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25 / 06 / 2012 | 22 vues
Arnaud Ferchal / Membre
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La pénibilité : un enjeu partagé

Il n’y a pas d’un côté ceux qui sont exposés à la pénibilité et de l’autre ceux que cela ne concerne pas. C’est le principal risque induit par la négociation de la pénibilité, à l’aune d’un mécanisme de réparation interprofessionnelle très restrictif qui ne valorise pas la prévention. Retour sur les échanges du café social du 6 juin, parrainé par le cabinet Ingeneris’k et qui a croisé la réalité des approches sur le terrain.

La loi sur la pénibilité de novembre 2010 est loin d’être parfaite mais elle a au moins le mérite de poser le débat. Et surtout pas un débat d’experts mais les conditions d’un échange avec tous les acteurs de l’entreprise à partir d’un diagnostic de terrain. « Le document unique d’évaluation des risques professionnels est trop souvent réservé aux experts sans aucun caractère opérationnel. Nous en avons vu qui affichaient près de 2 000 pages. Lors de notre diagnostic de terrain avec la participation des opérateurs et des managers, chaque facteur de pénibilité identifié est évalué sur une échelle d'un à cinq, qui prend notamment en compte le niveau et le temps  d’exposition. Ce n’est pas une évaluation en termes de pénibilité ou non, des niveaux sont évalués pour chaque facteur de pénibilité. Le niveau cinq est classé en pénibilité. Cette méthode très simple et pratique, permet, lorsqu’il est impossible de supprimer le facteur de pénibilité (travail de nuit) d’en améliorer les conditions de  réalisation »,  explique Jean-Jacques Ferchal, fondateur du cabinet Ingeneris’k et ancien directeur du département santé, sécurité et conditions de travail du groupe Renault jusqu’en 2008.

Se frotter à la réalité du terrain

Des fiches de cotation de chaque poste de travail sont ainsi réalisées en prenant en compte les 9 facteurs de pénibilité déterminés par le décret. Pour évaluer, il faut prendre le temps d’échanger avec les salariés pour appréhender la réalité du travail. « Porter une charge », cela signifie quoi par exemple ? Autre point, en discutant avec les caristes, les consultants d’Ingeneris’k se sont rendus compte que sur un site, c’était moins les vibrations mécaniques que la torsion du tronc et du cou liée à la conduite en marche arrière qui était source de pénibilité. Une approche par les postes de travail qui conduit donc à évaluer la pénibilité ressentie. Dans une entreprise, le contrôle qualité des pièces se réalise au défilé. L’attention et la fatigue visuelle font que ce poste n’est pas tenable plus de 15 minutes en continu. Certaines entreprises classeront ce poste en  fatigue visuelle et pas en pénibilité. La vue, dans ce cas avec la polyvalence, ne sera pas retenu comme un geste répétitif. Il est à noter que des facteurs comme les risques psychosociaux, le rayonnement ionisant, les temps de déplacement n’ont pas été retenus par la loi.

  • Selon Jean-Jacques Ferchal, « il n’y a jamais d’ambiguïté. Les salariés tombent très vite d’accord pour identifier les postes les plus difficiles à tenir. Et cela ne leur prend pas longtemps pour le faire ».

Reste ensuite à « coter » chaque poste en intégrant pour les personnes la pondération liée à la polyvalence, ce qui n’est pas une mince affaire. Si la mesure est un préalable essentiel, mieux vaut ne pas s'arrêter là et réduire par des actions concrètes les facteurs d’exposition.
Les outils utilisés par Ingeneris’k permettent d’évaluer, le niveau de pénibilité des postes, le niveau de sollicitation pour les personnes, mais également d’identifier les personnes exposées à plusieurs facteurs

Panorama des solutions préventives

Chez Nestlé France, moins de 50 % des 18 000 salariés qui travaillent dans une myriade de sociétés (entre 80 et 1 200 salariés) sont plus ou moins exposés à des facteurs de pénibilité : du travail de nuit, au travail par moins 25°C dans le surgelé à certaines situations de travail à plus de 35°C dans la déshydratation du lait. « Nous considérons que le travail par des températures extrêmes est moins pénible que les rythmes alternants », déclare Philippe Courrèges, responsable HSE du groupe, qui souligne que la contrainte légale de la pénibilité a été l’occasion de se poser des questions sur l’organisation du travail. « La restriction d’aptitude qui va concerner un membre d’une équipe polyvalente nous conduits désormais à réfléchir à un nouveau mode de fonctionnement afin de garantir la solidarité », illustre-t-il. Nestlé France a cartographié ces facteurs de pénibilité et surtout les façons de les réduire selon que les solutions à mettre en place étaient faciles et chères, faciles et pas chères, complexes et chères, complexes et pas chères. À titre d’illustration, développer le covoiturage au sein des équipes de nuit fait ainsi partie des solutions faciles et pas chères.

Nestlé France a fait le choix d’accompagner notamment la fin de carrière des salariés les plus exposés plutôt que d’anticiper le départ à la retraite au travers d’un mécanisme de réparation. L’occasion de se pencher sur les véritables leviers susceptibles de prendre en compte la pénibilité lorsque les personnes concernées se trouvent encore en poste avec l’enjeu social de contribuer à un « mieux-être » général au travail.

Une « loi incapacité » à réformer

Reste qu’un mécanisme de réparation interprofessionnelle s’impose. Celui mis en place par la loi de novembre 2010 risque fort d’être réformé car trop restrictif, trop rigide, trop médicalisé. « Un taux d’IPP de 20 %, c’est une main en moins. Il ne faut pas raisonner incapacité mais bien pénibilité pour permettre aux démarche de prévention de s’effectuer », estime Jean-Jacques Ferchal qui considère qu’il vaudrait mieux évoluer vers un système de réparation qui valoriserait davantage les années de travail sur des postes pénibles. « À partir du moment où ce sont vraiment les personnes les plus exposées qui anticipent un peu le départ, la mesure serait tout à fait acceptée par les personnes qui n’y seraient pas éligibles », ajoute-t-il. Trente-huit années passées sur des postes pénibles pourraient ainsi être valorisées 41 ans. Le système serait directement lié à la mesure de la pénibilité propre à chaque entreprise avec des organismes comme les ARACT ou encore les CARSAT, qui seraient habilités à valider les diagnostics pour éviter les exagérations.

« Le financement de ces départs pourrait se faire par une majoration des cotisations retraite des personnes en poste sur des activités sources de pénibilité. Il y a matière à être dubitatif dès lors qu’une loi renvoie vers des comités médicaux pour trancher. Il ne faut pas se leurrer, les décisions des comités régionaux chargés de valider les demandes de reconnaissance ne seront pas homogènes, preuve que l’objectivité médicale sur la question de l’incapacité n’existe pas », déclare Gilles Errieau, médecin préventeur à la MNT (Mutuelle Nationale Territoriale) qui couvre en prévoyance près de 400 000 agents territoriaux et qui mesure de ce fait une augmentation des arrêts de travail de plus de 90 jours sur une population particulièrement exposée à la pénibilité.

« Nous ne nous bornons pas à une stricte approche médicale mais essayons de comprendre les facteurs de risques », explique Gilles Errieau. Une approche préventive qui se traduit notamment au travers des études produites par l’observatoire social territorial de la MNT qui contribuent à mieux saisir les facteurs de risque. Et Jean-Jacques Ferchal de prédire que « les modes de diagnostic de la pénibilité doivent sans cesse évoluer, se remettre en cause pour mieux prévenir ».

Contacts Cabinet Ingeneris'k
Jean Jacques Ferchal : 06 12 99 94 79
Arnaud Ferchal : 06 03 70 62 41

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Personnellement, je regrette le choix de ce terme de pénibilité car il sous-entend une perception par le salarié des dommages qu'il subit à court ou moyen terme. Tel que je l'entends, le terme de nocivité inclut la pénibilité mais va plus loin en englobant des dommages non perceptibles par la personne concernée. Pour prendre un exemple dans un autre domaine, le fumeur ne trouve pas que fumer est pénible, c'est même pour lui une source de plaisir et de soulagement, mais l'une après l'autre chaque cigarette est nocive à long terme. Qu'en pensez-vous ?