Dialogue social et compétitivité : la France toujours à la traîne
En matière de dialogue social, la France se situe dans une position paradoxale qui se traduit par une grande méfiance des employeurs envers leurs employés et une satisfaction affirmée des salariés de leurs conditions de travail. Satisfaction toutefois atténuée par une défiance certaine envers leurs dirigeants.
Si l’on se réfère au Global Competitiveness Report publié début septembre 2014 par le Word Economic Forum, la coopération entre employeurs et employés reste, en France, moyennement hostile [1]. Ce rapport annuel place ainsi la France en 129ème position (sur 144 pays étudiés) quant à la qualité des rapports sociaux dans l’entreprise ; juste devant l’Algérie (130ème position) et l’Italie (137ème et dernier des 28 pays européens).
La position de la France est une constante. Déjà lors de la première édition de cette enquête, en 1993, elle s’affichait comme la dernière des pays riches (Thomas Philippon, 2007) [2]. En 2012, elle figurait à la 135ème place sur 148. En 2011 : 133ème sur 144.
Pour autant, si les employeurs français ont une piètre opinion des relations entretenues avec leurs salariés, 79% [3] des salariés français s’estiment satisfaits de leurs conditions de travail [4].
Si le Danemark, l’Autriche et la Belgique affichent des scores de plus de 90 %, la France reste néanmoins au-dessus de la moyenne de 28 pays européens (77 %).
Ces deux études, totalement indépendantes, permettent toutefois d’observer les différences de logique dans les rapports sociaux des pays, notamment européens.
Le regard croisé des acteurs sur la qualité des relations qu’ils entretiennent montre que les pays où les employeurs portent un sentiment très positif sur leurs salariés sont les mêmes que ceux où les employés apprécient particulièrement leurs conditions de travail.
De même, les pays où les employeurs expriment une grande défiance envers leurs salariés sont les mêmes que ceux où les employés développent un sentiment négatif à l’égard de leurs conditions de travail.
Au sein de l’Union européenne, les pays nordiques, anglo-saxons et germanophones inscrivent leurs rapports sociaux dans une logique « gagnant-gagnant ». Les pays latins et slaves, eux, développent des rapports sociaux basés sur une logique « perdant-perdant ».
Si la France se situe, comme souligné précédemment, dans une position paradoxale, elle reste néanmoins avec l’Irlande l'un des rares pays où ce regard croisé s’est amélioré (dans les deux sens) depuis une quinzaine d’années.
Pour conclure cet aperçu global des rapports sociaux, il convient de souligner un dernier élément.
Dans son rapport de septembre 2014, le WEF présente un classement mondial des pays en agrégeant l’ensemble des facteurs déterminant leur productivité et leur prospérité (12 chapitres ou piliers, 114 indicateurs).
Ainsi, le top 10 des économies mondiales se compose de la Suisse, Singapour, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, Hong Kong, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède.
Ces pays ont en commun d’excellents résultats en matière de coopération employeurs-employés, de formation, de rétention des talents ainsi qu’en politique d’investissement encourageant l’innovation.
La France est 23ème.
Toute chose égale par ailleurs, si la coopération entre les employeurs et les employés avait été en France à l’image de celle de pays comme l’Estonie, les Philippines, Porto Rico, l’Île Maurice, la Thaïlande, voire des Îles de la Barbade (c’est-à-dire ni hostile, ni coopérative mais neutre c’est-à-dire simplement apaisée), la France serait alors passée dans le top 10 des économies européennes (et quinzième des économies mondiales).
Il existe bien un lien étroit entre dialogue social et compétitivité [5]. Il relève de la coopération active entre les partenaires sociaux.
Sauf en France, naturellement, où il paraît évidemment plus simple de remettre en cause les seuils sociaux.
@Geiger_Pascal
pascal.geiger@free.fr
[1] Le WEF a soumis, dans le cadre du pilier n° 7 « efficacité du marché du travail », un échantillon d’employeurs dans chacun des 144 pays un questionnaire leur demandant s’ils considéraient les relations avec leurs employés comme très hostiles, hostiles, moyennement hostiles, neutres, moyennement coopératives, coopératives, très coopératives. http://www.weforum.org/reports/global-competitiveness-report-2014-2015
[2] Thomas Philippon, Le Capitalisme d’héritiers – La crise française du travail – La République des idées, Seuil.
[3] Cf le « flash Eurobaromètre » publié par l'Union européenne, le 5 avril 2014.
[4] Les conditions de travail sont définies ici comme le temps de travail, la santé et la sécurité, la représentation des salariés et la relations des salariés avec l’employeur.
[5] Louis Gallois, alors commissaire général à l’investissement, présentait lors du colloque du 23 mai 2013, « nouveau pacte social : mode d’emploi » le dialogue social comme l'une des clefs de la compétitivité.