Organisations
L’emprisonnement de syndicalistes n’a jamais fait baisser le chômage, non à la peine de prison des salariés de Goodyear
Contribution du bureau du Réseau thématique 18 des relations professionnelles de l’Association Française de Sociologie
Le 12 janvier dernier, le tribunal correctionnel d’Amiens a condamné huit anciens salariés de la société Goodyear à deux ans de prison (dont neufs mois fermes) pour avoir séquestré deux cadres de leur entreprise en 2014. Alors que le groupe prévoyait la fermeture du site d’Amiens qui emploie près de 1 200 personnes, huit syndicalistes avaient décidé de retenir leur directeur des ressources humaines et le directeur de production pendant trente heures. Aucune violence ne leur avait été faite. Ces deux responsables ont d’ailleurs retiré leur plainte.
Les huit prévenus ont été condamnés suite aux poursuites engagées par le procureur d’Amiens qui, lors de son réquisitoire, avait exigé deux ans d’emprisonnement à l’encontre de chaque salarié, dont un an ferme. Cette condamnation ne peut donc être interprétée que comme le résultat d’une volonté des pouvoirs publics qui, avec cette décision de justice, cherchent délibérément à intimider tous les salariés qui protesteraient contre la perte de leur emploi.
Nous, universitaires et chercheurs, spécialistes du travail, de l’emploi et des relations professionnelles, souhaitons exprimer notre plus grande indignation à l’égard de cette condamnation. Elle nous semble non seulement disproportionnée vis-à-vis des faits incriminés mais aussi injuste car elle accable des salariés déjà victimes de l’échec des politiques pour l’emploi en France.
Depuis de nombreuses années, nous examinons les causes et mesurons l’ampleur du phénomène du chômage dans notre pays. Nous mettons toutes ces connaissances à la disposition aussi bien des pouvoirs publics que des organisations professionnelles avec lesquels nous sommes régulièrement amenés à travailler.
Violence sociale d'un licenciement collectif
C’est pourquoi nous avons une conscience bien trop aiguë des enjeux économiques qui se jouent au moment d’un licenciement collectif, de la violence sociale qui s’exerce et du désarroi qu’il provoque chez les salariés pour ne pas ressentir l’iniquité d’une telle décision.
Considérer la séquestration comme un acte violent répréhensible pénalement est totalement déconnecté de la réalité et de la finalité de ce type d’action syndicale.
En outre, dans un contexte de mobilité croissante du capital (à travers les délocalisations et la globalisation de la concurrence) et d’éloignement des centres de décision par rapport aux centres de production, l’immobilisation provisoire des directions de site, les seules présentes pour « négocier » ne vise pas leur personne en tant que telle. Elle n’est qu’un moyen de faire pression sur les directions centrales de ces grands groupes (celles qui décident la mise en œuvre des restructurations) pour essayer de recréer les conditions d’une négociation moins inégalitaire entre salariés et employeurs.
On peut bien sûr discuter de l’opportunité d’un tel mode d’action. Mais le considérer comme un acte violent répréhensible pénalement est totalement déconnecté de la réalité et de la finalité de ce type d’action syndicale.
Le rituel et le symbole de la séquestration
Loin d’exacerber la violence des salariés, bien des enquêtes ont au contraire montré que la séquestration pouvait d'ailleurs aider à la contenir, en lui donnant une forme plus ritualisée et symbolique. Mais cette condamnation nous choque également parce qu’elle provient d’une décision d’État qui s’engage dans une criminalisation insensée des mobilisations salariales. L’emprisonnement de syndicalistes n’a jamais fait baisser le chômage et encore moins contribué au dialogue social. Quand le gouvernement dit vouloir faire de la lutte contre le chômage de masse une priorité de son action, comment expliquer qu’il fasse le choix de poursuivre, seul, en justice et de faire condamner à de la prison ceux qui se battent pour la défense de leur emploi ?
Pour éviter d’ajouter de nouveaux drames à la violence sociale et désormais judiciaire qui s’abat sur ces salariés, nous demandons donc l'abandon des poursuites engagées.
Le bureau du Réseau thématique 18 des relations professionnelles de l’Association Française de Sociologie :
- -Mara Bisignano, post-doctorante,
- - Hervé Champin, doctorant,
- - Jean-Michel Denis, professeur des universités,
- - Camille Dupuy, maître de conférences,
- - Marnix Dressen, professeur des universités,
- - Alexandra Garabige, post-doctorante,
- - Baptiste Giraud, maître de conférences,
- - Cécile Guillaume, maître de conférences,
- - Donna Kesselmann, professeur des universités,
- - Arnaud Mias, professeur des universités,
- - Rémy Ponge, doctorant,
- - Maxime Quijoux, chercheur au CNRS,
- - Frédéric Rey, maître de conférences,
- - Jean Vandewattyne, chargé de cours,
- - Catherine Vincent, chercheur,
- - Karel Yon, chercheur au CNRS.
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