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07 / 01 / 2013 | 64 vues
Martin Richer / Membre
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Y a-t-il une vie après les plans sociaux ?

Une gestion socialement responsable de l’emploi passe par la sécurisation des parcours professionnels, de façon à permettre aux salariés d’effectuer des mobilités (choisies ou contraintes) sans risquer une chute dans la trappe du chômage. C’est le cœur de la négociation interprofessionnelle, qui peine à déboucher après neuf séances depuis le 4 octobre. Les deux dernières journées des 19 et 20 décembre n’ayant pas permis de déboucher dans le calendrier (certes ambitieux) prévu au sortir de la « grande conférence sociale » de juillet dernier, la négociation reprend les 10 et 11 janvier, deux journées sans doute cruciales.

  • Une avancée nécessite un regard renouvelé sur le chômage, tel qu’il se caractérise en France. C’est pourquoi je me félicite de voir Pôle Emploi définir et utiliser un nouvel indicateur, l'indicateur conjoncturel de durée au chômage (ICDC). Sur le plan méthodologique, celui-ci est construit par analogie avec l’espérance de vie. Il mesure le temps probable (en moyenne) de chômage pour tout nouvel inscrit à Pôle Emploi si la conjoncture reste stable.


Au deuxième trimestre 2012, dernier chiffre publié, l’ICDC a franchi le seuil de l’année pour s’établir à 369 jours. Il s’agit « d’un niveau jamais atteint depuis 2001 », nous dit le document édité par Pôle Emploi. En fait, le calcul de l’indicateur ne remontant pas au-delà de 2001, on aurait pu préciser qu’il s’agit du niveau le plus élevé depuis la genèse de l’indicateur. Il signifie que si la conjoncture économique du deuxième trimestre 2012 se maintenait, un nouveau demandeur d’emploi resterait en moyenne inscrit plus d’un an à Pôle Emploi. Cet indicateur est désormais réactualisé et publié chaque trimestre. J’espère qu’il sera autant commenté et utilisé que celui (mensuel) du nombre de demandeurs d’emploi.

L’ICDC nous rappelle l’attention qu’il faut prêter aux restructurations et à l’une de leurs manifestations les plus visibles, les plans sociaux (désormais désignés sous le terme délicat de plans de sauvegarde de l’emploi ou PSE).

Il est de bon ton de considérer que les plans sociaux ne sont qu’un épiphénomène ne concernant qu’une petite partie des ruptures de contrats de travail.

Effectivement, sur les 30 000 personnes qui quittent leur emploi chaque jour en France :

  • 15 000 arrivent en fin de CDD,
  • 6 000 démissionnent,
  • 4 000 partent en retraite,
  • 1 800 font l’objet d’un licenciement individuel,
  • 600 font l’objet d’un licenciement économique (2 %)
    • dont 15 à 20% dans le cadre d'un PSE (< 0,5 %).

Llicenciement économique : mode de rupture le plus traumatisant

Mais même si les licenciements économiques et les PSE ne représentent en effet qu’une faible partie des pertes d’emplois, ils constituent le mode de rupture le plus traumatisant et le plus handicapant pour le retour à l’emploi. Cette spécificité se reflète dans l’ICDC, fortement différencié par cause de rupture d’emploi.

  • La catégorie qui subit le plus fort ICDC est constituée des licenciés économiques (593 jours, soit plus d’un an et demi), suivie des licenciés pour d’autres causes (524 jours).

Si l’on examine l’évolution depuis l’envolée de l’ICDC suite au déclenchement de la crise (troisième trimestre 2008), on constate une redoutable accélération de l’ICDC pour ces deux catégories, respectivement + 71 % et + 59 % (contre + 48 % toutes populations confondues). On comprend mieux la vigueur parfois désespérée avec laquelle les victimes des plans sociaux défendent leur emploi, comme s’il s’agissait du combat de la dernière chance…

Phénomène de déqualification


Les licenciés économiques concentrent les catégories les plus fragilisées par la crise. Rappelons quelques chiffres déjà anciens mais toujours pertinents (source : Jean-Pierre Aubert, Mieux vivre les restructurations - Anticiper et coopérer, éditions d’Organisation, 2003) :

Un an après un licenciement économique (et en moyenne) :

  • 60 % des personnes touchées sont au chômage,
  • 15 % ont trouvé un emploi précaire,
  • 15 % ont un contrat à durée indéterminée (CDI),
  • Le retour à l’emploi s’accompagne de pertes de revenus de 20 à 25 %.

Laurence Lizé et Nicolas Prokovas, auteurs d’une étude du Centre d'économie de La Sorbonne sur « le déclassement à la sortie du chômage », ont analysé 5 548 cas de reprises d'emploi à la sortie de l'ANPE (prédécesseur de Pôle Emploi) entre décembre 2005 et septembre 2006. Ils constatent que « le passage par le chômage représente souvent une rupture lourde de conséquences dans les trajectoires professionnelles » et se traduit, pour environ « un individu sur cinq (21,4 %) par une mobilité descendante en termes de qualification ». Ils indiquent en outre que « les trajectoires professionnelles hachées » avec une alternance entre l'emploi et le chômage, ou celles marquées par un licenciement économique, renforcent le phénomène de déqualification.

Marie Salognon, chercheuse associée à ÉconomiX (Université de Paris X-Nanterre) et conseillère scientifique au CAE (Conseil d'analyse économique), a montré dans une étude publiée par le CAS intitulée « l'exclusion professionnelle, quelle implication des entreprises ? » que « quitter le dernier emploi suite à un licenciement économique allonge la durée de chômage par rapport à la modalité de fin de CDD », les employeurs potentiels présumant que les salariés licenciés sont ceux qui ont été jugés « les moins performants ». À l'inverse, elle notait que « la formation professionnelle dispensée lors du dernier emploi permet un raccourcissement de la durée de chômage ». Ceci valide l’effort des pouvoirs publics qui s’attaquent à la mauvaise répartition actuelle des investissements en formation continue.

Inefficacité des cellules de reclassement


L’une des causes du niveau élevé et de la progression rapide de l’ICDC des licenciés économiques tient à un fait majeur relevé par une récente étude de la DARES : le manque d’efficacité des cellules de reclassement. Le taux de reclassement en CDI à l’issue du reclassement atteint un niveau historiquement bas : « la baisse du taux de retour à l’emploi à l’issue d’une cellule de reclassement s’explique principalement par la baisse du taux de CDI retrouvés : seuls 18 % des adhérents à une cellule de reclassement (conventionnée) signée en 2009 ont retrouvé un CDI, contre 31 % en 2007 (Anne Pasquereau, « Les dispositifs publics d’accompagnement des restructurations en 2011 », rapport DARES, octobre 2012). Une chute de performance aussi rapide ne peut s’expliquer seulement par la dégradation du marché de l’emploi. Elle reflète aussi un certain désengagement des entreprises (et des prestataires de services) sur un « marché du reclassement », qui s’est fortement concentré. Une poursuite de cette tendance rendrait l’obligation (légale) de reclassement purement formelle.

Mon expérience est que l’amélioration des résultats des cellules de reclassement passe par un réinvestissement du dialogue social.

  • Associer les organisations syndicales à la démarche, dès le début et tout au long du processus, est un levier efficace (voir : Marcelle Ramonet, « Les cellules de reclassement », rapport du Conseil économique, social et environnemental, janvier 2010).


Une autre cause est la dégradation des conditions de travail, qui à la fois conduit les salariés à rechercher des satisfactions de compensation chez leur employeur et rend plus douloureux le retour à l’emploi après un licenciement. Ainsi par exemple, dix ans après la liquidation de Moulinex (septembre 2001), le livre de Manuella Roupnel-Fuentes (Les chômeurs de Moulinex, PUF, septembre 2012) permet de faire le point sur leur devenir professionnel : « les reclassements n’ont pas été à la hauteur des attentes » et « le taux de retour à l’emploi est faible, 31 % ». Mais surtout, les 800 entretiens menés avec les anciens salariés montrent comment un travail pénible et répétitif peut être rendu supportable grâce aux compensations qu’apporte l’emploi : stabilité professionnelle, sécurité économique, bonne ambiance de l’atelier, esprit familial, relative maîtrise du rythme et du mode de réalisation des tâches etc.

  • À l’inverse, le travail trop spécialisé ne favorise pas la construction de compétences transférables.

Dégradation de la condition du travail

L’accroissement de l’ICDC est lié à la dégradation des conditions de travail et plus largement, de la condition du travail. Les fameuses centaines de milliers d’emplois non pourvus mises en avant par les organisations patronales restent vacantes parce que, pour une grande partie d’entre elles, elles ne proposent pas de conditions de travail décentes. De même, les conditions de travail et de santé dégradées (travail répétitif et peu polyvalent, usure professionnelle prématurée…) rendent plus difficiles les mobilités professionnelles. Enfin, la pénibilité du travail agit comme un frein, qui décourage le retour à l’emploi.

Coordination territoriale


Enfin il faut souligner les insuffisances des dispositifs de coordination locaux. Ce fait n’est pas nouveau. Déjà fin 2005, une étude de l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales) conduite pour le compte de la DGEFP (Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle) sur une population de 4 782 salariés à reclasser dans le cadre de 90 PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) montrait une hétérogénéité considérable des résultats (taux de reclassement) obtenus par les différentes cellules. Elle montrait aussi que les meilleurs résultats sont enregistrés, sur des marchés de l’emploi comparables, quand directions, élus des comités d’entreprise, cabinets de reclassement, régions, les DIRECCTE (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi), Pôle Emploi, les missions locales et l’AFPA se donnent les moyens de coordonner leurs actions.

  • L’acte III de la décentralisation, avec le renforcement des compétences en matière de développement économique et de formation professionnelle dévolues aux régions, sera sans doute l’occasion d’améliorer l’ancrage territorial des dispositifs.


Le COE a bien montré les dangers économiques et sociaux de l’allongement de la durée du chômage (« Le chômage de longue durée », rapport du Conseil d'orientation pour l'emploi, décembre 2011) :

  • sur le plan individuel, risques importants de distanciation vis-à-vis du marché du travail et de déqualification, de perte d’estime de soi, de découragement, de dilution des repères, de rétrécissement des liens sociaux et de repli sur soi, de pauvreté ;
  • sur le plan social, risque de dégradation de la cohésion sociale, d’exclusion d’une partie de la population de l’un des plus puissants vecteurs d’intégration : le travail ;
  • sur le plan économique, il prive l’économie d’une part de ses ressources, transforme le chômage conjoncturel en un chômage de type structurel, beaucoup plus difficile à résorber, induit des pertes de compétences qui limitent la croissance potentielle ultérieure et pèse durablement sur les finances publiques.

Arcelor Mittal, Petroplus, PSA : les exemples récents sont là pour montrer que le politique est désormais directement confronté aux traumatismes, aux chocs de destins que provoquent les restructurations. C’est à lui que revient la tâche de montrer qu’il y a une vie après les plans sociaux.

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