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23 / 02 / 2015 | 12 vues
Bernard Salengro / Abonné
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Aptitude de médecine du travail vilipendée à tort

L’aptitude : une contrainte ou une protection pour le salarié ?

  • La Cour de cassation a répondu de façon surabondante à cette question.
Les visites médicales auprès du médecin du travail relèvent de l’obligation de sécurité de résultats en matière du devoir de protection de la santé et de la sécurité des salariés pesant sur l’employeur.

Outre les amendes prévues par le code du travail à l’encontre de l’employeur qui n’organise pas les visites médicales obligatoires, le salarié qui n’aurait pas pu bénéficier des visites d’embauche, périodiques ou de reprise peut demander réparation du préjudice subi (du seul fait du manquement de l’employeur à ses obligations) auprès de la juridiction prud’homale.

En cas de répétition de ces manquements, la Cour de cassation a donné droit aux salariés ayant pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur pour ce motif.

Cette obligation de sécurité de résultats pesant sur l’employeur entraîne une obligation contractuelle pour les salariés, celle de se « soumettre » aux examens médicaux. Le manquement à cette obligation est fautif et l’employeur peut user de son pouvoir disciplinaire jusqu’à licencier son salarié pour faute.

D’où l'éventuelle difficulté pour le salarié d’accepter ce qui est à la fois une contrainte (devoir consulter un médecin, médecin du travail dont il n’a pas le libre choix) et une protection.

Mais n’est-ce pas le lot de beaucoup de systèmes de protection collective (le carter de protection de machines dangereuses, par exemple) et encore plus pour les protections individuelles (le port de masques respiratoires, de casque anti-bruit ou de chaussures de sécurité ne fait-il pas souvent l’objet de contestation voire de refus de la part de salarié du fait de la gêne ou de contraintes supposées) ?

  • En effet les médecins du travail ont pour la plupart été confrontés un jour à la production par des salariés de certificats médicaux contre-indiquant le port de tel ou tel équipement de protection individuelle, sans que les médecins traitants rédacteurs mesurent les conséquences de ces certificats (de complaisance ?) à savoir l’exclusion desdits salariés de l’accès, par exemple à leurs chantiers, et donc l’impossibilité de leur maintien à leur poste de travail. Le caractère non valide de ces certificats selon le code du travail permet heureusement aux médecins du travail d’éviter ces conséquences fâcheuses.

Le médecin du travail une contrainte ou une protection ?

La mission du médecin du travail et du service de santé au travail est claire et contenue dans l’article L.4622-4 du code du travail :

« Art. L. 4622-2. - Les services de santé au travail ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ».

Cette mission est donc totalement au service de la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Même si le médecin du travail est également le conseiller des employeurs (et des IRP), ce rôle de conseil ne vise qu’à aider et assister l’employeur à remplir son obligation de sécurité de résultat de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il n’est donc pas, par la nature même de sa mission, « le médecin des patrons ».

Le médecin du travail est avant tout un médecin.
  • Il est soumis au code de déontologie médicale qui oblige tous les médecins du travail à respecter le secret médical et à ne rien révéler des informations médicales ou non que le salarié lui a confiées ni à l’employeur bien sûr, ni à ses co-préposés, ni à sa famille et ni même directement à son médecin traitant, sauf demande formelle de sa part ; à éclairer le salarié dans toutes les décisions qu’il pourrait prendre ; à l’orienter vers un médecin de soins si nécessaire ; à communiquer au médecin traitant les informations médicales qu’il détient par l’intermédiaire du salarié.
  • Le médecin du travail bénéficie d’une protection exorbitante du droit commun (comme les IRP) non pour lui-même mais pour garantir aux salariés son indépendance (vis-à-vis des employeurs des salariés suivis par lui et vis-à-vis de son propre employeur, le directeur de son service de santé au travail s’il s’agit d’une structure inter-entreprises ou bien de l’employeur commun s’il s’agit d’un service de santé dit autonome).

En quoi l’aptitude constitue-t-elle un moyen de prévention pour les salariés ?


Plusieurs remarques préalables

  • Très souvent, l’aptitude est présentée comme une pratique désuète et surtout unique en Europe. Il n’en est rien. Pour preuve, l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs (M.B. 16 juin 2003, Belgique) qui en principe ne touche que les salariés soumis à des risques particuliers mais compte tenu du fait que parmi ces risques figurent les risques psychosociaux, il concerne la majorité des travailleurs. La procédure d’aptitude existe bel et bien chez nos voisins belges.
  • Les adversaires de l’aptitude assurent mordicus qu’il s’agit d’un acte de sélection et non de prévention (ce qui sous-entend que serait privilégiée la sécurité juridique et économique des employeurs au détriment du droit au travail des salariés. Cette affirmation ne repose sur aucun fait matériel ou statistique : en effet, à la lecture de rapports annuels d’activité globalisés au sein de SIST, les cas d’inaptitude à l’embauche sont proches du zéro statistique.

Le Conseil d’État (10 mai 2006), en distinguant bien la visite d’aptitude de sécurité des roulants de la visite de prévention, a lui aussi écarté cette idée préconçue et inexacte : médecine du travail = médecine de sélection

« Considérant que l’article L. 241-2 du code du travail prévoit que le rôle des médecins du travail est exclusivement préventif ; que l’article R. 241-32 du même code prévoit que le médecin du travail assure personnellement l’ensemble de ses fonctions et que celles-ci sont exclusives de toute autre fonction dans les établissements dont il a la charge ; que le code du travail a ainsi établi un régime d’incompatibilité entre les fonctions de médecine du travail et de médecine d’aptitude » .

Il convient de remarquer que les faits de discrimination reprochés aux médecins du travail  sont à la lecture de la jurisprudence, extrêmement rares, contrairement aux médecins agréés des fonctions publiques dont nous relevons. Cette décision du défenseur des droits n° MLD 2013-152 est représentative de ces situations.

L’obligation de sécurité de résultat liée aux visites médicales dites obligatoires (embauche, reprise, périodique...) dont l’issue est sanctionnée par un avis d’aptitude oblige l’employeur et le salarié à déléguer à un tiers, le médecin du travail, tout ce qui concerne la santé, le handicap ainsi que l’état de grossesse (avant la déclaration) du travailleur.

Supprimer cette obligation d’aptitude et la remplacer par une improbable attestation de suivi (dont personne ne sait qui fait quoi et qui vise à lever cette obligation de sécurité de résultat) est susceptible de faire courir trois risques principaux :

  • non-adhésion des employeurs aux SIST du fait de cette déresponsabilisation ;
  • contenus du suivi médical extrêmement disparates du fait « des réalités locales » en matière de ressources médicales. Cette disparité régionale ou locale n’est en fait déjà plus un risque mais est avérée. Il est permis de se demander comment de telles différences de traitement des salariés pourraient être compatibles avec le principe constitutionnel que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ;
  • remettre les questions de santé et de handicap dans le dialogue direct entre le travailleur et le salarié avec le risque de discrimination à l’embauche et le renvoi à la responsabilité propre du salarié : « on me propose un travail à très forte charge cardiaque : je m’engage, moi salarié, à être apte physiquement à ce travail (c’est à prendre ou à laisser) et si je dissimule mon insuffisance cardiaque, tant pis pour moi, c’était mon engagement contractuel.

Nous revenons là à l’ère industrielle, à l’univers de Zola du XIXème  siècle.

À défaut, l’interlocuteur santé et handicap pourrait être le médecin traitant du salarié. Mais ce médecin serait prisonnier d’un conflit, la pression de son client qui invoquerait son droit au travail et la déontologie médicale qui demande de préserver la santé de son patient (droit à la santé).

  • C’est d’ailleurs pour cette raison et à cause de l’interdiction d’accès aux médecins du travail au dossier médical personnel (article  L. 161-36-3 introduit par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie) que les médecins SNCF qui cumulaient ces deux fonctions (médecins traitants et médecins du travail) ont dû s’orienter depuis le 1er janvier 2007 vers l’une ou l’autre de ces fonctions.

Cette question de la protection des salariés contre les discriminations pour raisons de santé ou de handicap est au cœur de la question du rôle protecteur de de l’aptitude.

Article L1132-1 du code du travail

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Article L1133-3 du code du travail

Les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées.

Article L1142-1 du code du travail

Sous réserve des dispositions particulières du présent code, nul ne peut :

1. mentionner ou faire mentionner dans une offre d'emploi le sexe ou la situation de famille du candidat recherché. Cette interdiction est applicable pour toute forme de publicité relative à une embauche et quels que soient les caractères du contrat de travail envisagé ;

2. refuser d'embaucher une personne, prononcer une mutation, résilier ou refuser de renouveler le contrat de travail d'un salarié en considération du sexe, de la situation de famille ou de la grossesse sur la base de critères de choix différents selon le sexe, la situation de famille ou la grossesse ;

3. prendre en considération du sexe ou de la grossesse toute mesure, notamment en matière de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation.

Que dit le code du travail ?

Article R. 4624-10 du code du travail. Le salarié bénéficie d’un examen médical avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai par le médecin du travail.

« Les salariés soumis à une surveillance médicale renforcée en application des dispositions de l’article R. 4624-18, ainsi que ceux qui exercent l’une des fonctions mentionnées à l’article L. 6511-1 du code des transports, bénéficient de cet examen avant leur embauche.

Article R. 4624-11 du code du travail. L’examen médical d’embauche a pour finalité :

  • « 1. de s’assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l’employeur envisage de l’affecter ;
  • « 2. d'éventuellement proposer les adaptations du poste ou l’affectation à d’autres postes ;
  • « 3. de rechercher si le salarié n’est pas atteint d’une affection dangereuse pour les autres travailleurs ;
  • « 4. d’informer le salarié sur les risques des expositions au poste de travail et le suivi médical nécessaire ;
  • « 5. de sensibiliser le salarié aux moyens de prévention à mettre en œuvre.

À la lecture de l’article R. 4624-11 du code du travail, nous pouvons constater que cette visite d’embauche a un triple objectif :

  • informer le salarié sur risques professionnels auxquels il est susceptible d’être exposé et sur les moyens pour s’en protéger ;
  • protéger la santé du salarié des risques professionnels « connus et identifiés ;
  • protéger la santé des co-préposés : cette disposition est issue d’un vieux risque, celui de la contamination tuberculeuse mais nous comprenons que le risque accidentel est présent ici. Les postes dits de sécurité sont bien entendu concernés mais ils ne sont pas exclusifs de cette protection : un salarié dont les perturbations délirantes ne seraient pas contrôlées par le traitement ferait d’évidence courir un risque pour lui-même. Là encore, les médecins du travail doivent équilibrer et trancher entre le droit au travail et le droit à la santé. Cet équilibre est délicat et le médecin du travail est confronté entre l’avis du psychiatre pour lequel le travail est de principe thérapeutique et la réalité (qu’il est le seul à appréhender) du risque pris pour lui-même et pour les autres.

A contrario, le médecin du travail peut être confronté à la crainte excessive ou infondée de l’employeur mis au courant, souvent par le salarié, de sa pathologie supposée à risque.

  • Dans cette dynamique de protection, le médecin du travail a la capacité « d'éventuellement proposer les adaptations du poste ou l’affectation à d’autres postes ; ». Le salarié est apte sous réserves d’adaptation et l’employeur ne peut utiliser cet avis pour ne pas embaucher le salarié sous peine de se rendre coupable de discrimination (faute civile et délit pénal) ou le salarié peut être inapte quand le risque est excessif. Mais, nous l’avons dit plus haut, cette situation est exceptionnelle. Les médecins du travail sont respectueux de l’éthique de leur profession.
  • Les visites périodiques ont la même finalité : le suivi médical l’aptitude et l’information sur les risques professionnels. L’article R. 4624-16 du code du travail ne cite plus le dépistage des maladies professionnelles. Les visites périodiques (ou à la demande du salarié) sont les circonstances où se dépistent fréquemment les maladies professionnelles. Leur dépistage est fondamental pour ouvrir leurs droits aux salariés mais aussi pour alerter l’employeur, les IRP (en particulier le CHSCT) ainsi que les préventeurs institutionnels que sont la CARSAT et la DIRECCTE. Les maladies professionnelles sont des indicateurs d’alerte de conditions de travail défectueuses (y compris les RPS dont les TMS sont des indicateurs certains)

Ce volet médical est l'un des moyens à la disposition du SIST au service du salarié pour  atteindre l’objectif fixé par l’article L. 4622-2 du code du travail : « éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ».

Il est reproché aux médecins du travail de davantage se préoccuper de l’aptitude du salarié que de l’aptitude du poste de travail. En clair, le médecin du travail ferait (encore) de la sélection et ne se préoccuperait pas de prévention primaire. « Les salariés atteints par des pathologies induites par l’exposition à l’amiante ont été déclarés aptes ».

Le « tiers temps » du médecin du travail n’a été introduit qu’en 1979 par le décret n° 79-231 du 20 mars 1979, qui a rendu également obligatoire le fiche d’entreprise pour les entreprises de plus de 50 salariés.

Selon les études qui en ont été faites, ce tiers temps n’a souvent été qu’un quart ou un cinquième de temps. Ce qui, étant rapporté aux 450 entreprises que le médecin du travail pouvait suivre selon les anciennes dispositions (et actuellement beaucoup plus) rendait la tâche d’évaluation des conditions de travail puis de conseil pour chacun des postes de chacune des entreprises, impossible.

Ce tiers temps n’a pas été réalisé malgré le fait que près de la moitié des médecins de l’époque ait acquis une formation complémentaire en particulier en ergonomie, selon les statistiques du ministère. Ce tiers temps n’a jamais été ni n’a encore été respecté car la gouvernance patronale n’a pas été convaincue de son utilité. À l’époque, il ne manquait pas de médecins du travail.

La situation s’est améliorée après que l’Europe ait contraint la France d'intégrer la notion de pluridisciplinarité prévue dans la directive 1989 :

  • avec l’arrivée des IPRP (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 ; décret n° 2003-546 du 24 juin 2003 pris pour l'application de l'article L. 241-2 du code du travail et modifiant le code du travail) ;
  • avec l’arrivée des infirmières en santé au travail et les assistants de service de santé au travail (décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012, relatif à l’organisation de la médecine du travail).

Pour peu qu’ils développent les moyens humains nécessaires (embauches), les SIST pourront être en capacité d’étudier les conditions de travail d’un plus grand nombre d’entreprises et de les conseiller.

Cette évolution est nécessaire mais suffit-elle pour considérer que le diagnostic (des conditions de travail) et le conseil délivré aux employeurs par l’équipe pluridisciplinaire ainsi que l’alerte que doit délivrer le médecin du travail à l’employeur s’il constate des situations délétères pour la santé au travail (article L. 4624-3 du code du travail introduit par la loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail), sans oublier l’obligation de sécurité de résultats pesant sur l’employeur suffisent à enlever toute vertu protectrice à l’aptitude et se contenter d’une attestation de suivi sans obligation pour l’employeur de s’assurer de l’effectivité du suivi médical et de s’inquiéter de sa nature ? Nous sommes convaincus du contraire.

En effet, le suivi médical allégé (voire désincarné dans certains cas) n’aurait pour objectif que de délivrer des messages de prévention aux salariés et de dépister les situations exceptionnelles où malgré des conditions de travail contrôlées surviendraient de rarissimes maladies professionnelles, conséquences des expositions d’un passé révolu.

Cette situation idyllique s’appuie sur plusieurs postulats : tous les employeurs conscients de leurs obligations de sécurité de résultats en matière de prévention de la santé au travail évaluent les risques (DUE), construisent un plan de prévention pour les risques résiduels et informent dument leurs services de santé au travail de leurs évaluations.

Article écrit par le docteur Christian Expert, vice ,président du syndicat santé au travail CFE-CGC

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