Organisations
Pénibilité : si on reparlait du travail et de ses conséquences sur la santé des salariés ?
Depuis le 1er janvier 2012, le dispositif législatif et réglementaire concernant la prévention de la pénibilité est entré en application. En remettant la pénibilité à l’ordre du jour, la loi sur la réforme des retraites a complété la législation sur deux aspects principaux : donner un cadre à la prévention ; prévoir des mesures de compensation basées sur un départ anticipé à la retraite.
Qu’en est-il sur le terrain ? Quels premiers constats apporter ?
Comme l’actualité nous l’a récemment montré, avec le rejet de l’accord dans la métallurgie, très peu de branches ont signé un accord. La chimie a stoppé net ses négociations. Le BTP a signé un premier accord mais ce dernier a, pour le moment, mis de côté le sujet de la compensation (la mise en place d’un compte épargne-temps « pénibilité »). Du côté des entreprises, on le voit également, les négociations n'ont rien d’un long fleuve tranquille.
Pour quelles raisons ?
J’en vois principalement deux. Tout d’abord, le dispositif législatif a restreint le droit au départ anticipé pour pénibilité dans une vision individuelle et médicale qui limite très fortement le nombre de bénéficiaires. Il ne répond pas aux attentes des organisations syndicales qui demandent plus d’équité face aux écarts flagrants d’espérance de vie. La loi a renvoyé aux négociations de branches ou d’entreprises d’éventuelles avancées dans ce domaine, mais sans dispositif de financement, les employeurs n’y sont pas favorables.
De nombreuses négociations échouent donc sur ce refus des employeurs d’ouvrir la porte sur la question des départs anticipés. Ensuite, la loi a compliqué la tâche des négociateurs, en introduisant la notion de seuils d’exposition aux facteurs de pénibilité, sans préciser ces seuils. De plus, cette notion de seuils est ambiguë car elle renvoie à la fois à des objectifs de traçabilité, de prévention et de compensation. Craignant d’avoir à compenser les situations de pénibilité, les directions sont enclines à ne prendre en compte que les postes dépassant les seuils « hauts » (c'est-à-dire les valeurs limites d'exposition) ; or, c’est tout le contraire d’une démarche de prévention qui doit s’intéresser aux risques avant d’atteindre la limite haute !
Il y a cependant des entreprises où le dialogue social fonctionne bien, des accords ont été signés, d’autres sont en passe de l’être. Mais il faut pour cela dépasser cette question des seuils et traiter, métier par métier, des véritables enjeux de prévention pour l’entreprise et les salariés.
Sur quels leviers peuvent s’appuyer les représentants du personnel ? Comment peuvent-ils agir ?
L’une des satisfactions de la loi et des décrets d’application réside dans le renforcement du rôle du CHSCT, désormais encore plus légitime pour se préoccuper de la pénibilité, influencer et agir. Ce dispositif législatif est aussi l’occasion de remettre à l’ordre du jour la prévention des risques dans l’entreprise : reparler des enjeux de santé au travail, revoir et compléter l’évaluation des risques, renforcer la démarche de prévention et améliorer la traçabilité des expositions professionnelles. Chez SECAFI, nous pensons en effet que les représentants du personnel ont un rôle important à jouer en mettant en lumière les facteurs de pénibilité auxquels les salariés sont exposés, pour les faire tracer dans les fiches d’exposition. Car, l’entreprise doit établir une fiche individuelle d’exposition pour chaque salarié exposé à un ou à plusieurs facteurs de pénibilité. Cette fiche mentionne les conditions de pénibilité, la période d’exposition et les mesures de prévention mises en œuvre. Elle est communiquée au médecin du travail et au salarié en cas de départ de l’établissement. Le CHSCT a un rôle de premier plan dans la mise en place du processus de traçabilité. C’est une étape importante, car les employeurs ont une obligation de résultat en matière de santé au travail, une bonne traçabilité des expositions est donc une incitation très forte à l’amélioration des conditions de travail.
Quant à la démarche de prévention, nous recommandons aux représentants du personnel de ne pas se laisser enfermer dans une approche de mise en conformité règlementaire. L’objectif, au contraire, c’est d’élargir la démarche de prévention à l’ensemble des facteurs d’usure professionnelle, qu’ils aient été retenus ou non dans le décret. Il faut arriver à dépasser la question des seuils et revenir au travail, pour traiter des véritables enjeux pour l’entreprise et les salariés : l’amélioration des conditions de travail, les aménagements de poste, les parcours professionnels et les possibilités de reclassements…