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15 / 01 / 2014
Sylvain Thibon / Membre
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Inscrit(e) le 07 / 01 / 2010

C'est le temps des soldes, c'est aussi le temps des entretiens annuels…

Comme toujours à pareille époque, chacun devrait se préparer à affronter son entretien annuel, parfois dans l'anxiété, souvent dans l'attente d’une clarification ou bien encore dans l'indifférence...

Bilan de l’année passée, objectifs à venir et si le bilan se traduit par une « note » acceptable, à la clef, une possible augmentation salariale etc., si la case « a dépassé ses objectifs » est cochée, cela peut vouloir dire que l'on veut encore de vous pour les 12 prochains mois. Enfin peut-être, ce n’est plus tout à fait une certitude aujourd’hui. 

Obsolètes

Selon nous, ces entretiens individuels ne répondent plus aux enjeux de moment, ce n'est plus un outil RH adapté. Stratégie, ouverture, investissement, agilité, tout concourt à faire de ce bilan et de cet outil un instrument contreproductif.

Pourquoi ? D’abord par le caractère totalement individualiste de l’entretien annuel. Alors que la stratégie de l’entreprise, ses réalisations, son espace de production, ses projets etc. sont portés par le collectif depuis une dizaine d'année, nous ne cessons d’enfermer les salariés dans des postures individuelles. L'organisation sociale, le jugement sur le travail réalisé par chacun, l'organisation de l'espace de travail, les processus, toutes ces contraintes annulent toute forme de coopération, plongeant bien souvent les salariés dans une solitude abyssale. Un ancien patron de Canal+ avait pour habitude de dire que l’on réussissait ensemble et que l’on échouait seul, une vérité encore totalement niée aujourd'hui dans notre entreprise.  

Le jugement erroné. Pour ces raisons, la « note » cochée à la fin de l'entretien annuel reflète de moins en moins une réalité opérationnelle ou un jugement constructif et indépendant du travail accompli.

Sans oublier les conséquences d'une politique d’économies budgétaires qui se ressent également sur les salaires, en particulier sur le budget des augmentations annuelles... Avec une enveloppe globale réduite, il est de plus en plus difficile, voire impossible, de récompenser et de reconnaitre l'investissement de chacun, et de le traduire par une augmenation de salaire.

Absurdité, c'est aujourd'hui un processus inversé que la DRH applique. Sans même connaitre la réalité du travail réalisé, le choix des « heureux » élus qui seront augmentés ou pas se fait en réalité en amont. Le jugement dernier étant alors adapté au souhait des RH et au pauvre budget disponible pour les augmentations annuelles. Le choix de la case cochée est ainsi aléatoire, les critères de sélection bien éloignés d'une réalité managériale partagée, même pas besoin de se pencher sur le contenu du document...

Vers un autre modèle d'entretien annuel, pour un jugement renouvelé du travail réalisé

Si l'entretien individuel dans sa forme actuelle est obsolète, c'est qu'il génère plus de problèmes qu'il n'en résout. Aucune étude sérieuse ne démontre d'ailleurs que l’on travaille mieux quand bien même l'entretien annuel serait satisfaisant. En instituant l'entretien individuel comme l'outil central du jugement professionnel, on nie le collectif, l'entraide, la solidarité, on nie ce qui fait la richesse de l’entreprise, ses réussites, ses échecs... 

L’entretien individuel est également immoral car il suppose de porter un jugement primaire vis-à-vis de ses collègues. Qu’ai-je fait de mieux que mon collègue, pourquoi ai-je mieux réussi que lui et comment ? Cet outil des RH favorise l'émergence de vils sentiments alors que nous devrions favoriser la critique constructive.

  • Car, dans l'ombre du jugement sur la performance individuelle, on perd de vue la qualité du travail et la qualité du vivre ensemble. Le vivre ensemble, une utopie dans le Canal+ d'aujourd’hui où l'individualisme est favorisé par une politique des RH toute tournée vers des concepts épuisés du XXème siècle, un modèle vieillot qui empêche l'émergence d'une nouvelle organisation du travail plus respectueuse et donc plus efficace.

Canal+ sur le chemin pour construire et reconstruire une entreprise sociale, moderne, exemplaire ? Certaines études sociologiques le prouvent, le collectif est la clef de la réussite. Quand il existe un vrai collectif, les erreurs et les doutes peuvent être balayés par l'entraide et la coopération. Une nouvelle conception d'un environnement managérial constructif et participatif que de nombreux groupes (notamment anglo-saxons) déploient, un modèle qui attire de grandes compétences, certaines des nôtres d'ailleurs.  

Il est urgent d'agir car, dans le modèle actuel, la dégradation de la qualité de vie au travail soulève énormément de problèmes sociaux, de mal-être, de souffrances niées mais pourtant bien réelles.

Pour sortir de ce modèle infernal et contre-productif, il faut décloisonner la réflexion, respecter le dialogue social, sortir des caricatures d'un modèle de RH qui vise à cantonner chacun dans sa case, ou pire, parfois bouscule les salariés en dégradant leurs positions sans qu'ils en soient informés. Un irrespect qui atteint des sommets dans notre entreprise.

Faire évoluer ces méthodes archaïques nécessite de bousculer nos habitudes ancestrales d’une organisation basée sur le jugement individualisé. À Canal+, nous pourrions être exemplaires dans la recherche d'un nouvel ordre social qui serait basé non sur l'élimination mais sur la coopération, un modèle constructif partagé, accepté, compris et porté par des salariés engagés.

Canal+ est de nouveau une référence sociale sur le marché du management, un rêve encore aujourd’hui et pourtant une nécessité.

Dans ce contexte social délabré, faut-il seulement se satisfaire d'en rêver ? Nous croyons à l'intelligence dans ce domaine aussi. Lorsque certains dirigeants auront compris tout l’intérêt de cette nouvelle ambition pour les affaires, alors ils s'y convertiront.

Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut inventer de nouveaux instruments, de nouveaux outils de RH pour faire mentir certains chercheurs qui notent que l'on ne mesure plus aujourd’hui « le travail » mais le « résultat du travail ».

Travailler sur le collectif, c’est aussi nécessairement recréer des espaces d’échanges et de convivalité, des endroits où la délibération prendrait le pas sur une organisation devenue insidieusement très contraignante ou l’instrumentalisation, la concurrence entre salariés détruit (parfois rend malade jusqu’au « burn-out ») des salariés fatigués et démotivés.

Un pari gagnant-gagnant ! Manquent seulement la volonté et le courage de certains de nos dirigeants pourtant si prompts à valoriser l'agilité. Ailleurs mais pas chez eux. À vous de juger, bon entretien...

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