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RH, attention, vous êtes notés !
Nous connaissons tous les fameux Moody’s ou Standard & Poors pour la notation financière, mais, signe des temps, leurs petites sœurs extra-financières commencent à faire de plus en plus parler d’elles.
En France, elles s’appellent Vigeo, BMJ Ratings, ou encore EthiFinance. Elles ont pour vocation de fournir à leurs clients une évaluation des sociétés portant sur leurs performances en matière de responsabilité sociale des entreprises. RH, cela vous concerne au plus haut point.
Initialement mandatées par des investisseurs soucieux de s’impliquer dans l’ISR (investissement socialement responsable), ces agences opèrent aussi désormais sur le marché de la « notation sollicitée » ; en l’occurrence des entreprises demandeuses d’une note quant à leur RSE, laquelle revêt aujourd’hui une dimension stratégique, couvrant tous les champs, dont celui des ressources humaines…
Cette démarche de notation des RH s’inscrit dans une tendance de fond : transparence, nécessité de rendre compte (loi NRE, bilan social, rapport annuel…), développement de la métrique et du benchmark. Les RH ne sont pas que l’affaire de l’entreprise et intéressent toutes les parties prenantes, leurs voix s’imposent en quelque sorte par ces acteurs externes qui évaluent les entreprises. Faut il s’en plaindre ?
De mon point de vue, la prise en compte de ces « contraintes » est indispensable car elle participe grandement à une professionnalisation accrue des RH. Une position prise de longue date lorsque j’avais contribué en 2004 à la rédaction d’un ouvrage (Le guide de la performance globale, Éditions d’Organisation), en collaboration avec les pionniers en France sur le thème : Olivier Dubigeon, Elisabeth Laville et Geneviève Ferone.
- Sophie Thiéry, directrice de Vigeo Enterprise et Pascal Bello, directeur général délégué de BMJ Ratings, ont accepté de nous expliquer leur action au sein des entreprises concernant les RH, et plus spécifiquement encore, lors des processus de recrutement. Nous les en remercions.
La notation extra-financière embrasse tout le champ des ressources humaines
Vigeo aborde la relation entreprise-salariés-candidats sous deux grandes séquences « ressources humaines » et « droits fondamentaux des salariés ».
La séquence dite « ressources humaines » aborde les champs suivants :
1/ Qualité des conditions d’emploi :
- qualité des systèmes de rémunérations et avantages,
- qualité de la protection sociale.
2/ Gestion de l’emploi et des compétences :
- gestion de l’emploi et de la mobilité,
- développement des compétences et de l’employabilité,
- gestion des restructurations.
3/ Qualité des conditions de travail :
- protection de la sécurité et de la santé,
- respect et aménagement des temps de travail.
4/ Relations professionnelles et sociales :
- promotion de la participation des salariés,
- promotion du dialogue social.
L’autre grande séquence, dite « droits fondamentaux », touche notamment à la non-discrimination :
- prévention des discriminations et promotion de l’égalité entre hommes et femmes,
- prévention des discriminations et promotion de l’égalité en faveur des catégories vulnérables (seniors, minorités visibles, handicap, religion, orientation sexuelle etc.).
BMJ Ratings enquête sur les critères suivants :
1/ Cohésion sociale
- diversité des effectifs,
- qualité du dialogue social,
- communication RH interne.
2/ Gestion du capital humain
- formation et développement personnel,
- mobilité et gestion des carrières,
- « knowledge management ».
3/ Contributions socio-économiques
- rémunérations et avantages sociaux,
- participation des salariés.
4/ Conditions de travail et conciliation des temps
- sécurité et santé au travail,
- aménagement du temps de travail.
À cela s’ajoute, une évaluation de la gouvernance RH de l’entreprise, sur les principes d’équité et de transparence.
Quid du recrutement ?
Dans le domaine du recrutement, Vigeo s’intéresse tout particulièrement aux questions de discrimination et de diversité.
Sophie Thiéry nous en dit plus : « Nous évaluons les outils dont la RH se sert pour ses recrutements, notamment lors de la sélection des CV. Nous nous intéressons aussi aux types de contrats passés avec les cabinets de recrutement. Notre ambition est de décrypter tout le processus : expression du besoin par le manager (« J’ai besoin d’une secrétaire » : mais pourquoi « une » secrétaire ?) ; réception par la RH (retraduit-elle l’expression du besoin de façon non-discriminante ?) ; réception par le cabinet de recrutement ou l’agence d’intérim. En aval, nous nous penchons sur le processus de sélection des candidats, en vérifiant si sont utilisés des critères de tri objectifs et précis. Nous regardons si sur chaque CV non retenu est indiquée la motivation du refus ou non. Enfin, nous observons s’il y a une collégialité de décision dans les listes de sélection afin d’annuler, autant qu’il est possible, le poids des préjugés, même inconscients. »
Pascal Bello : « Dans le domaine du recrutement, nous évaluons trois catégories d’informations. Il s’agit d’abord pour nous d’analyser :
1. Les conditions préalables d’un recrutement objectif et juste, c'est-à-dire la capacité de l’entité évaluée à n’offrir aucune aspérité sur le sujet de la diversité et donc à mener à bien ses activités de recrutement. Ces critères concernent la composition des équipes de recrutement, le discours porté par l’entité elle-même, la participation à des groupes de travail référents mais également l’adoption de chartes d’engagement.
2. L’organisation interne et les moyens utilisés. Il s’agit alors des outils pédagogiques utilisés pour la formation des acteurs du recrutement, des échanges avec les structures spécialisées, du système de validation des sélections et de l’ensemble de la gouvernance en place pour garantir l’objectivité des choix et la prévention des discriminations.
3. Le déploiement opéré et le traitement des dossiers gérés post-recrutement, les enseignements tirés des activités et le système correctif adopté pour améliorer encore les modalités de recrutement. »
Quels modes d’investigation dans l’entreprise ?
Sophie Thiéry : « Chez Vigeo, dans le cadre de notre évaluation de la gestion des recrutements, nous rencontrons les dirigeants mais aussi les opérationnels, DRH et chargés de recrutement. Nous interrogeons en outre les parties prenantes : salariés, représentants du personnel, de Pôle Emploi, des agences d’intérim… »
Pascal Bello « Chez BMJ Ratings, nous examinons l’information que l’on peut qualifier d’officielle, voire de réglementaire : bilans sociaux, accords sociaux, catalogues de formation, journal interne, mais aussi grilles d’entretiens annuels. Cela dit, nous nous intéressons tout particulièrement à une information plus qualitative, « non officielle », au travers d’entretiens auprès de la direction, de l’encadrement et des partenaires sociaux ; au travers également de visites opérationnelles. »
Bonne… ou mauvaise note
Le système de notation de Vigeo repose sur :
une échelle de 1 à 4 :
- 1 pour l’entreprise qui n’a même pas identifié d’enjeu,
- 4 pour celle qui fait référence dans son secteur.
Chaque point (exemple « prévention des discriminations et promotion de l’égalité H/F ») est noté selon ce principe avec au sein de chaque point la « politique » (elle-même notée sous plusieurs sous-critères : cohérence par rapport aux textes officiels, visibilité de la politique…) ; le « déploiement » de cette politique (également doté de sous-critères) ; les « résultats ».
La note générale de l’entreprise est l’agrégation de l’ensemble des notes. Elle est confidentielle. L’entreprise choisit ou non de la communiquer.
Vigeo dresse un bilan points forts/points faibles, émet des recommandations et accompagne la mise en place de plans d’action opérationnels.
Le système de notation de BMJ Ratings repose sur un niveau d’évaluation en 10 niveaux de AAA à DDD, en perspective de 7 principes de gestion répondant aux exigences de la RSE. Les niveaux AAA et suivants sont le résultat d’une consolidation de notes intermédiaires calculées sur chacun des points mobilisés dans le domaine concerné. Par exemple, dans le domaine du recrutement, 52 points sont pris en compte. .
Cette grille est complétée par des signes qui ajoutent de l’information sur la tendance à l’amélioration ou à la dégradation anticipée par l’analyste :
- « - - » pour l’entreprise qui rencontre d’importantes difficultés,
- « - » pour l’entreprise qui rencontre des difficultés,
- « stable »,
- « + » pour l’entreprise disposant de moyens pour évoluer,
- « ++ » pour l’entreprise qui s’est donnée les moyens d’évoluer.
Discrimination, diversité… quelle note dans les entreprises ?
Les agences de notation extra-financière disposent d’outils d’évaluation performants. Concernant les politiques de diversité, elles sont donc en mesure de nous dire où en sont les entreprises. Entre « peut mieux faire » et « encouragements »…
Pascal Bello : « L’émergence des concepts de RSE, de développement durable ou de notation extra-financière n’a pas été le résultat d’une action volontariste et éclairée de responsables des ressources humaines (…) Faut-il y voir une absence de lucidité ou un refus conscient de modifier ses habitudes de fonctionnement et ses projets déjà identifiés et planifiés ? En revanche, je crois qu’il est urgent pour les entreprises aujourd’hui de se saisir du sujet. »
Sophie Thiéry : « Là où il y a un risque juridique, ou d’image, les entreprises ont progressé. Mais il y a encore beaucoup à faire au-delà des directions RH des sièges ; en particulier dans les filiales et entités à l’égard de managers qui ne sont pas formés à la diversité. »
Pourquoi la GRH doit-elle intégrer la notation extra-financière ?
Pascal Bello : « De nombreuses opportunités d’une nouvelle conquête de légitimité d’action au sein de l’entreprise sont offertes aux directions des ressources humaines par le biais de la notation sociale. Hommes et femmes au sein des entreprises sont et resteront un élément déterminant de leur performance et de leur succès. »
Sophie Thiéry : « Clarifier et rendre visible ses engagements, ses priorités, suivre et rendre compte de son action, des exigences de la notation sociale qui permettent de valoriser l’action des DRH en interne, notamment dans le cadre du dialogue social et en externe (attractivité de l’entreprise). »