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01 / 04 / 2014 | 38 vues
Alexandre Rault / Abonné
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Marie Brizard, le bateau ivre...

La société de vins et spiritueux Marie Brizard et Roger International a été fondée en 1755 à Bordeaux par Marie Brizard, fille de tonnelier, et son neveu Jean-Baptiste Roger. La première boisson commercialisée était une sorte d’anisette dont la recette antillaise avait été révélée à Marie Brizard par un ancien esclave qu’elle avait soigné. Forte de sa situation géographique portuaire, l’entreprise a profité du commerce des épices pour développer bon nombre de boissons. Aujourd’hui, après une longue phase de développement, c’est à un déclin rapide que doivent faire face les salariés de l’entreprise. De décisions de justice en PSE, l’histoire de Marie Brizard témoigne des dangers de la logique financière et d’un actionnariat dilué.

L'une des plus grosses entreprises du Sud-0uest

Avec près de quarante marques et quelque 230 millions de bouteilles produites par le groupe et exportées dans 120 pays, Marie Brizard était avant 2006 l'une des « pointures » de l’industrie des vins et spiritueux. Cotée en bourse depuis 1984, l’entreprise n’a cessé de diversifier son portefeuille, acquérant des marques telles que les jus de fruits Cidou et Pulco, les whiskies William Peel ou encore les Chais Beaucairois renommés plus tard Moncigale.

En 2006, le groupe financier Belvédère a racheté le groupe Marie Brizard qui est devenu sa filiale à 100 %. Pour Marie- Dominique Lavedan, déléguée syndicale FO qui vient de partir à la retraite, « c’est là que nos ennuis ont commencé ». Effectivement, ce groupe n’avait pas les moyens de ses ambitions. Pour acheter Marie Brizard, il a dû s’endetter à hauteur de 375 millions d’euros auprès de créanciers. La bonne santé économique de la société aurait dû lui permettre de rembourser sa dette mais une grossière erreur stratégique a enrayé la machine. Dès 2007, il a revendu deux marques, dont Pulco, sa vache à lait, à Orangina pour racheter ses actions en raison d’un conflit avec le principal détenteur, CL Financial, fonds de Trinidad et Tobago que le groupe a sorti de son capital.

Par cette opération, Belvédère a violé des clauses de la vente d’actifs pour réinvestir ou rembourser les créanciers. Les agences de notation ont sanctionné le groupe, ses obligations ont perdu jusqu’à 80 % et son action a chuté en bourse.

En 2008, incapable de rembourser l’ensemble de sa dette à taux variable, la direction de Belvédère a présenté un plan de restructuration afin de diluer l’actionnariat et ainsi réduire une dette s'élevant à 672 millions d’euros. Lors d’une assemblée générale houleuse qui a vu plusieurs débordements de la part des petits porteurs, le plan a été validé. Celui-ci comprenait la vente de Marie Brizard mais, après plusieurs atermoiements dont le remplacement du PDG historique, l’opération n’a toujours pas eu lieu. Ce plan est soutenu par Bruce Willis, premier actionnaire de Belvédère à titre individuel depuis qu’il a vendu son image pour Sobieski en échange d’actions. C’est à cette date que le fonds américain Oaktree Capital, qui produit de la vodka en Pologne et lorgnerait sur Sobieski, a fait son apparition en rachetant de la dette à bas prix.

D’un côté, les créanciers veulent être remboursés, de l’autre les salariés commencent à craindre pour leur emploi.

Suite à différents imbroglios judiciaires, Marie Brizard et Belvédère ont été placés en redressement judiciaire par le tribunal de Dijon en 2012. Aujourd’hui, les créanciers réclament plus que jamais la vente des actifs pour se faire rembourser.

Des salariés sans visibilité sur leur avenir

Le comité d’entreprise a émis un droit d’alerte depuis 2012. Le syndicat FO, majoritaire sur un site de Bordeaux et sur celui d’Ivry-sur-Seine, déplorent un grand gâchis : « L’expert- comptable mandaté par le CE pour étudier le plan de redressement nous a clairement dit qu’avec une meilleure gestion, Marie Brizard tournerait sans problème. Même pour les experts, il est difficile de voir clair dans la logique de la direction… ». Le syndicat FO fait tout pour informer les salariés et se bat pour préserver l’emploi malgré les entraves de la direction. « Les salariés apprennent les décisions de la direction dans la presse, il n’y a aucun dialogue », confirme Marie-Dominique Lavedan.

Aujourd’hui, le site de Beaucaire est en passe de fermer. Il a fallu que les salariés se battent pour rapporter les 70 licenciements prévus à 56. En Espagne, 50 licenciements ont été programmés sur le site de Zizurkil, dont la direction a annoncé vouloir se séparer le 15 novembre. Par solidarité avec leurs collègues espagnols entrés en grève illimitée, FO a appelé à une grève d’une demi-journée qui a été bien suivie sur les sites de Bordeaux et de Lormont. Jean-Michel Hardy déplore que ce soit la seule façon pour les salariés de se faire entendre : « Ils ont annoncé la fermeture du site espagnol avant Noël, la période où la plus grande partie du chiffre d’affaires est réalisée. On se demande où est la logique dans tout ça ! D’autant que les sites français sont alimentés en production par les sites espagnols ». Aujourd’hui, le nouveau délégué syndical FO a raison d’avoir peur pour son site de Bordeaux : « La distillerie est sur le trajet du futur tramway. Vendre ce site est l’assurance de réaliser une belle plus-value immobilière… Aujourd’hui, le site tourne au ralenti ».

Si des solutions extérieures à Belvédère permettront sans doute de sauvegarder des emplois, Marie Brizard est aujourd’hui en grand danger. Voilà comment la logique financière faite d’opérations à court terme, de procédures judiciaires interminables et de gestion immobilière de biens industriels va ruiner une entreprise qui n’avait alors connu que des succès pendant deux siècles et demis. Cette fois-ci, il semble que Bruce Willis ne sauvera personne.

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