Participatif
ACCÈS PUBLIC
01 / 02 / 2013 | 167 vues
Caroline Werkoff / Membre
Articles : 2
Inscrit(e) le 15 / 12 / 2009

Le droit au repos des cadres : un concept juridique indispensable

La durée du travail fait l’objet de nombreuses modifications depuis 2000 et engendre un problème de lisibilité et d’efficacité de la législation en vigueur. Rendue dépendante des choix politiques et économiques du pays et de l’Union européenne, la simplification du droit de la durée du travail connaît régulièrement des retournements de situation selon la catégorie de salariés concernée. Partant de ce principe, comment appréhender l’influence du temps de repos sur le droit du travail ? Face à l’assouplissement du régime de la durée du travail et à l’élargissement des différentes catégories de salariés soumis à des régimes de temps de travail dérogatoires, le droit au repos influence le droit du travail dans le but désormais intangible d’assurer la protection de la santé des salariés dans le respect de leur liberté individuelle et de leurs droits fondamentaux. L’exemple offert par la situation des cadres est assez significatif.

Petit retour en arrière sur la catégorie « cadre »

Notion militaire au départ, le terme de « cadre » apparaît en entreprise vers 1936. Il exprime une certaine hiérarchie allant du cadre moyen au cadre supérieur. À l’origine, la reconnaissance de la qualité de cadre est soumise à une double condition. Un poste de cadre commande une formation diplômante solide et la capacité de diriger des collaborateurs. Chaque entreprise possède alors ses propres critères pour qualifier le personnel entrant ou non dans la catégorie des cadres. Salaire, fonctions, diplômes, compétences, pouvoirs, responsabilités ou large autonomie, affiliation au régime de sécurité sociale ou de retraite sont autant d’éléments qui servent à identifier le cadre. En 1993, la directive 93/104/CE vient déterminer le champ d’application du travail des cadres. Ainsi, l’article 17 précise au niveau de ses dérogations que « dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, les États membres peuvent déroger aux articles 3, 4, 5, 6, 8 et 16 lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l'activité exercée, n'est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes et notamment lorsqu'il s'agit : de cadres dirigeants ou d'autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome […] ». L’absence de mesure de temps de travail, ou l’absence de prédétermination de celui-ci et le rôle actif du cadre lui-même dans la fixation de son temps de travail, constituent des éléments majeurs du statut juridique du cadre, caractéristique de la spécificité de ce statut au regard du décompte du temps de travail et de repos.

  • En France, c’est la loi du 19 janvier 2000 qui introduit au sein du Code du travail une section « dispositions particulières relatives aux cadres » dans le chapitre sur la durée du travail. Le législateur distingue ainsi trois nouvelles catégories de cadres et détermine pour chacune d’elle le régime du temps de travail applicable, notamment par un système forfaitaire. Les premiers sont ceux intégrés à une équipe et dont l’horaire peut être prédéterminé. Ici, la gestion du temps de travail est alignée sur celle des autres salariés. Les seconds sont ceux qui relèvent d’une convention de forfait, en heures ou en jours sur l’année. La troisième concerne les cadres dirigeants qui voient, eux, leur exclusion du droit du travail.

 

L’organisation du droit au repos du cadre dirigeant, une solution introuvable

L’article L. 3111-2 du Code du travail précise que les cadres dirigeants sont soustraits à la plupart des dispositions du Code du travail relatives à la durée du travail, au travail nocturne, au repos quotidien et hebdomadaire, aux jours fériés et aux durées maximales de travail. Cependant, même si les dispositions relatives à la durée du travail ne leur sont pas applicables, certains temps de repos leurs sont accordés. En effet, le droit au repos annuel (les congés payés), le congé du repos des femmes en couches, les congés non rémunérés ainsi que les congés pour événements familiaux restent applicables. De la même façon, le cadre dirigeant conserve son droit à se créer un compte épargne temps. Dans la prolongation de l’organisation de son temps de travail, le cadre dirigeant peut également organiser ses temps de repos. Dès lors, le droit au repos influence le temps de travail du cadre dirigeant, car bénéficiant de certains temps de repos qualifiés d’« accessoire », ce dernier organise son temps de travail et son droit au repos.

Difficile à appréhender, cette nouvelle mesure du temps de travail n’étant pas qualifiable, le cadre dirigeant a droit au nom du respect de sa santé physique et, au nom du respect de sa vie personnelle et familiale à un droit au repos quantifiable et de qualité conformément au droit interne et exigences du droit communautaire au sein de la directive 2003/88 (ancienne 93/104). Mais, ne sachant pas établir un droit au repos précis du cadre dirigeant, il convient de restreindre considérablement cette catégorie. Ces critères impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise, peu important sa taille. Ainsi, l’ouverture vers ce régime particulièrement dérogatoire de la durée du travail n’est pas systématique, la qualification en cadre dirigeant est strictement interprétée par le juge qui vérifiera les conditions réelles d’emploi du salarié, peu important que l’accord collectif applicable retienne, pour sa fonction, la qualité du cadre dirigeant.

Les cadres intégrés

Est aujourd'hui « intégré » le cadre dont les fonctions le conduisent à suivre les horaires de l'équipe, de l'atelier ou du service où il travaille. Des heures supplémentaires lui sont dues au-delà des 35 heures hebdomadaires de travail. Une fois la durée légale ainsi déterminée à 35 heures, l’employeur est libre d’aménager le temps de travail et de prévoir une durée du travail supérieure à la durée légale par le mécanisme d’heures supplémentaires et du contingent libre d’heures supplémentaires ou de clauses de convention de forfait insérées au sein du contrat de travail. Il doit bien entendu respecter les dispositions légales relatives aux durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail ainsi que les repos minimum.

Les cadres autonomes

Les cadres « autonomes » ne sont ni dirigeants, ni intégrés et le régime de la durée du travail ne leur est applicable que partiellement.

Ces salariés ont la qualité de cadre au sens de l’article 4, al. 1 de la convention collective de retraite et de prévoyance des cadres de 1947, à ceci près qu’ils ne sont pas intégrés à une équipe, qu’ils ne doivent pas suivre l’horaire collectif et qu’ils ne sont pas non plus dans le cercle devenu restreint des cadres dirigeants. Ces salariés sont donc des cadres ou des salariés itinérants non cadres « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée ou qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leurs sont confiées.», définition étendue par la loi du 2 août 2005.

Les dangers du forfait-jours


Les salariés qui bénéficient d'une convention de forfait annuel en jours ne sont pas soumis aux durées maximales journalières et hebdomadaires. La durée du travail est contractuellement fixée en jours, mais ne peut excéder 218 jours dans l'année. Cependant, depuis la loi du 20 août 2008, les salariés peuvent, en accord avec l'employeur, renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de leur salaire, la durée maximale annuelle étant alors portée à 235 jours.

Ces accords conventionnels sont réservés aux cadres et aux salariés non-cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Ici, le système de calcul du temps de travail, pour ces salariés, sans référence horaire et sans durée maximale hebdomadaire du travail peut s’avérer dangereux pour la santé des salariés.

  • L'application du droit à un repos journalier de 11 heures et du droit au repos hebdomadaire de 35 heures limite la durée hebdomadaire du travail des salariés en forfait-jours à 78 heures.

 

78 heures : une durée manifestement excessive

Cette durée de 78 heures est vivement critiquée par le comité européen des droits sociaux, qui considère cette durée manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable. Le CEDS estime que le droit français n'apporte pas de garanties suffisantes aux salariés. Cette idée a depuis 2010 des répercussions dans notre droit interne. Récemment dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de Cassation réaffirme l’exigence, pour la validité du forfait jours, d’un suivi de la durée et de la charge de travail des salariés concernés. Aussi, elle décide qu’un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique sur la charge et l’amplitude de travail du salarié en forfait jours, ainsi qu’un examen trimestriel par la direction de ces informations prévues par l’accord collectif n’est pas suffisant pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Cet arrêt s’inscrit pleinement dans la jurisprudence du 29 juin 2011 qui précise que toute convention individuelle de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. Ainsi, pour que le forfait jours soit valide, l’accord collectif doit prévoir des outils de contrôle régulier de la charge de travail des salariés en forfait jours, allant bien au-delà du seul entretien annuel.

La question de l’influence du droit au repos sur le droit de la durée du travail reste entière : comment appréhender le calcul et le contrôle de la mesure du temps de travail si ce n’est en lui permettant de contrôler la prise de ses temps de repos exigibles ? Le droit au repos devient ainsi au sein de ces conventions de type particulier la clef de voûte du temps travail, car c’est par le droit au repos imposé au salarié que le droit du travail se trouve protégé. S’agit-il là pour autant d’une protection accrue ?

Par Stéphanie Lecocq

Pas encore de commentaires