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07 / 11 / 2018 | 11 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Repenser la construction du débat public sur les enjeux de la bioéthique

Pour quelle raison le groupe MGEN s’est-il engagé dans le débat sur la révision de la loi de bioéthique ? Quelles propositions portez-vous et comment les avez-vous déterminées ?
Les lois de bioéthique portent sur des sujets fondamentaux relatifs à nos choix de vie et à nos libertés individuelles et collectives. C’est notre rôle de nous engager dans le débat. Une mutuelle est par essence une organisation militante avec une vie démocratique qui s’organise autour de débats touchant à la vie interne de l’organisation mais aussi et surtout au rôle et à la place de la mutuelle dans la société. C’est le rôle de la MGEN de s’impliquer dans le débat sociétal, tout simplement.

Cela implique une construction collective de positions sur les grands enjeux de société. Ainsi, chaque année au sein de la MGEN, nous organisons une « journée éthique et société » consacrée à un sujet particulier pour nourrir le débat en interne de la mutuelle afin de pouvoir porter ces sujets auprès de l’ensemble de nos adhérents (qui sont près de quatre millions) et auprès du grand public, des parlementaires, au sein des espaces de concertation où nous siégeons etc. Ainsi, en janvier 2018, notre journée éthique et société était consacrée au sujet des familles et des parentalités, justement en prévision des révisions de lois bioéthiques. Il nous a semblé que nous devions porter une position partagée, co-construite, qu’elle n’en n’aurait que plus de force et de poids. À cette occasion, nous avions dévoilé les résultats de notre enquête réalisée avec OpinionWay, où nous abordions par exemple la question des différentes formes de procréation qui reste une source inépuisable de débats et de désaccords toujours remis sur le tapis, même lorsque ceux-ci sont tranchés. Le principe de la PMA n’est-il pas reconnu depuis 1994 ?

L’avis positif du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rendu fin septembre quant à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes va dans le sens de l’histoire et consacre la liberté de choix et l’égalité des droits sur cette question. Nous nous en réjouissons car il va dans le sens de ce que nous portons. 

Mais la MGEN ne peut et ne doit agir seule dans l’environnement mutualiste français sur des questions aussi cruciales. C’est la raison pour laquelle, avec la Fédération nationale de la Mutualité française, nous avons choisi d’intervenir dans le cadre des états généraux de la bioéthique pour la première fois de notre histoire, en déposant une contribution de la FNMF.

Cette contribution portait sur quatre thématiques. Les données de santé, l’intelligence artificielle, la fin de vie et la santé environnementale. Elle résultait d’un travail collectif qui a ensuite donné lieu à notre audition par le CCNE en avril 2018. Elle a également été présentée et débattue lors du dernier congrès de la FNMF à l’occasion d’une conférence où Jean-François Delfraissy (président du CCNE) était invité à intervenir et a salué notre travail.

Bref, nous intervenons dans ce débat parce que c’est le rôle d’une mutuelle d’être présente quand notre démocratie est menée à faire des choix qui nous engagent tous sur ces sujets et nous veillons à ce que les positions que nous portons soient l’expression la plus fidèle possible d’un collectif.

La construction du débat public sur les enjeux de la bioéthique doit-elle être repensée ? 
Les premières lois de bioéthiques datent de 1994. Nous étions alors dans un autre monde. Le nouveau monde, pour employer une expression en vogue, a un tout autre visage. L’intelligence artificielle est une réalité quotidienne et les biotechnologies nous apportent quotidiennement des nouvelles de ses progrès. L’accélération des progrès et des connaissances dans les nanotechnologies, biotechnologies, informatique et cognitivisme (NBIC) est exponentielle et sa vitesse d’accélération ne ralentira pas. Les moyens mis sur la table par les nations et les multinationales sont considérables. Nous savons que la puissance se mesure désormais à l’aune de la connaissance et jamais nos sociétés n’ont compris autant de médecins, de scientifiques et d’ingénieurs et l’intelligence artificielle accélère le potentiel de chacun.

Aujourd’hui, il est absolument essentiel que les sujets abordés par les lois de bioéthique sortent des cercles de professionnels et de spécialistes afin que l’ensemble des citoyens puissent s’en saisir. Je l’ai dit lors de notre audition par la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, nous devons ouvrir les portes et les fenêtres afin de contribuer à l’émancipation de tous nos concitoyens, qu’ils soient de simples assurés sociaux, patients, malades, handicapés ou dépendants.

Chacun doit avoir accès à tous les éléments lui permettant de pouvoir décider de façon éclairée ce qu’il estime être le bon choix pour lui.

D'ailleurs, quel que soit le sujet, les citoyens doivent être maîtres de leurs décisions et pouvoir décider en toute responsabilité. Si nous ne garantissons pas un égal accès aux nouvelles technologies, au progrès, au savoir et à la compréhension du monde qui se dessine, nous prendrons une direction dangereuse, pavée d’inégalités supplémentaires et irrémédiables.

Nous entrons dans une ère de questions potentiellement vertigineuses. Ne sommes-nous pas déjà entrés dans l’espace frontière où l’homme réparé côtoie l’homme augmenté et où la discussion s’articule autour des arguments des techno-progressistes répondant aux bio-conservateurs, sans qu’on n'ait bien déterminé ce qu’il y avait à conserver ni où se situait le progrès ?

Dans ce contexte d’accélération des connaissances et d’amplification des possibles, le rythme de révision des lois de bioéthique tous les sept ans semble étrangement décalé par rapport au réel. Où en serons-nous dans sept ans ? Quelles seront les capacités de l’intelligence artificielle en 2025 ? Personne n’en sait rien. Il ne s’agit donc pas de se laisser déborder par le futur ni d’être effrayé par le progrès mais d’embrasser ces questions, de mettre en place les moyens pour dominer au mieux tous ces sujets afin d’en maîtriser le développement au bénéfice de tous.

Il paraît ainsi nécessaire aujourd’hui d’avancer sur deux fronts pour un meilleur encadrement démocratique et une meilleure appropriation par le plus grand nombre de l’ensemble des questions présentes et à venir posées par les lois de bioéthiques. La première piste est la mise en place d’une commission nationale permanente de suivi et de révision de ces lois, une commission plus large, avec des moyens réels pour mener des études, des recherches, des enquêtes, faire de la prospective etc.

Un tel suivi paraît aujourd’hui essentiel. La seconde piste relève de la formation citoyenne et de l’éducation populaire.

Tous les élèves doivent avoir accès à un moment de leur parcours à un éclairage, une formation à ces questions, en particulier sur celles liées à l’utilisation de leurs données.

Plus largement, les citoyens doivent s'intéresser, se former à et être éclairés sur ces questions ou ce qui apparaît comme des progrès se transformera en grande régression, avec deux classes de citoyens. Il s’agit de ne pas laisser une moitié d’entre nous sur le bord du chemin.   


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