Les ruineuses et désespérantes productions de la technocratie française
Florilège des quelques unes de nos récentes trouvailles réglementaires...
- Le CICE : qui a consisté à reverser de l'argent à des entreprises en année n+1 alors qu'il aurait été simple et efficace d'immédiatement appliquer une baisse généralisée et pérenne des charges qui pèsent sur le travail.
- Le compte de formation ou comment on a détruit en quelques années le droit à la formation (le DIF) pour le transformer en un risible et dérisoire compteur d'heures, complexe, non financé et utilisé par 1 % des salariés en 2016.
- Le compte de pénibilité ou comment figer les travailleurs dans leurs situations sociales, leurs postes « pénibles », tout en désorganisant et en démoralisant les employeurs.
- L'impôt à la source ou comment transformer les entreprises en supplétives de l'État, perceptrices d'un impôt bien trop complexe alors qu'il est évidemment possible de rendre l'impôt payable par prélèvement et pour tous.
- Les nouvelles délimitations des régions : au lieu de démanteler l'invention napoléonienne des départements (qui pouvaient être parcourus à cheval en une journée), on a préféré jouer aux dés avec les régions en mimant leurs recompositions pour imiter les landers allemands (sans le pouvoir dont ils disposent dans un État fédéral).
- L'ex-loi El Khomri ou comment braquer les syndicats tout en faisant adopter, sans débat, un texte laborieux, complexe et largement insuffisant pour résoudre nos problèmes de compétitivité.
Dès le milieu des années 1960, Michel Crozier avait décrit la bureaucratie française et les impasses dans laquelle celle-ci nous entraîne.
En 1977, le sociologue des organisations Michel Crozier (qui, dès 1965, a décrit le phénomène bureaucratique) a rédigé un petit ouvrage intitulé On ne change pas une société par décret.
Ce dernier livre n'a malheureusement pas eu d'effet sur l'ENA, Polytechnique ou notre système de « haute » fonction publique.
Michel Crozier décrivait ainsi les 4 tares de la bureaucratie française :
- aliénation bureaucratique : une administration souffrant d’une trop grande centralisation et stratification ;
- l'Éducation nationale s’est transformée en un monde autonome qui s’autogére, mais reste fermé sur l’extérieur ;
- la recherche française est de moins en moins mobile et dynamique et meurt de sa bureaucratisation ;
- cadres au sein de l’entreprise : l'« effet édredon », ou la multiplication des postes hiérarchiques interdépendants, ce qui crée un cloisonnement et une coupure avec les directions générales.
Les solutions innovantes et pragmatiques que préconisait Michel Crozier n’ont pas été expérimentées en France :
- une concurrence intellectuelle : afin d’éviter le cloisonnement des élites dans un système de non-communication, Michel Crozier prône une concurrence intellectuelle, ôtant les barrières sociales et professionnelles dans les décisions. Les élites intellectuelles ne devant plus avoir le monopole de la culture décisionnelle ;
- une véritable stratégie de l’investissement. La mise en place d’une stratégie des « coûts et avantages » permet ainsi de réformer selon le contexte et dans le long terme et d’éviter les réformes rapides, complètes et définitives ;
- « jouer la connaissance » dans la recherche : il faut rendre les chercheurs mobiles, accorder plus de place aux jeunes afin de dynamiser le système et former les chercheurs à des expériences multiples ;
- « jouer l’entreprise » : selon Michel Crozier, seule l’entreprise libre sur un marché libre permet le développement de l’égalité car c’est seulement dans les entreprises privées que l’on peut créer de nouvelles conditions de travail innovatrices. La nationalisation n’est donc qu’un méfait.
Alors qu’un nouveau pouvoir (qu'on espère émancipateur) promet à la France une véritable entrée dans le XXIème siècle, il faut relire Michel Crozier et mesurer le poids de ces anciens blocages sociaux et intellectuels (calés sur la défunte société industrielle d'après-guerre).