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05 / 05 / 2017 | 83 vues
Michel Debout / Membre
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Le travail en 2022 : une source de bien-être psychologique et un facteur de souffrance

Le travail en 2022

Une série de chroniques à suivre sur Miroir Social
- Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine

À venir :
- Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia
- Marie-Jeanne Fouqué, présidente déléguée de la mission locale de Toulouse

Retrouvez les chroniques de :
- Anne-Julienne Tillay, secrétaire générale de l'UNSA Paris > Perspectives critiques
Françoise Maréchal-Thieullent, avocate médiatrice chez Lawcean Selarl Interbarreaux > Retrouver la sérénité par les modes de règlement amiable des conflits
- Brigitte Dumont, directrice RSE d'Orange > Comment les grandes entreprises se mobilisent pour répondre aux mutations de l’économie et pour la qualité du travail ?

Au-delà de de l’utilité économique et sociale du fait de travailler, on ne prend pas suffisamment en compte la contribution du travail au bien-être (c’est-à-dire à la santé) psychique de chaque travailleur, ce en réponse à trois besoins essentiels de leur psychisme : besoin d’identité, de reconnaissance et de liens interpersonnels.

  • Besoin d'identité

La précarisation de l’emploi déstabilise ce besoin de stabilité que cherche aussi le psychisme pour fonctionner de façon sereine.Certes, le travail n’est pas la seule activité humaine qui réponde à ces trois besoins et chacun peut trouver une réponse au besoin d’identité, par la pratique culturelle par exemple, au besoin de reconnaissance par un exploit sportif ou celui du lien par une implication associative. Il n’en reste pas moins que dans la société telle qu’elle est organisée pour longtemps encore, avoir un travail reste l'une des grandes réponses pour le bien-être psychique des individus.

Bien plus, les évolutions actuelles dans le champ de la production (salariat, producteurs indépendants ou agriculteurs) percutent ce qui donnait à chaque individu la possibilité de trouver par son travail une inscription dans un temps suffisamment long pour se construire un avenir ; la précarisation de l’emploi déstabilise ce besoin de stabilité que cherche aussi le psychisme pour fonctionner de façon sereine.

En ce qui concerne l’identité, nous assistons à une véritable mise en cause du socle identitaire procuré par le travail, qui a mué en quelques décennies de la réalité d’un métier en celle d’un emploi. Hier, le métier identifiait les travailleurs non seulement au niveau social mais aussi global. Aujourd’hui, il n’est plus question que d’employabilité, un terme déshumanisant par l’élimination qu’il suppose des capacités de chaque individu à produire et à créer dans une réalité spécifique ancrée dans une histoire souvent séculaire. L’identité liée au métier, c’est aussi la possibilité de s’inscrire dans une corporation, de se sentir appartenir à un groupe humain (d’autres parlaient naguère de classe sociale), cette appartenance devenant le socle des solidarités, professionnelles et sociales qui se sont souvent exprimées au cours du temps et qui se délitent sous nos yeux.

  • Besoin de reconnaissance

Le besoin de reconnaissance, lui, connaît une remise en cause fondamentale dans l’organisation du travail, ayant substitué à l’apport de chacun dans la production de tous, une mise en concurrence généralisée qui vise à classer les individus les uns opposés aux autres .
Cette concurrence oblige chaque travailleur à surdéterminer la place du travail dans sa vie personnelle et ainsi dans son équilibre psychique, jusqu’à se faire psychologiquement envahir par ses obligations professionnelles et s’épuiser à le faire. Il souffre alors d’un véritable épuisement professionnel qui constitue une atteinte psychique préoccupante et à risque pour sa santé.

  • Liens interpersonnels

La troisième évolution est liée à la disparition progressive des collectifs de travail donc des liens que chacun constitue dans son travail avec les autres : collègues, hiérarchie, clients et usagers, un lien qui se construit dans le temps, celui qui permet un véritable partage entre les gens.

L’exemple le plus emblématique de cette fin des collectifs est l’ubérisation qui a pour conséquence de transformer tout contrat de travail (avec ses règles et ses engagements réciproques employeurs/employés) en un simple contrat de type commercial, c'est-à-dire la vente (immédiate et sans intermédiaire) d’un service, d’une activité ou d’une production avec celui qui est prêt à l’acheter sur le champ ; les relations s’établissent grâce aux smartphones et autres tablettes.

Les travailleurs ubérisés sont au quotidien à la merci de leurs clients d’un jour, qu’ils ont très peu de chances de revoir ; il n’y a pas de constitution d’une clientèle mais simplement l’obligation de répondre au jour le jour et au plus vite à la demande des usagers. Aujourd’hui pour les taxis, demain peut-être (ce serait une véritable impasse sociétale) pour l’ensemble  des services auxquels chacun peut avoir recourt au quotidien. Pour l’ensemble de ces raisons, le travail, normalement protecteur de la santé psychique des individus, est en passe de devenir l'une des causes de leur souffrance.

Dans la société telle qu’elle est organisée aujourd’hui il faut sans cesse rappeler que la plus grande souffrance psychique est provoquée par la perte du travail.

Le chômage est à l’origine d’un véritable traumatisme psychique qui se complique souvent  d’un état  de stress qui dure le temps que dure le manque d’emploi ; il peut se compliquer d’un état dépressif, d’un risque addictif et l’apparition de conflits relationnels pouvant aller jusqu’à la désocialisation des chômeurs. Une enquête récente que nous avons menée avec l’IFOP montre qu’en France, près d’un chômeur sur trois a déjà sérieusement pensé à se suicider…

Ces éléments désespérants s’ajoutant à un état d’anomie sociale principalement lié aux incertitudes de tous ordres : économiques, sociales, technologiques, biologiques, qui caractériseraient le monde d’aujourd’hui et déstabiliseraient beaucoup de nos concitoyens.
A ces différentes atteintes de la santé liées au travail et / ou au chômage, il faut considérer enfin les grandes difficultés liées aux conditions de transports.Dans la société actuelle très segmentée et dispersée, chaque travailleur est obligé quotidiennement de passer un temps ( toujours trop long ) de transport individuel ou collectif, pour se rendre sur son lieu de travail et revenir à son domicile. Ce temps de transport dans les conditions actuelles d’embouteillages pour les véhicules individuels, et de surcharge pour les transports collectifs, est une source de mal-être psycho relationnel, sans parler d’authentiques agressions ou d’accidents parfois mortels. L’aggravation de la pollution atmosphérique, avec l’émission de gaz à effets de serre et de particules fines, facteurs très pathogènes en termes de santé publique et à travers le changement climatique pour la santé de la planète elle-même.

Protéger la santé santé psychologique et relationnelle des travailleurs

Pour protéger la santé psychologique et relationnelle des travailleurs, deux propositions peuvent trouver leur mise en œuvre rapide grâce à la mobilisation de tous.

D’abord, la reconnaissance en maladie professionnelle de tous les troubles psycho-relationnels liés au travail et au chômage.

Cela suppose un nouveau tableau des maladies professionnelles permettant de reconnaître  l’ensemble des troubles psychiques liés à des situations de travail difficiles, comme l’épuisement professionnel, le harcèlement moral et le surstress. Il y a un siècle, nous avons su définir les tableaux des maladies professionelles correspondant aux pathologies de l’époque, essentiellement liées aux efforts physiques et aux contraintes physiologiques. Il nous reste aujourd’hui à écrire les tableaux des maladies professionnelles du XXIème siècle, principalement liées aux contraintes psychiques provoquées par l’organisation du travail.

Quant à la santé des chômeurs, il faut considérer qu’elle constitue un grave problème de santé publique : la surmortalité des chômeurs par rapport à une population équivalente ayant un  travail, correspond à près de 18 000 morts chaque année en France. La mise en place d’une médecine préventive pour les chômeurs, comme il en existe une pour ceux qui ont un  travail, est donc une impérieuse nécessité à laquelle les gouvernants de notre République  n’ont toujours pas donné de réponse, alors que la proposition leur est posée depuis plus de 20 ans.

Il faut enfin améliorer les conditions de transport et c’est une priorité. Beaucoup trop de salariés arrivent fatigués à leur travail plus qu’ils ne sont réellement fatigués par leur travail.
Nous devons avoir comme objectif la réduction hebdomadaire d’un aller-retour domicile-travail pour chaque  travailleur, ce qui entraînerait la fin des embouteillages, des transports en  commun surchargés.

Grâce au télétravail et pour chaque salarié, une journée de travail peut s’effectuer à domicile ; il ne s’agit pas de transformer tout le travail en télétravail, il s’agit simplement d’une utilisation efficiente de cette conquête technologique.

Du fait des robots et de l’intelligence atificielle, il est possible que le travail se raréfie ; il nous faut penser la future organisation du travail et surtout mettre en œuvre les transitions nécessaires ainsi que les preventions utiles.

Le temps libre n’est pas un temps perdu, il est aussi necessaire au bien-être de chacun. Le temps de travail et le temps libéré pour la vie personnelle, familiale et sociale permettront à chacun une vie harmonieuse dans une société redevenue désirable.

 

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