents pour les rares candidats à une formation CPF (dix fois moins nombreux qu'avec le DIF).
La vingtaine d'étapes ou de pré-requis pour une formation CPF :
- être salarié (en poste) et avoir d'anciennes heures de DIF (acquises jusqu’au 31 décembre 2014) ;
- ou avoir cumulé assez d'heures de CPF depuis janvier 2015 (24 heures au 31 décembre 2015 pour un travail à temps complet) ou bénéficier d'un abondement (à la discrétion de l'OPCA) ;
- avoir ouvert un espace personnel sur le site gouvernemental www.moncompteformation.gouv.fr ;
- chercher et trouver une formation éligible au CPF (sur une liste 17 000 certifications généralement sans rapport avec le métier exercé) ;
- dénicher une formation compatible avec les disponibilités horaires et le capital d'heures dont on dispose ;
- espérer que l'organisme de formation pressenti pourra organiser la formation aux dates souhaitées, qu'il sera effectivement habilité à délivrer la certification, qu'il est certifié en qualité et qu'il dispose toujours d'un numéro valide d'organisme de formation ;
- prier pour que cet organisme de formation ne dépasse par le plafond de prise en charge financière de l’OPCA (de 15 € de l'heure à plus de 100 €, selon les OPCA ou les branches avec des tarifs pouvant varier au cours de l'année) ;
- espérer que l'intégralité du coût de la formation sera donc financé par l'OPCA ou que le restant à charge (majoré de 20 % de TVA) ne sera pas trop important (un salarié s'est récemment vu réclamer par un OPCA une somme 2 000 € sur les 4 000 € au total que coûtait sa formation) ;
- faire parfois partager son projet de formation CPF à son employeur (si celle-ci doit se dérouler sur tout ou une partie du temps de travail) ;
- obtenir dans ce dernier cas l'accord de l'employeur sur le planning de départ en formation ;
- procéder ensuite à l'inscription de la formation sur le site mon compte formation (en disposant de toutes les informations administratives sur son employeur, sur l'organisme de formation et sur la session de formation, son coût TTC, son code CPF régionalisé ou ses modalités de réalisation) ;
- contacter l’OPCA au moins deux mois avant la formation et lui faire parvenir par voie postale 3 dossiers en version papier remplis (le dossier de prise en charge, la convention ou le contrat de formation et le devis de l'OF) ;
- une fois l'accord de prise en charge obtenu (sous 2 mois), recontacter l'organisme de formation ;
- signer avec ledit organisme de formation un contrat de formation (contrat de services) et verser un acompte prévisionnel de 30 % du prix total (+ la TVA s'il y est soumis) ;
- s'engager à payer des pénalités en cas d'abandon ou d'absence en formation (l'OPCA ne pourra payer et l'employeur refusera sans doute) ;
- espérer démarrer la formation aux dates programmées plusieurs mois auparavant alors que les trois parties seraient parvenues à un accord (OPCA, organisme de formation et salarié ou employeur) ;
- espérer qu'aucun accident (de trajet par exemple) ne se produira durant la formation car personne ne saurait dans ce cas si la législation sur les accidents du travail peut s'appliquer (l'employeur se déclarant logiquement non responsable de ce dont il peut ignorer l'existence sur le temps libre du salarié) ;
- passer encore une demi-journée au moins, en fin de formation, (même pour une formation courte de 20 heures) des tests finaux et une certification, parfois dans un lieu distant de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres (et sur le temps personnel du salarié) ;
- prier pour que, durant ce processus de CPF (qui s'étalera souvent sur 6 mois), aucun grain de sable ne se glisse dans la mécanique et les multiples stations de ce parcours du combattant.
La complexité préexistait en partie avant la réforme de 2014
Cette complexité (nous sommes passés avec le CPF d'un « usine à gaz » à un « complexe gazier » selon les mots de Bernard Accoyer) préexistait avant la réforme.
Mais cette complexité en formation (provoquée par les pouvoirs publics eux-mêmes et leur persistance à transformer la formation en un impôt mutualisé et géré paritairement) reposait jadis sur la technicité de l'employeur et de son service de RH ou de formation (ceci expliquant sans doute pourquoi dans les PME/TPE, la formation demeure une inconnue pour la plupart des salariés).
Désormais avec le CPF la complexité et la responsabilité de la mise en œuvre reposent à 95 % sur l'individu salarié et on comprend mieux dès lors la victoire (discrète) du MEDEF quand il s'est agit de faire disparaître le DIF des salariés en 2013 :
a) éliminer le risque financier lié au développement des compétences avec un OPCA jouant le rôle d'assureur formation (pour une prime modeste de 0,2 % de la masse salariale, payée seulement par les employeurs de plus de 10 salariés) ;
b) éliminer les risques organisationnels et sociaux avec un CPF hors temps de travail et hors du champ de responsabilités de l'employeur (sauf s'il insiste vraiment ou y trouve un intérêt financier).
Le CPF handicape donc toute la formation en France, déresponsabilise salariés et employeurs et fait régresser l'effort de formation dans la plupart des sociétés.
Le CPF a confondu l'enseignement initial avec la formation continue des adultes, la formation des chômeurs avec celle des salariés. La réforme a transformé un droit naturel et légitime à la formation (le DIF) en une capitalisation souvent vaine d'heures de formation sans concrétisation, ni financement possibles (40 € par an et par personne alors qu'une formation de 150 heures coutera environ 3 000 €).
Le CPF est une fausse bonne idée qui aura permis au monde du travail de repousser ses échéances éducatives de quelques années encore.