Organisations
La formation de l'encadrement est-elle un levier du changement ?
Canal+ (comme la majorité des entreprises) n’échappe pas à la question éternelle : quelle place réserver à l’encadrement dans l’organisation?
Cette question récurrente est à nouveau au cœur du débat social dans notre entreprise secouée par de multiples questionnements sur son organisation, son efficacité, son avenir…
Mais de quel encadrement parle-t-on ? Du cadre intermédiaire au cadre dirigeant, la position de ces collaborateurs au rôle central est en mutation. Parfois vilipendés parce que simple courroie de transmission hiérarchique, parfois tancés pour des prises de positions jugées trop indépendantes, parfois taxés d’incapacité, coincés dans des organisations peu lisibles ou déstructurés, le cadre d’aujourd’hui est sous pression et c’est particulièrement vrai à Canal+.
Dans notre « belle maison », quand cette question se pose, c’est souvent un projet de formation qui vient en réponse. Depuis plusieurs années, la formation des cadres est l’un de ces « marronniers » qui occupent l’espace régulièrement.
- Est-ce qu’en renouvelant une offre de formation pour l’encadrement, on résoudra des problèmes structurels de nos organisations ? Rien n’est moins sûr. Pire, les déceptions sont toujours à la mesure de l’investissement et bien souvent, le remède dispensé s’avère plus néfaste que le mal, nous l'avons constaté de nombreuses fois, nous rendant ainsi dubitatifs lorsque des projets de formations destinés à l'encadrement surgissent.
- La formation de l'encadrement est-elle un levier du changement ? Pour réfléchir à cette question, ne faut-il pas tout d’abord se questionner sur ce que l’on attend de notre encadrement, sur les moyens qu’on lui donne, sur la liberté d’action qu’on lui laisse ?
Qu’attend-on d’un cadre ? C’est une banalité, encore que certain semble parfois l’oublier au plus haut niveau de notre entreprise : on ne peut plus diriger une entreprise, un groupe, une équipe, sur la base d’une autorité posée a priori comme incontestable, on ne peut plus être dans l’ordre du prescriptif.
Quand un manager donne du travail, fait une évaluation, quand il fixe des objectifs quand il délègue, fait-il grandir son équipe ou la maintient-il au contraire dans un état de suggestion ? Finalement, s’agit-il de maintenir ses équipes dans un état d’habitudes plus ou moins bonnes, de compétences plus ou moins élaborées ou médiocres ou bien de valoriser les individus qui la composent pour les rendre plus autonomes plus responsables, en un mot plus compétents ?
Peut-on pour autant se contenter d’une conception trop molle de l’encadrement ? C’est toute la question du fonctionner ensemble qui est ainsi posée. Car un manager ne réussit pas seul, ou alors il échouera toujours. C’est avec son équipe et sa capacité à la mobiliser qu’il réussira. La performance est un enjeu collectif, ce n’est jamais un enjeu individuel, dans ce domaine, l’esprit de clocher est synonyme d’échec, quand bien même les compétences seraient bien sélectionnées et réunies.
Objectifs précis, délégation de pouvoir, moyens mis à disposition, modèles d’évaluations… l’encadrement est au carrefour de l’ensemble de ces paramètres sur lesquels il doit pouvoir agir, en liberté et en responsabilité. Il faudrait pour compléter ce tableau, évoquer le recrutement et laisser aux managers leur mot à dire dans ce domaine. Vaste programme, pas trop dans l'air du temps...
Car le management est un art et pas une science. Si l’encadrement considère qu’il est dans un univers de contraintes ou il ne peut rien faire, aucune formation, aussi pertinente soit-elle, ne saurait apporter de réponses adéquates et sera vouée à l'échec.
Michel Crozier, théoricien et sociologue des organisations a bien analysé ces phénomènes, il suffit de se reporter à ses travaux pour comprendre comment nos organisations peuvent rapidement se scléroser quand bien même elles seraient pensées sur un modèle soi disant moderniste. C’est l’utopie du moment à Canal+.
Notre syndicat considère que l’on ne se pose pas les bonnes questions. Pire, que les réponses apportées ne sauraient résoudre une équation complexe : efficacité, productivité, créativité, bien-être…
Sur tous ces sujets, nous patinons...
Recrutement. Nous pensons que l’entreprise devrait ressembler à ses clients. Comment vendre un produit à des personnes dont nous n’imaginons même pas le mode de vie ? Comment percevoir les évolutions profondes de la société, les révolutions technologiques si nous restons aussi éloignés de notre base de clients historiques ou de celle que nous voulons approcher ?
Évolution professionnelle. La gestion de carrière, un vilain mot qui, chez nous, conduit plus souvent vers la sortie que vers la satisfaction d’une progression professionnelle en interne, de savoir-faire valorisés et exploités. Il n’y a pas de méthode miracle en ce domaine mais nous savons maintenant celles qui sont à bannir.
Expression. Plutôt que des programmes inadaptés et coûteux, notre syndicat propose d’organiser une formation à la libération de la parole. Ici comme ailleurs, c’est la liberté d’expression qui sera révélatrice des freins et des blocages. Car aujourd’hui, c’est plutôt la peur de l’expression qui l’emporte. Que des cadres expriment leurs questionnements ou leur mécontentement et ils seront aussitôt classés dans la catégorie des mauvais coucheurs dont il faut s’occuper en priorité, pas pour exploiter leur parole mais pour la retourner contre eux. Une bonne formation à la libération de la parole, dans une confidentialité totale, favoriserait l'efficacité, permettrait de pointer efficacement les points de blocages, de générer des solutions innovantes et partagées...
Puis il faut redonner la capacité à l’encadrement de décider, d’agir, de penser librement. Cette liberté, qui n’existe plus (ou si peu) à tous les niveaux hiérarchiques. Un langage policé, parfois codé, de bonnes manières si éloignées de ce qu’est notre entreprise, si frondeuse sur ses antennes, si pertinentes dans ses mises en cause des blocages de la société française et si coincée en interne !
Oui, la question managériale se pose chez nous comme ailleurs. Mais nous devons agir en interne en privilégiant une écoute renouvelée, libérée, de l'encadrement. Cela implique un indispensable respect des salariés, celui-là même qui se disloque sous les coups de boutoirs d’une productivité débridée et d’objectifs insolents, mais encore du partage avec les partenaires sociaux qui ne sont plus écoutés, leur parole souvent déformée ou dévalorisée.
N'est-ce pas aussi un enjeu de RSE, cette responsabilité sociale des entreprises ?