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Quand la philosophie s’immisce dans un centre de formation : l’occasion de repenser les rapports à l’enseignement ?
Susciter des étincelles, réinterroger les évidences… Les formateurs et les agents de service du Centre de Formation des Apprentis Interconsulaire de l’Eure (CFAIE) se sont vu proposer une prérentrée pas comme les autres, sous le signe de la détente et de la convivialité. Un temps d’échange collectif concocté par Formatys ainsi que la présence du philosophe Bernard Benattar en « guest star » leur a permis d’exprimer leurs doutes et leurs inquiétudes à l’encontre des jeunes générations, puis de confronter leur quotidien à leur mission éducative.
Une réflexion en 3 temps
Le philosophe a commencé par une rapide redéfinition de termes utilisés couramment. Qu’est-ce qu’un jeune ? Est-ce qu’être jeune, c’est « être ignorant de son ignorance » ? Détenir une capacité à re-questionner les normes ? Ou bien encore une tranche d’âge ? Transmet-on un savoir ou de l’énergie ? Autant de questions qui resteront en suspens. Ici, aucun modèle prêt-à-penser, mais l’occasion de se réapproprier des fondamentaux par l’étonnement.
Le personnel a continué sur la lancée de l’introduction en participant à une agora. Lieu de délibération des citoyens dans la Grèce antique, ils ont « pensé ensemble », sous la forme de « grappes » libres de se défaire et de se reformer. L’occasion pour les participants de se saisir de questions sur le rôle éducatif, les évolutions du métier, les attentes mutuelles des jeunes et des formateurs, le contenu de la transmission aux jeunes et la vision qu’ils ont des jeunes au quotidien).
Puis, à l’apogée de la journée, le débat collectif entre les participants et le philosophe, dont voici quelques passages croqués sur le vif :
« Les gens sentent si c’est de la politesse ou non… »
Le respect, valeur fondamentale ou « tarte à la crème » ?
Le respect est invoqué par tous comme une nécessité, mais qu’entend-on par ce mot ? Est-ce que le respect induit de s’en tenir aux mots ou est-ce qu’il induit l’intention ? Dire « bonjour » est-il indispensable ou bien un sourire est-il satisfaisant ? Relève-t-il du devoir mécanique ou du désir de créer du lien avec l’autre ? Il semble que l’importance du « respect » et de la politesse s’ancre par-delà les conventions, comme l’indique la remarque d’une participante : « Les gens sentent si c’est de la politesse ou non… ».
Dans quelle mesure les dénominations ont-elles une incidence sur la perception d’un objet ? Toutes les formations visent-elles des pratiques ? Changer le nom des matières comme le français et les mathématiques pourrait-il changer les rapports des élèves à ces enseignements ?
- Quelles différences entre communiquer, transmettre et accompagner ?
La « communication » envisage le retour dans l’instant. À contrario, la « transmission » permet de diffuser la réception du savoir dans le temps. Celui qui s’en saisit le fait à son rythme et le transforme. Une participante exprime la transmission ainsi : « On sème des petites graines qui germent trois ans après ». L’« accompagnement » considère l’élève comme « source de valeur », un « feu qu’on allume ».
Une participante a relevé ces trois postures d’enseignement de cette manière : « On les met dans un chemin ou on les aide à construire leur propre chemin, on leur donne de nouveaux horizons ».
« Respect », « instruction », « éducation »… « On a de grands principes mais on ne les discute plus », selon Bernard Benattar. Or, « il faut trouver des valeurs communes, des quêtes partagées ». C’est par ce détour que les différences s’amenuisent et que les masques tombent.
Une piste ne serait-elle pas, dans les rapports de formateur/apprenti comme dans ceux de la direction /salariés, de considérer l’autre comme « source de valeur » (Paul Ricœur) ? Et si on pensait à ce que l’autre peut nous apporter ?