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06 / 05 / 2025 | 24 vues
Hervé Schmitt / Membre
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Quelle place pour l’emploi dans la stratégie de la Caisse des dépôts ?

Egis, Transdev, Novethic… Les privatisations récentes décidées par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), investisseur public de référence, interrogent sur son rôle social et sa prise en compte de l’intérêt général, tout en suscitant de fortes inquiétudes pour l’emploi.

 

L’emploi serait-il une simple variable d’ajustement pour la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ? Au regard de la stratégie d’investissement – ou plutôt de désinvestissement – de cet acteur public de référence, on peut sérieusement se poser la question. Premier investisseur institutionnel national avec 323 milliards d’euros d’actifs financiers gérés, issus entre autres de l’épargne des Français, déposée sur les Livrets A, les Livrets développement durable et solidaire (LDDS) et les Livrets d’épargne populaire (LEP), la CDC se revendique pourtant comme un investisseur responsable. Comme le soulignait la Cour des Comptes en 2023, sa position de « groupe financier public d’intérêt général placé sous la surveillance et la garantie du Parlement » lui confère en effet un « devoir de redevabilité » vis-à-vis des citoyens français.

 

Privatisation d’Egis : le sacrifice de l’ingénierie publique inquiète les salariés

 

En cédant plus de la moitié de sa participation, la Caisse des dépôts a ainsi acté, en janvier 2022, la privatisation d’Egis, leader du secteur de l’ingénierie publique en France (transport, ville durable, eau, énergie et services à la mobilité). Désormais, le fonds d’investissement privé Tikehau Capital est le premier actionnaire de l’entreprise avec 40 % des parts, la CDC n’en conservant que 34 % – tandis que les managers et les salariés en détiennent 26 %. Mediapart évoque alors « une privatisation sans précédent au profit d’un fonds spéculatif »

 

Avec ce nouvel actionnaire de référence, on peut se demander ce que deviendront les missions d’intérêt général de l’entreprise qui accompagnait jusqu’ici l’État et les collectivités territoriales dans le développement d’infrastructures publiques. Tikehau Capital ne cache pas en effet ses intentions de se concentrer sur les juteux marchés internationaux, faisant craindre de nombreuses suppressions d’emplois aux salariés du groupe.

 

Les syndicats et les élus du comité de groupe craignent un abandon des activités locales trop peu rentables. Pour augmenter la rentabilité, des structures françaises ont déjà été fermées, tandis que des agences ouvraient à l’international. À Toulouse par exemple, les salariés ont été poussés à partir ou à accepter des mutations à Lille ou à Saint-Quentin-en-Yvelines. Pur financier, le repreneur a annoncé la couleur aux salariés : l’objectif de rentabilité sera à deux chiffres et les branches les moins rentables seront coupées, ce qui inquiète fortement les représentants des salariés quant aux perspectives d’emploi dans l’Hexagone.

 

L’explication de ce désengagement de la CDC tient justement aux ambitions de développement international d’Egis, la Caisse des dépôts n’ayant pas vocation à se positionner sur des marchés émergents. Ce sont donc bien des enjeux financiers qui ont primé, au détriment des missions d’intérêt général qu’assurait l’entreprise en France. Jusqu’ici, Egis était en effet historiquement implanté sur le marché hexagonal, qui représente 40 % de son chiffre d’affaires, mais son orientation internationale l’éloigne de cette position historique d’appui aux investissements publics en France. Avec cette privatisation, c’est donc l’ensemble des citoyens qui perdent en contrôle démocratique sur les projets d’infrastructures publiques.

 

Même si le nouvel actionnaire s’est engagé à rester quatre ans et si la CDC affirme qu’elle restera un actionnaire « attentif et impliqué », avec un droit de regard sur une future sortie du fonds Tikehau, les salariés et les syndicats ne masquent pas leurs craintes. Les élus au comité de groupe n’excluent pas en effet à terme le risque d’une vente à la découpe, le rachat par un grand groupe international, par exemple un géant américain de l’ingénierie, ou encore une entrée en Bourse, laquelle serait clairement envisagée.

 

Transdev : l’opérateur historique des transports publics en France sous contrôle allemand

 

La CDC est également sur le point de finaliser la privatisation Transdev, opérateur historique des transports publics en France. En décembre 2024, la CDC, actuellement actionnaire majoritaire de Transdev avec 66 % du capital, est en effet entrée en négociation exclusive avec le groupe allemand Rethmann, déjà présent au tour de table de l’entreprise, pour lui vendre 32 % de sa participation. Rethmann deviendra ainsi l’actionnaire majoritaire avec 66 % des parts, la CDC n’en conservant que 34 %. Au passage, la CDC espère empocher plus de 1 milliard d’euros dans l’opération.

 

Principal concurrent de la RATP et de Keolis (filiale de la SNCF), Transdev sera donc détenu par des capitaux majoritairement privés. Dans un secteur où la main-d’œuvre représente 60 % des coûts de production, la CGT craint une véritable « casse sociale ».

 

Le groupe de transport public, qui emploie plus de 100.000 personnes (en France et dans 18 autres pays) a dépassé pour la première fois les 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024. Cet opérateur historique de bus et de cars est présent sur tout le territoire français, où il exploite aussi des tramways, des trains et quelques petites lignes de métro. Depuis l’ouverture à la concurrence des services voyageurs en 2018, Transdev s’est positionné face à la SNCF et à la RATP. Le groupe va ainsi démarrer cette année l’exploitation des TER entre Marseille et Nice, premier marché ferroviaire à basculer à la concurrence en France, et remettre en service la petite ligne ferroviaire entre Nancy et Contrexéville.

 

Le groupe a aussi enregistré de nombreux succès commerciaux à l’étranger, comme l’exploitation du tramway de Melbourne (Australie), plus grand réseau de tramway au monde – un contrat de 4,2 milliards d’euros sur neuf ans auparavant détenu par son concurrent Keolis, filiale de la SNCF. Transdev exploite également depuis plus d’un an le métro de Quito (Equateur), et a aussi racheté en 2023 l’américain First Transit, devenant le premier opérateur de transport public aux USA.

 

C’est ce fort développement international qui explique la décision de la CDC, celle-ci estimant avoir vocation à financer les transports en France, mais pas forcément dans le reste du monde. On peut néanmoins se demander si c’est bien le rôle de la Caisse des dépôts de faire passer un des trois opérateurs de transport public français sous pavillon allemand. « L’État actionnaire doit exercer ses responsabilités, se doter de capacités d’action sur le tissu productif et ne pas se comporter comme un simple fonds d’investissement », estime ainsi Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.

 

Même si l’institution financière publique affirme « rester un actionnaire significatif », « conserver un rôle actif dans la gouvernance » et « veiller à l’ancrage français » du spécialiste des transports urbains, cette course effrénée à la privatisation fait craindre aux cheminots CGT « un dumping social généralisé, seul véritable carburant de la concurrence, avec un abaissement généralisé des droits des salariés ».

 

Novethic : vers un démantèlement du média de la finance durable

 

Aujourd’hui, c’est Novethic, le média spécialisé dans le développement durable et la finance éthique, qui est en passe d’être cédé. La CDC est en effet entrée en négociation avec le groupe de média professionnel AEF Info en vue d’une « reprise possible des activités média et formation » de l’entreprise.

 

Créé en 2001, le média gratuit Novethic et son centre de recherche et de formation assurent une mission d’intérêt général d’information sur la transition écologique et la finance durable, à destination des chefs d’entreprises, des acteurs financiers et des ONG. À ce titre, la Caisse des dépôts, son propriétaire, lui verse une subvention annuelle de 1,9 million d’euros, mais envisage de ne pas la renouveler, compte tenu de la situation financière « critique » de sa filiale.

 

Cette source d’information est d’autant plus importante que, si les ressources anglophones sur la finance verte sont nombreuses, Novethic reste le seul média économique français spécialiste de ce sujet. Pourtant, la Caisse de dépôts semble penser que le média a fait son temps : « La transition écologique est à présent largement couverte par le privé », estime-t-elle.

 

De plus, l’action de Novethic dépasse la seule sphère de l’information. Auditions pour l’obtention du label Greenfin pour la finance verte, notes à destination de chefs d’entreprises, veille réglementaire… L’entreprise délivre une expertise clé pour transformer les systèmes économiques et financiers. Le média aide notamment les entreprises à intégrer les nouvelles réglementations de durabilité, comme celles de l’Europe sur le reporting extra-financier ou le devoir de vigilance.

 

Toujours dans le flou quant à l’avenir de Novethic, les salariés se sont mis en grève en octobre 2024. Le CSE (Comité social et économique) et la Société des journalistes (SDJ) de Novethic s’inquiètent de la menace qui pèse sur les emplois et les activités de l’entreprise. Ils demandent à la CDC de respecter ses engagements en matière de politiques durables et refusent que les salariés soient « sacrifiés et payent les pots cassés d’une stratégie court-termiste ».

 

« Austérité, coupes budgétaires, renoncements… Depuis plusieurs années, ce sont en fait tous les engagements sociaux et écologiques de la Caisse des Dépôts qui ont été remis en cause », dénoncent les représentants de l’Unsa à la CDC, s’opposant à la cession des activités de Novethic et à la suppression prévue d’un tiers de ses effectifs. Le 8 novembre dernier, une cinquantaine de dirigeants économiques, politiques, scientifiques et associatifs clamaient leur indignation dans une tribune publiée dans Libération et en appelaient au ministre de l’Economie pour qu’il maintienne le soutien de la Caisse des dépôts à Novethic.

 

En janvier 2025, à l’Assemblée nationale, la député « écologiste et social » Sophie Taillé-Polian interpelait également Eric Lombard – qui dirigeait lui-même la CDC avant sa nomination au gouvernement – à propos du « démantèlement » de Novethic. « Pourquoi cesser de financer cet acteur essentiel à la transformation durable de l'économie ? Pourquoi privatiser Novethic et licencier un tiers de ses équipes ? », interrogeait notamment la parlementaire. N’est-ce pas justement le rôle de la CDC de financer des projets d’intérêt général ? Mais est-ce surprenant, lorsque le directeur des participations de la CDC, Antoine Saintoyant, place lui-même la rentabilité parmi les objectifs stratégiques du groupe ?

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